Les premiers passagers qui l'emprunteront au printemps prochain s'en douteront-ils ? L'ascenseur qui les emmènera en cinq minutes du hameau du Fayet au centre de Saint-Gervais-les-Bains (Haute-Savoie) fonctionnera grâce aux eaux usées de la commune. « Saint-Gervais est un bourg à étages, explique son maire Jean-Marc Peillex. Avec cet équipement, nous créons un nouveau lien entre les différentes parties de la commune. » L'engin sera le premier ascenseur incliné à eaux usées de France, mais cette technologie originale n'est pas nouvelle. Un peu oubliée, elle a été réactualisée par Poma, mandataire du groupement de conception-réalisation du projet.
« Le réseau d'eaux usées passe au niveau amont, explique Denis Baud-Lavigne, responsable du développement commercial chez Poma. Il suffit d'en dévier une partie pour constituer un poids qui permettra de faire descendre la cabine. » Et pour remonter ? « La cabine est reliée à un contrepoids dimensionné pour assurer le mouvement sans électricité, sauf quand la cabine est pleine. » Dans le détail, les eaux usées issues du réseau communal sont stockées dans un réservoir de 20 m3 à proximité de la gare amont. Lorsque l'ascenseur fonctionne, une partie d'entre elles est pompée dans une cuve-tampon de 1 200 litres grâce à l'énergie produite par la force gravitaire du véhicule descendant. Puis ce réservoir vient se vider dans une ballastière située sous la cabine. Lestée, celle-ci descend le long de la structure métallique de la voie, également appelée viaduc. En gare aval, l'eau de la ballastière retourne au réseau d'eaux usées et part en station d'épuration. Tant que la cabine n'est pas pleine - 16 personnes au maximum -, le système produit même de l'électricité. « Lorsqu'elle est chargée à 100 %, elle devient plus lourde que le contrepoids et la génératrice devient alors un moteur, par effet dynamo », précise Denis Baud-Lavigne.

600 mètres linéaires d'ancrages. Long de 255 m, le viaduc métallique sur lequel se déplace l'ascenseur repose sur 12 appuis. « Nous sommes assez proches de la roche sur sa partie supérieure, mais en partie inférieure, il y a eu une accumulation de terrain meuble à la suite d'un éboulement au XIXe siècle. Il a donc fallu mettre en place des fondations profondes avec micropieux verticaux et tirants horizontaux pour tenir compte de la pente qui est proche de 100 % », indique Denis Baud-Lavigne. Soit, au total, 600 mètres linéaires d'ancrages. Un blondin, monté en une rotation d'hélicoptère, permet l'ascension des matériaux de construction et la descente des déblais sur les 177 m de dénivelé.

Si le système est vertueux, reste le possible problème du fumet du carburant, un désagrément dont souffre l'unique autre appareil à eaux usées d'Europe, installé à Fribourg, en Suisse, à la fin du XIXe siècle et parfois surnommé « le funi qui pue ». Que les futurs voyageurs se rassurent : à Saint-Gervais, les odeurs seront piégées dans un circuit de traitement d'air au charbon actif pendant que la ballastière se remplit et se vide, et l'étanchéité des connexions est particulièrement soignée.
Poma construit une seconde infrastructure à Saint-Gervais : l'ascenseur valléen, au fonctionnement plus classique, reliera la gare du Fayet, où passent les TGV, au bourg de Saint-Gervais, distant d'une demi-douzaine de kilomètres par la route. Ce transport en commun payant sera capable de déplacer 1 600 personnes par heure. « Cela permettra aux familles vivant sur place de revendre leur deuxième voiture et aux vacanciers arrivant en train d'accéder au domaine skiable », assure Jean-Marc Peillex. Un deuxième tronçon, qui existe déjà mais doit être rénové, mènera ensuite ses passagers en altitude.

Informations techniques
Maître d'ouvrage : Ville de Saint-Gervais-les-Bains.
Groupement de conception-réalisation : Poma (mandataire ; production et conception des équipements du système de transport par câble), Remind Architecte (gares de départ et d'arrivée), Mauro (génie civil des bâtiments), Profils Etudes (réseaux d'eaux usées), STM Pugnat (génie civil et montage du viaduc et du système électromécanique).
Durée du chantier : huit mois.
Budget : 5,1 M€ HT.