L'attente fut longue, irritante par moments, mais finalement récompensée. De l'avis général, la refonte des cahiers des clauses administratives générales (CCAG) marchés publics, entamée en septembre 2019 sous la houlette de la Direction des affaires juridiques du ministère de l'Economie, est une réussite, tant sur le fond que sur la méthode - très participative. Mais il faudra patienter encore quelques mois pour mesurer pleinement l'impact de cette nouvelle génération de pièces contractuelles…
Les maîtres d'œuvre comblés. Parmi les objectifs fixés par Bercy, la création d'un CCAG relatif à la maîtrise d'œuvre. Deux visions s'opposent. « Nous sommes très contents de ce CCAG, espéré depuis plus de dix ans, réagit Thierry Nabères, référent commande publique du Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa). Le CCAG prestations intellectuelles utilisé jusqu'à présent pour ces marchés n'était en effet pas bien adapté à nos pratiques. » Un sentiment partagé chez Syntec-Ingénierie. « L'exercice de rédaction était délicat, car il n'y avait pas de précédent. L'administration a réussi à doter les professionnels et les maîtres d'ouvrage d'un cadre contractuel qui va sécuriser l'exécution des marchés », complète Christophe Mérienne, président de la commission juridique du syndicat. Les deux professionnels notent par exemple une avancée majeure sur la question des dérapages de la durée des chantiers. Les parties seront tenues de dialoguer pour examiner les causes du retard et la nécessité - ou non - d'une indemnisation pour la maîtrise d'œuvre.
Du côté de la maîtrise d'ouvrage, la déception domine. « Ce cahier s'apparente un peu à un acte manqué ou à une demi-mesure, commente Jean-Christophe Caroulle, coanimateur du groupe de travail “achats publics” de France urbaine. Les marchés de maîtrise d'œuvre sont sans doute les plus normés de la commande publique, or le CCAG ne décline pas assez ces spécificités. C'est mieux que rien, mais c'est dommage. »
En pratique
- Cinq CCAG réformés ont été publiés : CCAG fournitures courantes et services (FCS), CCAG marchés industriels (MI), CCAG techniques de l'information et de la communication (TIC), CCAG prestations intellectuelles (PI) et CCAG travaux. Et le CCAG maîtrise d'œuvre (MOE) a vu le jour.
- Un CCAG ne s'applique à un marché public que si le contrat s'y réfère expressément. Un marché ne peut être soumis qu'à un seul CCAG, avec une exception dans le cas d'un marché global qui peut en viser plusieurs (travaux et MOE, par exemple).
- Les CCAG ont été approuvés par six arrêtés du 30 mars 2021 (« Journal officiel » du 1er avril) et sont disponibles sur le site de Bercy : www.economie.gouv.fr/daj/les-nouveaux-ccag-sont-publies
Un jeu d'équilibre entre les parties. Cette réforme fut aussi guidée par la recherche d'un meilleur équilibre dans les relations entre titulaires des marchés et acheteurs publics. Cela se traduit par des dispositions financières plus favorables aux opérateurs économiques - en particulier les PME - à l'instar du nouveau système d'avances. Il repose sur deux options, l'une avec un taux unique pour tous les titulaires, l'autre avec un taux bonifié à 20 % du montant du marché pour les PME. « Nous aurions aimé un dispositif plus simple que celui-ci, notamment parce que ce sera compliqué dans le cas de groupements momentanés alliant différentes tailles d'opérateurs, commente Camille Roux, directrice juridique de la FNTP. A tout le moins, ça permet de faire bénéficier les PME d'un taux de 20 % au lieu de 10 %, c'est déjà une avancée notable. » Le principe du paiement d'acomptes sur les approvisionnements est également un point positif. « Il figure clairement dans le CCAG travaux, et c'est une belle avancée pour les nombreuses entreprises du bâtiment dont le gros du travail de construction se fait en atelier », se réjouit Christophe Possémé, président de la commission marchés à la FFB.
