Avec 505 bornes de recharge de véhicules électriques (BRVE) dans un seul parking, la Saemes a franchi un record européen en avril, sur son site parisien de La Madeleine. Symbole d’une nouvelle ère, deux transformateurs de 800 KVA y remplacent une seule installation de 600 KVA.
Record européen à Paris La Madeleine
Le concessionnaire de la ville de Paris partage le trophée avec le tandem TotalEnergie-Sogetrel, titulaire d’un marché de quatre ans signé en 2020. Dans tous les parkings parisiens de la Saemes, le contrat porte sur l’installation, la maintenance et l’exploitation de plus de 1000 bornes. 11 groupements se sont battus pour décrocher l’affaire.
« L’abondance de l’offre confirme qu’après la crise sanitaire, la voiture électrique détient désormais son modèle industriel », décrypte Ghislaine Geffroy, directrice générale de la Société d’économie mixte majoritairement détenue par la ville de Paris. Le donneur d’ordre a choisi son prestataire pour la rapidité, la fiabilité et la simplicité d’utilisation de ses installations.
Virtuose des flux
Le chantier de rénovation en cours sur les cinq niveaux du parc Saint-Augustin illustre le poids de la mobilité électrique dans ses investissements : 1,5 million d’euros pour les BRVE, hors sprinklage, sur un total de 7 millions d’euros.
La puissance se répartit selon les usages : 7 KVA pour les longues durées dans les niveaux inférieurs réservés aux abonnés, 22 KVA pour une recharge rapide et plus près de la surface, pour la clientèle de jour. La mobilité électrique reflète la mutation profonde du métier d’exploitant de parking : prestataire de services de plus en plus diversifiés, il conduit ses chantiers comme un acrobate de la gestion de flux.
Places aux deux roues
Accessible aux cyclistes dans un confort optimal grâce à l’ascenseur de 1000 kg, le niveau -1 du parking St-Augustin illustre cette mutation, avec son local vélo équipé de 20 prises, sur 70 places au lieu de 5 avant travaux. Au -2, la Saemes anticipe la fin du parking gratuit pour les deux-roues motorisés à partir de novembre. Cette clientèle bénéficiera de 30 recharges, dans un espace séparé des voitures par un égout et accessible par une rampe dédiée, pour empêcher les croisements de flux.
En dépassant les 5 % exigés par la loi d’orientation des mobilités (Lom) pour les places équipées de recharges à l’horizon 2024 dans les parkings publics, la Saemes entend garder une longueur d’avance sur le marché. L’ambition partagée avec sa collectivité de tutelle se manifeste également dans la contribution à la mise en place des hubs pour clients pressés et prêts à payer cher, comme les taxis Uber. La Porte d’Auteuil essuie les plâtres de ce concept, avec cinq bornes de 50 KVA.
Le verrou du sprinklage
Comme tous les exploitants membres de la fédération nationale des métiers du stationnement (FNMS), la Saemes se heurte aux coûts de la sécurité incendie, où la France bat des records mondiaux : « Le sprinklage amène le prix de la borne dans une fourchette de 20 à 25 000 euros, au lieu de 5000 sans cette contrainte », affirme Michèle Salvadoretti, directrice de Q-Park, un des trois leaders nationaux du stationnement.
Dans leur argumentaire en faveur d’un assouplissement, les exploitants marquent des points : « La voiture électrique ne présente pas plus de risque de feu que son équivalent thermique, et ce sont les assureurs qui le disent », souligne Claude Renard, coordonnateur du déploiement des bornes au ministère de la Transition écologique, après la récente publication d’une étude de la fédération américaine de l’assurance.
Innovations prometteuses
Des avancées technologiques pourraient aussi contribuer à réduire le poids de la sécurité incendie dans l’équipement des parkings en BRVE : les professionnels suivent la piste du sprinklage sec, déjà éprouvée par la Belgique.
A La Défense où il a décroché en début d’année l’exploitation de 20 000 places réparties dans 14 parkings, Q-Park expérimente une autre voie de prévention du risque : la caméra thermique, capable de détecter une montée anormale des températures avant le déclenchement du sinistre. Une procédure d’avis technique encadre cette expérimentation. Dans le parking Michelet du même quartier d’affaires, l’exploitant teste le chargement par un robot.
Q-Park accélère
Les freins réglementaires n’entament pas la détermination de Q-Park, comme en atteste le marché confié en mars à Izivia, filiale d’EDF : 20 millions d’euros pour installer 4000 bornes en trois ans dans ses 220 parkings, français répartis dans 70 villes. L’exploitant profitera de l’assouplissement de la Lom introduite par la Climat & Résilience : le quota de 5 % s’impose désormais à l’échelle des agglomérations, et non plus à chaque parking. « Cela nous permettra de mieux répondre à la demande », réagit Michèle Salvadoretti.
