C’est une décision que l’on pourrait qualifier de pédagogique. Il y a quelques jours, le Conseil d’Etat s'est prononcé sur une affaire dans laquelle la pondération des critères de sélection retenue par un acheteur public était critiquée par un candidat évincé. En l’espèce, il s’agissait d’un marché à bons de commande lancé par le ministère de la Défense. Deux critères permettaient de départager les entreprises : le prix à hauteur de 10% et la valeur technique à 90%. Pour le requérant, « la pondération mise en œuvre [conduisait] à la neutralisation du critère financier et à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie ». La cour administrative d’appel (CAA) de Nantes lui a donné raison ; le ministère de la Défense s’est alors pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat. Ce dernier en a profité pour fixer les règles au sujet de la pondération des critères.
Liberté du pouvoir adjudicateur
Pour cela, la Haute juridiction administrative rappelle les principes issus de l’article 53 du Code des marchés publics, applicable au moment des faits (repris aujourd’hui à l’article R. 2152-7 du Code de la commande publique). Selon ces dispositions, « il appartient au pouvoir adjudicateur de déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse en se fondant sur des critères permettant d'apprécier la performance globale des offres au regard de ses besoins ». De plus, « ces critères doivent être liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, être définis avec suffisamment de précision pour ne pas laisser une marge de choix indéterminée et ne pas créer de rupture d'égalité entre les candidats ».
Le Conseil d’Etat s’attarde par la suite sur la pondération des critères. Sur ce sujet, il reconnaît la liberté du pouvoir adjudicateur, mais lui fixe une limite : « Il ne peut légalement retenir une pondération, en particulier pour le critère du prix ou du coût, qui ne permettrait manifestement pas, eu égard aux caractéristiques du marché, de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse ».
Contrôle (restreint) du juge
En fixant ce cadre, le Conseil d’Etat rejoint la jurisprudence européenne. En 2003, la CJUE indiquait que « les pouvoirs adjudicateurs sont libres non seulement de choisir les critères d'attribution du marché mais également de déterminer la pondération de ceux-ci, pour autant qu'elle permette une évaluation synthétique des critères retenus afin d'identifier l'offre économiquement la plus avantageuse » (CJCE, 4 décembre 2003, "EVN et Wienstrom", C-448/01, points 39 à 43).
Dans l'affaire ici commentée, alors qu’il s’agissait d’un marché à procédure adaptée, soumis à une simple obligation de hiérarchisation des critères, le ministère de la Défense a décidé de pondérer les deux critères en retenant un écart important entre les deux. Le Conseil d’Etat estime néanmoins « qu'en jugeant qu'une telle pondération était irrégulière au motif qu'elle était " particulièrement disproportionnée ", que le ministre de la Défense n'en établissait pas la nécessité et qu'elle conduisait à " neutraliser manifestement " le critère du prix, la CAA de Nantes a commis une erreur de droit ». Son arrêt est finalement annulé, et l’affaire renvoyée.
Cette décision, qui semble de prime abord accorder une liberté forte aux acheteurs publics, doit être prise avec des pincettes. Le Conseil d’Etat sanctionne en effet en premier lieu le contrôle opéré par la CAA de Nantes.