L'article 53.II du Code des marchés publics prévoit que « les critères [de choix des offres] sont pondérés ou à défaut hiérarchisés ». La lecture de cet alinéa a suscité une différence d'interprétation, étant donné son imprécision.
Une doctrine partagée
Une partie de la doctrine a considéré que cet alinéa obligeait les acheteurs publics à pondérer les critères de choix des offres. Stéphane Braconnier, professeur agrégé des facultés de droit, avait ainsi estimé que « les critères (...) doivent en principe être pondérés et non plus hiérarchisés » (« Le nouveau Code des marchés publics entre responsabilisation et libéralisation », La Semaine juridique Entreprise et Affaires, JCP, 29 avril 2004, no 18, p. 714).
Une autre partie de la doctrine a estimé que les acheteurs publics avaient le choix de pondérer ou de hiérarchiser ces critères (Aymeric Ruellan, « Les critères de choix des offres dans le nouveau Code des marchés publics », AJDA, Dossier spécial « Nouveau Code des marchés publics », 23 février 2004, p. 380 ; Jérôme Michon, « Les marchés publics en 100 questions », éditions Le Moniteur, collection Guides juridiques, juillet 2004). Jérôme Grand d'Esnon, directeur des Affaires juridiques du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, a ainsi déclaré, lors d'un « chat » organisé par ce même ministère, le 14 janvier 2004, sur la réforme du Code des marchés publics de 2004, que cette réforme « laisse le choix entre la pondération et la hiérarchisation des critères ».
Le débat est relancé par les magistrats de Nice
Maître Nicolas Charrel, dans son article publié dans « Le Moniteur des travaux publics » du 3 septembre 2004 (« Marchés publics : vers une obligation de pondérer les critères de sélection ? », pp. 48 et 49) a estimé, lui, que « le Code des marchés publics a (...) imposé la pondération des critères » et que « la notion de "à défaut" de l'alinéa consacre en réalité le recours obligatoire à la pondération ».
Sa position a été confirmée par le tribunal administratif de Nice. Ce dernier a en effet considéré, dans son ordonnance du 11 mai 2004, que la pondération des critères de sélection des offres constitue une obligation et que « la pondération peut être écartée au profit de la simple hiérarchisation des critères, lorsque la nature du marché y fait obstacle ou lorsqu'il peut en être dûment justifié par la personne responsable du marché ». Ce jugement fait l'objet d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat, qui devrait se prononcer prochainement sur ce point.
La position de maître Nicolas Charrel est contredite par la récente réponse faite par la Direction des affaires juridiques du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
Rappel à la lettre du Code
La DAJ a estimé, en effet, dans un courriel du 22 septembre 2004, que « l'intention du pouvoir réglementaire a clairement été de poser une alternative, laissée à la libre appréciation des acheteurs publics, entre pondération et hiérarchisation des critères. Cette alternative a été introduite dans le nouveau Code afin de permettre aux acheteurs de se familiariser avec le mécanisme de pondération des critères et ainsi de se préparer aux nouvelles règles posées par la directive no 2004/18/CE qui impose le recours à la pondération, sauf si elle n'est pas possible, l'acheteur public devant alors pouvoir justifier cette impossibilité. L'interprétation étroite du tribunal administratif de Nice tend à rapprocher, sur ce point, le Code des marchés publics de la directive. Or, ce rapprochement est prématuré, parce que le Code ne saurait être regardé comme constituant la transposition de la directive et que celle-ci n'a pas de caractère obligatoire avant l'écoulement du délai de transposition prévu au début de 2006. De son côté, le Code des marchés publics prévoit bien qu'à défaut d'avoir pondéré ces critères, l'acheteur public est tenu de les hiérarchiser, mais il ne fixe aucune obligation de justifier d'une éventuelle impossibilité de pondérer les critères pour pouvoir recourir à leur hiérarchisation. En conséquence, si les critères de choix des offres n'ont pas été pondérés par l'acheteur public, ils doivent être considérés comme ayant été hiérarchisés par lui et l'ordre de leur énumération prévaudra pour l'appréciation des offres ».
Choix possible entre les deux mécanismes
Au regard de la réponse faite par la Direction des affaires juridiques, les acheteurs publics semblent bien avoir encore le choix de pondérer ou de hiérarchiser leurs critères, que ceux-ci relèvent ou non des seuils communautaires des actuelles directives sur les marchés publics (directives no 92/50, no 93/36, no 93/37) qui n'imposent pas la pondération des critères de choix des offres. Cette position est confortée par la zone no 11 (« critères d'attribution ») du modèle de formulaire d'avis d'appel public à la concurrence, issu de l'arrêté du 30 janvier 2004 du ministère de l'Economie qui prévoit le choix entre les deux mécanismes (rubriques 11.2 ou 11.3).
EN SAVOIR PLUS
Articles du « Moniteur » : Nicolas Charrel, « Marchés publics : vers une obligation de pondérer les critères de sélection ? », «Le Moniteur» du 3 septembre 2004, pp. 48 et 49.
Retrouvez sur le site web du « Moniteur » le jugement du tribunal administratif de Nice du 11 mai 2004, « SVCR/La Seyne-sur-Mer », no 0401930.
L'essentiel
Le tribunal administratif de Nice a considéré que l'article 53. II du Code des marchés publics oblige les acheteurs publics à pondérer les critères de choix des offres. Ils ne peuvent se contenter d'une hiérarchisation que lorsque la nature du marché y fait obstacle ou que le maître d'ouvrage peut se justifier.
La Direction des affaires juridiques rappelle que le Code pose une alternative, laissée à la libre appréciation des acheteurs publics, entre pondération et hiérarchisation des critères.