Autres rééquilibrages relevés par Arnaud Latrèche, vice-président de l'Association des acheteurs publics (AAP), « la possibilité pour le titulaire de refuser des ordres de service modificatifs ou supplémentaires non valorisés financièrement, et le plafonnement des pénalités de retard ». Ce dernier sujet a d'ailleurs cristallisé l'attention lors des travaux de refonte et continue de le faire. « Les CCAG vont loin en proposant un plafonnement à 10 % du montant du marché, regrette Jean-Marc Peyrical, avocat et président de l'Association pour l'achat dans les services publics (Apasp). Cela devrait plutôt relever du cas par cas ; un pourcentage unique pour tous les types de marchés n'est pas forcément pertinent. »
Côté secteur privé, la mesure est saluée, « même si elle se limite aux pénalités de retard alors que fleurissent, dans de nombreux marchés, des types de pénalités divers et variés », note Camille Roux (FNTP). « Dans le cadre du CCAG travaux, nous avions défendu, par souci d'efficacité, l'idée d'un plafonnement des pénalités, relate Thierry Nabères (Cnoa). Par effet de rebond, nous avons bénéficié de la même clause dans le CCAG MOE, c'est une bonne chose. En revanche, le dispositif prévu pour l'application de ces pénalités ne paraît pas compatible avec la dynamique d'un chantier. Il implique un système d'aller-retour entre le maître d'ouvrage et le titulaire qui doit présenter des observations, ce qui pourra prendre des semaines, voire des mois. »
Dérogations dans les documents particuliers. « Si la refonte des CCAG a permis une avancée significative dans la recherche d'équilibre des relations contractuelles, dans la pratique, ce sont les acheteurs qui ont la plume, rappelle Nicolas Charrel, avocat. Or, dès qu'une mesure prévoit moins d'unilatéralité dans l'exécution du contrat, on observe de manière assez systématique une dérogation. » Les entreprises seront donc particulièrement attentives aux documents particuliers des marchés. Pour Christophe Mérienne, « la dérogation, qui juridiquement est possible, devrait être justifiée par une spécificité du marché et ne pas avoir pour effet de rompre l'équilibre des CCAG ». En outre, « de trop nombreuses dérogations seraient le signe d'une méfiance des acheteurs vis-à-vis des opérateurs économiques ».
Me Charrel imagine, quant à lui, une dérogation fréquente au CCAG MOE qui prévoit pour les pénalités de retard un taux de 1/3 000 désormais assis sur « l'élément de mission auquel se rattache la prestation », et non sur le montant du marché, ce qui peut être peu dissuasif. Le plafonnement de celles-ci s'annonce aussi comme un terrain propice aux dérogations.
Mais Jean-Marc Peyrical (Apasp) s'inquiète des acheteurs moins expérimentés, qui ne procéderont pas forcément aux ajustements nécessaires.
Cap sur l'achat durable. La refonte aborde, enfin, l'incontournable sujet de l'achat public durable, avec des clauses environnementales imposées par principe, et des clauses sociales qui devront être activées par les documents particuliers du marché. « Les acheteurs publics, surtout ceux d'une certaine taille, sont déjà pratiquants, notamment en matière de clauses d'insertion, explique Jean-Christophe Caroulle (France urbaine). Mais les clauses développement durable sont assez techniques, et les intégrer totalement dans les CCAG s'avère difficile. Les acheteurs ne pourront pas se contenter des CCAG, les CCAP devront apporter de nombreux compléments. »
Pour la FNTP, « ces clauses représentent sur le papier de nouvelles contraintes, qui de surcroît apparaissent plus théoriques que pratico-pratiques. Les entreprises risquent d'avoir du mal à les mettre en œuvre, sur le plan environnemental notamment. Elles semblent davantage relever de l'affichage politique », conclut Camille Roux. Arnaud Latrèche (AAP) estime, à l'heure où de nouvelles obligations se profilent avec la future loi Climat et résilience, qu'« une démarche choisie serait bien plus efficace que des clauses subies. Il faut que l'acheteur se sente pleinement investi dans cette démarche. » Reste maintenant aux acteurs à basculer vers cette nouvelle version des CCAG. Ils ont deux saisons pour le faire, avant l'abrogation, le 1er octobre, des désormais « anciens » CCAG.