Jurisprudence

Marchés publics Référé pré-contractuel : les audaces du juge

Pour le tribunal administratif de Paris, l'efficacité du recours en référé pré-contractuel requiert une information des candidats évincés préalable à la signature du marché.

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Marchés publics

Dans un jugement rendu au fond, le tribunal administratif de Paris a jugé que le fait, pour la personne responsable du marché, de ne pas informer les candidats évincés avant de signer l'acte d'engagement prive ces derniers de former le référé pré-contractuel prévu à l' (CJA) et viole ainsi une formalité substantielle dont l'omission entache d'irrégularité la décision de passation du marché (TA Paris 1er avril 2003, « Sté Sodisfom », req. no 0113066/6). Cette solution constitue une interprétation audacieuse de l'article 76 du nouveau Code des marchés publics (CMP). Ce texte n'indique pas de délai, ni ne prescrit que l'information doive précéder la signature de l'acte d'engagement.

Dans un arrêt antérieur, sous l'empire d'une rédaction du Code prévoyant alors expressément un délai d'information des candidats évincés, le conseil d'Etat avait jugé que la méconnaissance de ce délai, considéré comme non impératif, n'affectait pas la légalité de la décision d'éviction (CE 7 juillet 1976, « OPHLM de la Ville du Mans »). On pouvait en conclure qu'il en allait d'autant plus ainsi en l'absence de prescription d'un délai d'information des candidats évincés.

Pour le TA de Paris, l'entrée en vigueur du référé pré-contractuel en 1992 et le renforcement de cette procédure par la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, ont changé la donne : les dispositions du CMP doivent s'interpréter à la lumière de l' précité. L'information préalable des candidats évincés est une formalité substantielle, de sorte que l'illégalité devrait s'étendre au marché lui-même.

Cette lecture de l' actuel, s'accorde cependant mal avec la jurisprudence administrative relative aux conditions du référé pré-contractuel.

La fin d'une incohérence

Le conseil d'Etat a jugé que le juge des référés pré-contractuel perdait ses pouvoirs dès lors que le contrat avait été conclu. Par conclusion, il faut entendre la signature du contrat (CE 3 novembre 1995, « CCI de Tarbes et des Hautes Pyrénées » ; 28 décembre 2001, « Lacombe ») et le juge administratif se refuse à contrôler la validité de la signature (CE 8 février 1999, « Société Campenon Bernard »). Dans cette ligne jurisprudentielle, le TA de Rennes a jugé que le fait que les concurrents évincés n'auraient pas été informés du rejet de leur offre ne faisait pas obstacle au dessaisissement du juge des référés (TA Rennes 30 août 1999, « Sté GBL Composite »).

L'efficacité du dispositif a été renforcée avec la loi du 30 juin 2 000, complétée par le décret du 22 novembre 2 000, qui a supprimé l'exigence du recours préalable et qui a donné au juge la possibilité de suspendre la passation du contrat dès sa saisine. Le référé pré-contractuel n'en conserve pas moins cette caractéristique curieuse que l'information des candidats évincés par l'envoi d'une lettre n'étant pas fixée dans le temps, son effectivité dépend du seul bon vouloir de la personne publique.

Cette même curiosité se retrouve dans la pratique : c'est, en général, par le hasard d'indiscrétions qu'un candidat évincé peut exercer un recours avant la signature du marché puisque, dans la majorité des cas, il n'en est officiellement informé qu'après la signature du marché*.

En décidant que la signature d'un marché avant que les candidats évincés aient été informés du rejet de leur offre entachait d'irrégularité la décision de passation dudit marché, le TA de Paris met fin à cette incohérence.

Questions en suspens

Cette décision pose autant de questions qu'elle en résout.

- On peut d'abord se demander s'il appartient au juge de se substituer à un pouvoir réglementaire ou législatif en ajoutant à un texte des conditions qui n'y figurent pas, même en filigrane.

On s'étonne également de voir le juge du fond solliciter à ce point l'esprit d'un texte alors que le même juge, statuant dans le cadre de référé, donne à un autre texte, l', des limites qui ne s'imposaient pas à l'évidence.

- Il semblerait plus cohérent que la date à laquelle l'information des candidats non retenus est assurée puisse avoir une incidence sur la recevabilité du référé pré-contractuel plutôt que sur la légalité de la procédure de passation et du marché lui-même, et ce, sans possibilité de régularisation.

Pourquoi ne pas admettre que la procédure de référé resterait ouverte jusqu'à l'information effective des candidats non retenus ? Cette solution serait conforme à l'exigence d'un recours effectif et efficace formulée dans la directive « Recours » du 21 décembre 1989. C'est d'ailleurs au nom du principe d'effectivité que la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes invite les juridictions nationales à écarter les règles de forclusion de droit interne lorsqu'un candidat non retenu n'a pas été en mesure de contester son éviction (CJCE 27 février 2003, aff. C 327/00). Toutefois, ces interrogations devraient bientôt appartenir au passé (voir encadré).

(*) Cette solution est sans doute moins vraie depuis que la cour administrative d'appel de Lyon, pour les marchés de collectivités locales, a jugé que le signataire du marché ne pouvait être valablement habilité à cette fin que par une décision de l'assemblée délibérante postérieure au choix du candidat.

EN SAVOIR PLUS

Retrouvez le jugement du tribunal administratif de Paris sur le site www.moniteur-expert.com

L'essentiel

L' prescrit à la personne responsable du marché d'aviser les candidats non retenus du rejet de leur offre, sans que le moment de cette information soit précisé.

Pour le TA de Paris, l'effectivité de la procédure du référé pré-contractuel impose que cette information soit effectuée avant la signature du marché.

Cette information est une formalité substantielle dont l'omission entache de nullité la décision de passation du marché.

Le projet de réforme du Code devrait intégrer cette exigence en précisant le délai qui séparera l'information des candidats non retenus de la signature du marché.

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