Autre partie prenante du plan 100 000 bornes d’octobre 2020, la grande distribution accélère, elle aussi, la transition de ses parkings : « En avril 2022, l’enseigne E.Leclerc recense 1700 points de recharge en service et 1000 en travaux. Nous en planifions 10 000 en 2025 », annonce Thierry Forien, directeur adjoint de Siplec, l’entité qui accompagne les patrons des magasins dans la transition écologique.
E.Leclerc à fond
Cette montée en puissance accompagne l’offre de location de véhicules Dacia Spring, lancée en avril 2021 : signe que le marché vole de ses propres ailes, malgré la baisse des aides inscrites au programme Advenir, passées de 60 % à 50 % du coût des bornes en avril 2022, avant une nouvelle diminution attendue pour la fin de cette année.
Compte tenu de l’indépendance des maîtres d’ouvrage, l’enseigne ne chiffre pas l’effort d’investissement cumulé. « L’essentiel concerne les voiries et réseaux, et notamment les tranchées pour les raccordements électriques. Ces travaux bénéficient la plupart du temps à des PME locales. Le principal facteur limitant concerne la capacité d’Ennedis », souligne Thierry Forien.
Au-delà des magasins Leclerc, le directeur adjoint de Siplec identifie un autre frein dans le manque de standard de facturation : « Entre la distance, la puissance ou diverses combinaisons de ces deux critères, plusieurs dizaines de modalités de paiement coexistent », soupire-t-il. Au moins les parkings à ciel ouvert de la grande distribution ne souffrent-ils pas des affres du principe de précaution appliqué au sprinklage.
Sur mesure pour Tesla en migration
Pour les bornes qui alimentent souvent deux points de recharge, les membres du mouvement Leclerc bénéficient des économies d’échelles occasionnées par les contrats signés par Siplec avec des fournisseurs comme Engie et Schneider Electrique. L’offre concerne en majorité des petites recharges nécessitées par des allers retours quotidiens de quelques dizaines de km.
Mais pour ses magasins riverains des grandes migrations européennes, comme celui de Beaune (Côte d’Or), Leclerc voit grand : l’enseigne dispose de « la station Tesla la plus longue du monde, avec 28 bornes de grande puissance côte à côte », précise Thierry Forien.
L’étendard solaire d’Arverne
Poussés par Siplec, les adhérents profitent parfois de leur virage électrique pour devenir producteurs d’énergie solaire, comme le montre l’exemple d’Arverne (Allier) : les 22 000 m2 d’ombrières contribuent à l’alimentation des 80 bornes du parking inauguré l’an dernier par Michel-Edouard Leclerc, patron de l’enseigne.
Après celle des parkings publics des collectivités et de la grande distribution, la bataille des garages des 15 millions de logements collectifs commence par la formation des troupes. « Que personne ne puisse se dire : le collectif, c’est trop compliqué pour que je m’équipe », a enjoint Claude Renard, le 29 mars dernier devant les dirigeants de la fédération nationale de l’immobilier (Fnaim), de l’Union des syndicats des professionnels de l’immobilier (Unis) et de la fédération nationale des associations régionales de l’Union de l’habitat social.

La bataille de l’habitat collectif
La cinquième période des certificats d’économie d’énergie ouvre les robinets financiers au service de cet objectif : « Doté de 10 millions d’euros lors de son lancement en 2016, le programme Advenir bénéficie désormais de 200 millions jusqu’en 2025, notamment pour conduire les formations des syndics et gestionnaires de l’habitat social », précise Cécile Goubet, déléguée générale de l’association nationale pour le développement de la mobilité électrique (AVERE France), signataire de la convention de partenariat du 29 mars, portant sur 300 sessions de formation.
En aval, Advenir subventionne jusqu’à 50 % des travaux, ou 960 euros par borne partagée entre plusieurs résidents. Filiale de la Caisse des dépôts, Logivolt propose d’avancer le coût d’infrastructure, à charge pour chaque nouvel arrivant de le rembourser.
Cercle vertueux
L’impératif de mutualisation découle d’un seuil : au-delà de trois prises, la recharge des véhicules des parkings résidentiels impose l’installation d’une colonne montante horizontale. Les professionnels misent sur l’effet déclencheur de la publication imminente d’un décret : le conseil supérieur de l’énergie examinera fin avril ce texte relatif au préfinancement des pré-équipements, désormais obligatoires dans les travaux de grosse rénovation des parkings résidentiels.
Président de la Fnaim, Jean-Luc Torrollion n’entend pas se contenter d’une application à la lettre de ce décret : « A l’occasion des chantiers de réfection des surfaces de roulement ou de l’étanchéité de nos garages, nous encouragerons non seulement l’installation des bornes de recharge, mais aussi l’aménagement de parkings vélo sécurisés ». Son témoignage illustre le pari de la mobilité électrique routière : inscrire la bataille des recharges dans le cercle vertueux d’un monde décarboné.