Méthodes d'analyse des offres : vers une montée en flèche de la liberté de choix ?

Commande publique - Le Conseil d'Etat se montre flexible dans l'appréciation de la méthode de notation en concessions. Mais cela ne devrait guère avoir d'impact en marchés publics.

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Dans deux décisions du 3 mai 2022 (nos 459678 et 460090), le Conseil d'Etat s'inspire de sa jurisprudence constante en matière de méthode de notation des offres en marchés publics qu'il transpose, en l'adaptant, aux concessions. Mais la solution de flexibilité ainsi dégagée pour des contrats de concession ne paraît pas, en retour, transposable à des marchés publics.

Une méthode jugée régulière

En l'espèce, une commune a organisé une mise en concurrence pour l'attribution de sous-concessions de plage. Deux candidats, informés du rejet de leurs offres, ont saisi le juge des référés, qui a suspendu l'attribution des lots. L'affaire arrive devant le Conseil d'Etat. La question principale posée portait sur la validité de la méthode d'évaluation des offres. La commune avait associé, à chacun des critères hiérarchisés fixés, une appréciation qualitative composée d'une évaluation littérale décrivant les qualités des offres pour chaque critère, suivie d'une flèche qui la résumait. Une flèche verte vers le haut représentait la meilleure appréciation, une flèche rouge vers le bas la moins bonne, tandis que des flèches orange orientées en haut ou en bas constituaient deux évaluations intermédiaires.

Par analogie avec sa jurisprudence classique en marchés publics (), le Conseil d'Etat précise que l'autorité concédante « définit librement la méthode d'évaluation des offres au regard de chacun des critères d'attribution qu'elle a définis et rendus publics. Elle peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison ».

Respect des principes fondamentaux. Mais cette liberté n'est pas sans limite puisque, à l'instar des marchés publics, une telle méthode est irrégulière lorsque « en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d'attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ». Il en va de même si les modalités d'évaluation des critères d'attribution « sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l'ensemble des critères, à ce que l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie ».

Ainsi, pour le Conseil d'Etat, la méthode d'évaluation des offres ici utilisée était régulière car elle permettait « de comparer et de classer tant les évaluations portées sur une même offre au titre de chaque critère que les différentes offres entre elles » et n'était donc pas « de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation ».

Une transposition aux concessions

En matière de marchés publics, les critères d'attribution sont les caractéristiques sur lesquelles porte l'analyse menée par l'acheteur public afin de sélectionner l'offre économiquement la plus avantageuse. Ils doivent être pondérés ou, dans des cas particuliers, hiérarchisés, dans les documents de la consultation ( [CCP]). La pondération des critères consiste à affecter un poids spécifique à chaque critère, exprimé sous forme de points, de coefficients, de pourcentages ou d'une fourchette avec un écart maximum approprié. La hiérarchisation, elle, classe les critères par ordre décroissant d'importance.

Liberté de choix. Dans ce cadre, l'acheteur public utilise une méthode de notation pour apprécier les mérites des offres sur chacun des critères au regard de leur pondération et/ou hiérarchisation et attribuer ensuite une valeur chiffrée. Comme le souligne le rapporteur public Gilles Pellissier, la détermination des critères et de leur pondération/hiérarchisation est une décision objective de l'acheteur, mais la notation est une appréciation subjective (conclusions sous ). C'est pourquoi, contrairement aux critères et à leur pondération/hiérarchisation, la méthode de notation n'a pas à être portée à la connaissance des candidats dans les documents de la consultation.

L'acheteur choisit librement la méthode de notation. Pour autant, cette liberté n'est pas totale puisqu'il doit veiller à l'égalité de traitement des candidats et à la transparence des procédures. Ainsi, la méthode de notation ne doit pas être de nature à priver de leur portée les critères d'attribution des offres ou à neutraliser leur pondération ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, ne doit pas conduire à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie (, précité).

Ce n'est pas autre chose qu'a rappelé le Conseil d'Etat dans les passages précités des deux décisions ici commentées. Ces dernières transposent ainsi, aux contrats de concession, la jurisprudence relative aux méthodes de notation en marchés publics. Comme le souligne la rapporteure publique Mireille Le Corre dans ses conclusions sur ces deux décisions : « Les principes émis par votre décision “Commune de Belleville” [de 2014, rendue en matière de marchés publics, NDLR] nous semblent - sous quelques réserves - tout à fait transposables dans leur esprit » aux contrats de concession.

Une application limitée en marchés publics

Les deux décisions commentées posent la question de l'extension d'une appréciation non chiffrée des offres aux marchés publics. Certains auteurs relèvent (1), s'agissant des contrats de concession, la tendance actuelle du juge à ne pas utiliser l'expression de « méthode de notation » mais celle, plus large, de « méthode d'évaluation » (voir ). Cette différence n'est pas que sémantique et permettrait de ménager à l'autorité concédante davantage de possibilités. Juridiquement, cette différence permet de refléter la particularité des procédures de passation des concessions par rapport aux marchés publics.

Compte tenu de leur objet, les contrats de concession sont généralement conclus en fonction des qualités propres des opérateurs économiques et laissent la possibilité à l'autorité concédante d'organiser avec plus de souplesse une procédure de publicité et de mise en concurrence et de recourir à la négociation (). Le code leur impose seulement une hiérarchisation des critères d'attribution (art. R. 3124-5), ce qui permet ainsi une appréciation non chiffrée du mérite des offres.

Principe de pondération. Une telle approche reste plus limitée en marchés publics puisque les critères d'attribution doivent, en principe, être pondérés. Dans ses conclusions précitées, Mireille Le Corre estime néanmoins ne pas « être face à une impossibilité absolue » d'adopter une approche comparable à celle admise par le Conseil d'Etat pour les concessions. En effet, dans l'hypothèse très spécifique où la pondération des critères n'est pas possible pour des raisons objectives, la hiérarchisation devient possible (pour les procédures formalisées, ). Il en est de même, à l'évidence, lorsque le seul critère du prix est retenu et qu'il n'y a donc rien à pondérer ou à hiérarchiser. Ce dernier cas - déjà peu rencontré - est appelé à disparaître en 2026 puisque la loi Climat et résilience imposera de retenir au moins un critère d'attribution prenant en compte « les caractéristiques environnementales de l'offre ».

En opportunité, la possibilité d'appréciation non chiffrée des offres en matière de marchés publics, bien que limitée par le CCP, présenterait l'avantage de la simplicité pour les acheteurs. Si elle devait être étendue aux marchés publics, une telle approche pourrait restreindre fortement l'accès du prétoire dans le domaine du contentieux contractuel administratif, alors que la tendance contemporaine du Conseil d'Etat allait dans le sens d'une ouverture au bénéfice des tiers comme des parties aux contrats.

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