Des fabricants de matériels électriques ont-ils le droit de fixer avec leurs distributeurs les prix de revente de leurs produits aux clients finals - entreprises, collectivités...- afin de leur permettre de préserver leur marge ?
La réponse est non pour l'Autorité de la concurrence qui a sanctionné le 29 octobre les fabricants Schneider Electric et Legrand et leur distributeurs Rexel et Sonepar par des amendes d'un montant global de 470 M€.
Deux ententes verticales
Deux ententes verticales - la première entre Schneider Electric et ses distributeurs Rexel et Sonepar entre décembre 2012 et septembre 2018, la seconde entre Legrand et Rexel de mai 2012 à septembre 2015 - dans le cadre d'un système dit de « dérogations », ont retenu l'attention de l'Autorité.
Les sanctions infligées par l'Autorité de la concurrence
Schneider Electric : 207 M€
Legrand : 43 M€
Rexel : 89 et 35 M€
Sonepar : 96 M€
Ce système est censé répondre aux fréquentes demandes de clients finals adressées directement aux fournisseurs, de tarifs inférieurs aux prix d’achat standards des distributeurs. Pour permettre à ces derniers de satisfaire à ces demandes sans revendre à perte, les contrats-cadres annuels de distribution prévoient souvent un mécanisme d’ajustement du prix d’achat standard des distributeurs.
« Concrètement, le distributeur bénéficie, via l’octroi d’un avoir, d’un nouveau prix d’achat « dérogé » lui permettant de s’aligner sur le prix souhaité par le client final. Ce nouveau prix d’achat est suffisamment bas pour permettre au distributeur de consentir lui-même, s’il le souhaite, des réductions de prix supplémentaires au client final », explique l'Autorité dans sa décision.
Limitation de la concurrence intra-marque
Mais en l'espèce, l’Autorité a constaté que Schneider Electric, Legrand, Rexel et Sonepar s'étaient entendus « pour neutraliser cette possibilité et conférer, de fait, aux prix de vente aux clients finals un caractère fixe » limitant ainsi la concurrence intra-marque entre les distributeurs au détriment des clients finals et contribuant « à maintenir des prix standards élevés en France ».
Des pratiques « d’autant plus graves » pour l'Autorité « que le secteur du matériel électrique basse tension se caractérise par un fort degré de concentration, tant à l’amont qu’à l’aval ».
Dans un communiqué, Rexel a expliqué n'avoir fait qu'appliquer dans le cadre du mécanisme des dérogations, « transparent et connu de tous les acteurs du marché », une « remise commerciale classique sur le prix d’achat consentie par le fournisseur au distributeur, qui laisse à ce dernier toute liberté de fixer ses prix de revente et d’offrir à ses clients l’offre la plus compétitive ». Le groupe a indiqué se réserver « le droit de faire appel » de la décision de l'Autorité devant la cour d'appel de Paris.
Information judiciaire
A l'origine de cette décision de l'Autorité de la concurrence, une information judiciaire, ouverte en 2018 par le procureur de la République de Paris à la suite d’un signalement du rapporteur général de l’Autorité fondé sur des informations transmises par l’Agence française anticorruption et de deux témoignages anonymes portant, entre autres, sur l’existence et l’utilisation par Schneider Electric et Legrand du mécanisme de prix « dérogés ». Sous le contrôle du magistrat instructeur, des perquisitions simultanées ont été réalisées dans les locaux de plusieurs sociétés appartenant aux groupes Schneider Electric, Legrand, Rexel, Sonepar et de la Fédération des distributeurs en matériel électrique, ainsi qu’aux domiciles de la présidente et du directeur financier de Sonepar SAS. En juillet 2021, l’Autorité s’est saisie d’office de pratiques mises en œuvre dans le secteur du matériel électrique basse tension et a demandé au juge d’instruction la communication des pièces du dossier pénal ayant un lien direct avec les faits dont elle s’est saisie.
Décision Autorité de la concurrence 24-D-09 du 29 octobre 2024