« Personne n’a utilisé la pensée », note Chantal Colleu-Dumont, directrice du domaine et du festival de Chaumont-sur-Loire consacré cette année aux « jardins de la pensée ». Son équipe a comblé le vide horticole, en mobilisant les jardiniers Didier Willery et Pascal Garbe, pour composer « un jardin de la pensée unique, avec beaucoup de pensées différentes », selon l’expression de la directrice.
Surréalisme
La réticence à l’interprétation littérale du thème imposé donne le ton surréaliste et distancié des 23 propositions sélectionnées, comme le montre « Ceci n’est pas un jardin » : « Nous avons bien sûr pensé à Ceci n’est pas une pipe, la toile composée par Magritte en 1929 pour exprimer la différence entre la représentation et son objet. Un espace superficiel, lisse et conventionnel contrastera avec le foisonnement luxuriant de la nature », explicite l’un des membres du collectif « Nom d’une pipe » rassemblé pour cette œuvre.
Carte verte à Bernard Lassus
1929, c’est aussi la date de naissance de l’un des invités hors concours de l’édition 2018 du festival : Bernard Lassus, « artiste, paysagiste, peintre, chercheur, universitaire et théoricien du paysage », détaille Chantal Colleu-Dumont. Agacé par la « verdolâtrie » ambiante qui, selon lui, dénature l’art du paysage, le maître a utilisé sa « carte verte » pour marier des herbacées avec des feuillages métalliques, dans une inspiration qui prolonge le jardin réalisé l’an dernier pour le 40ème anniversaire du centre Pompidou : une manière de libérer la pensée par l’effet de surprise.
Foisonnement pluridisciplinaire
Jean-Jacques Rousseau, les Mille et Une nuits, Shakespeare, Jean-Louis Borges, Maïakovski… Le foisonnement de références littéraires n’épuise pas les sources d’inspiration des paysagistes de la pensée : l’ingénieur en génie mécanique et l’opératrice en orthotérapie en témoignent, dans l’équipe de Bulles de pensée, de même que la vigneronne et la plasticienne du Promenoir infini ou le scénographe et le metteur en scène de Révolution.
Divagation rimbaldienne
Dans le registre du mariage des sciences et de la poésie, les élèves ingénieurs d’Agrocampus Ouest mériteraient une mention spéciale pour leur synthèse entre le Bateau ivre et l’analyse des mécanismes du cerveau : « Un tunnel focalise la pensée vers une sphère végétale centrale. Mais cette volonté de contrôle se heurte aux connexions neuronales, sphères suspendues qui, au sortir du tunnel, submergent l’esprit et provoquent la divagation, la diffusion et l’envol de la pensée », déclame Charlotte Macé, étudiante en cinquième année.
Autre groupe de scientifiques inspirés et invités au titre des « cartes vertes », Oulipo marie les mathématiques et l’art dans son « jardin des voyelles » qui porte la dimension pédagogique du festival : des entrepreneurs de l’Union nationale des entreprises du paysage encadreront sa réalisation dans un « chantier école ». Nul doute : ce jardin éphémère nourrira les pensées des apprentis longtemps après son démontage.