Par une décision rendue mi-mars, le Conseil d'Etat se prononce sur l'indemnisation du titulaire pour les travaux supplémentaires (TS) réalisés à la demande, y compris verbale, du maître d'œuvre (CE, 17 mars 2025, n° 491682, mentionné dans les tables du Recueil).
En l'espèce, un OPH a conclu en 2015 un marché public pour la construction de 122 logements sociaux. La société requérante était titulaire du lot relatif aux terrassements, aux fondations et au gros œuvre. Après la réception des travaux, l'OPH lui a notifié un décompte général faisant apparaître un solde de 352 959 euros TTC. Néanmoins, la société a considéré qu'elle avait effectué des prestations « modificatives » et « supplémentaires », non prévues initialement dans le prix de son marché. Elle a donc demandé au tribunal administratif (TA) de Toulon de condamner l'OPH à lui payer la somme complémentaire de 60 729 euros HT au titre du solde du marché.
Le TA a accédé à cette demande, en retenant toutefois une somme légèrement inférieure (52 517 euros HT). Devant la cour administrative d'appel (CAA) de Marseille, ce montant a été ramené à 9 695 euros HT. C'est contre cette décision que la société se pourvoit en cassation, ce qui permet au Conseil d'Etat de préciser le régime de l'indemnisation du titulaire lorsqu'il réalise des travaux ou prestations supplémentaires.
Les principes généraux entourant l'indemnisation des travaux supplémentaires
Il convient tout d'abord de revenir sur les principes généraux entourant l'indemnisation des TS, qui sont régulièrement mis en œuvre dans les rapports entre maîtres d'ouvrage, maîtres d'œuvre et titulaires.
Une définition posée par le CCAG travaux. Les « prestations supplémentaires ou modificatives » font l'objet d'un article dédié au sein du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (art. 14 du CCAG 2009 applicable à l'espèce, art. 13 du CCAG 2021). Elles sont désignées comme celles pour lesquelles le marché n'a pas prévu de prix, étant précisé que le CCAG 2009 ajoutait que la réalisation de ces prestations devait être nécessaire au bon achèvement de l'ouvrage - condition non maintenue dans la version 2021. De cette définition en apparence unitaire procèdent deux hypothèses distinctes, réglées par la jurisprudence du Conseil d'Etat : les TS effectués à la demande de l'acheteur, et ceux effectués à l'initiative du titulaire.
Travaux supplémentaires à la demande de l'acheteur…
Dans le premier cas, les TS sont commandés au titulaire par l'acheteur, en principe par l'émission d'un ordre de service. Dans ce cas, le titulaire a droit à l'indemnisation de ces travaux. Il s'agit donc de rémunérer les TS demandés à l'entreprise mais qui n'avaient pas été prévus initialement au marché.
… ou du titulaire. Dans le second cas, les travaux réalisés à l'initiative du titulaire peuvent faire l'objet d'une indemnisation intervenant dans des conditions précises. Le Conseil d'Etat admet ainsi l'indemnisation des TS réalisés sans ordre de service, mais à condition qu'ils soient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art (CE, 14 juin 2002, n° 219874, Tables). Cette hypothèse permet d'introduire une certaine souplesse, notamment lorsque le maître d'ouvrage ou le maître d'œuvre n'ont pas réagi dans les temps en émettant un ordre de service. Néanmoins, aucune indemnisation n'est due si les travaux ne sont pas indispensables à la bonne exécution des ouvrages compris dans les prévisions du marché (CE Sect., 17 octobre 1975, commune de Canari, n° 93704, publié au Recueil).
Le cadre juridique général étant rappelé, il convient d'examiner les apports de la décision du Conseil d'Etat relatifs à la première hypothèse.
La souplesse adoptée par le juge vaut aussi pour les marchés à prix global.
L'assouplissement de la demande de travaux supplémentaires émise par l'acheteur
La décision du Conseil d'Etat ici commentée se prononce principalement sur les TS demandés au titulaire du marché public, en apportant trois précisions.
Une demande du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre.
Premièrement, le Conseil d'Etat clarifie l'identité de la personne devant être à l'origine de la demande de TS : il considère qu'elle peut être tant le maître d'ouvrage que le maître d'œuvre. Il modifie ainsi son considérant de principe sur ce point, qui n'intégrait jusqu'ici que le maître d'ouvrage (par exemple, CE, 14 juin 2002, précité). Ce changement s'inscrit dans le prolongement du CCAG 2021, qui prévoit désormais dans son article 2 que les ordres de service peuvent être émis par le maître d'ouvrage comme par le maître d'œuvre. Sous l'empire du CCAG 2009, seul ce dernier était mentionné.
Une demande purement verbale… Deuxièmement, la Haute juridiction livre une indication d'importance sur les formes que peut prendre la demande de TS. En effet, elle considère que toute demande, « y compris verbale », ouvre droit au paiement de ces travaux pour le titulaire. C'est l'occasion pour le Conseil d'Etat de l'affirmer expressément, après l'avoir évoqué en creux dans sa décision « Commune de Canari » de 1975 (précitée). Ainsi, la demande du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre peut résulter d'un ordre de service notifié classiquement, ou n'être que purement verbale. Le non-respect du formalisme prévu par le CCAG travaux sur ce point ne s'oppose pas au droit à indemnisation des titulaires du contrat. C'est donc une précision bienvenue pour ces derniers.
… y compris pour les marchés conclus à prix global et forfaitaire. Troisièmement, le Conseil d'Etat applique les principes précédemment énoncés dans le cadre d'un marché conclu à prix global et forfaitaire. Pour rappel, et par opposition au prix unitaire, le prix forfaitaire rémunère le titulaire pour ses prestations, « quelles que soient les quantités réellement livrées ou exécutées » (art. R. 2112-6, 2° du Code de la commande publique). Sur ce point, le Conseil d'Etat confirme sa jurisprudence (décision « Commune de Canari » précitée ; voir aussi CE, 10 juin 2022, n° 451334).
Application en l'espèce. Après avoir précisé le cadre juridique applicable, le Conseil d'Etat revient sur la présente affaire.
La CAA avait considéré que les TS ne pouvaient être indemnisés qu'à la condition que leur réalisation ait été prescrite « par un ordre de service régulier », reprenant à cet égard l'article 3.8 du CCAG 2009, selon lequel « les ordres de service prennent la forme de documents écrits, datés, numérotés et signés par le maître d'œuvre ». La CAA retenait que, bien que les travaux aient été réalisés « sur l'ordre du maître d'œuvre », « l'absence d'ordre de service régulièrement émis » - sous-entendu, dans les formes prescrites par le CCAG - ne pouvait ouvrir droit à rémunération de ces travaux. Cette interprétation est censurée par le Conseil d'Etat, au regard des principes précédemment énoncés.
Ce qu'il faut retenir
- En principe, le droit au paiement des travaux supplémentaires par le titulaire varie selon que ceux-ci sont effectués à la demande du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre, ou bien à l'initiative du titulaire. Dans la première hypothèse, le droit au paiement est ouvert. Dans la seconde, le paiement est conditionné aux travaux indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.
- Dans une décision du 17 mars 2025, le Conseil d'Etat précise le cas des TS effectués à la demande de l'acheteur, et affirme expressément qu'elle peut émaner tant du maître d'ouvrage que du maître d'œuvre.
- Il considère en outre que cette demande peut être formulée de manière verbale. Elle peut donc ne pas prendre la forme d'un ordre de service notifié conformément aux stipulations du CCAG - bien que cette option demeure la plus sécurisée.