Ce n’est pas monnaie courante, mais il est tout à fait possible pour une personne publique de candidater à un marché public. Le Conseil d’Etat l’a autorisé dans un avis rendu le 8 novembre 2000 (CE, 8 novembre 2000, n°222208, publié au Recueil Lebon) ; puis, au fil de sa jurisprudence, il a ajouté des conditions dans l’optique de ne pas fausser la concurrence avec le secteur privé. Dernier exemple en date, fin 2014 (CE, 30 décembre 2014, n°355563, publié au Recueil Lebon).
En renvoyant une affaire devant la cour administrative d’appel de Nantes, le Conseil d’Etat a indiqué que « la candidature [d’une personne publique] doit répondre à un intérêt public ». C’est de nouveau ce cas qui lui a été soumis le 6 juin dernier. Pour mémoire, le litige concerne un département qui a lancé une procédure d'appel d'offres en vue de la réalisation de travaux de dragage, et qui a attribué le marché au département voisin. Une entreprise évincée a saisi la juridiction administrative.
La candidature doit répondre à un intérêt public
Le Conseil d’Etat reprend tout d’abord un considérant de sa décision du 30 décembre 2014 : « Hormis celles qui leur sont confiées pour le compte de l'État, les compétences dont disposent les collectivités territoriales ou leurs établissements publics de coopération s'exercent en vue de satisfaire un intérêt public local. Si aucun principe ni aucun texte ne fait obstacle à ce que ces collectivités ou leurs [EPCI] se portent candidats à l'attribution d'un contrat de commande publique pour répondre aux besoins d'une autre personne publique, ils ne peuvent légalement présenter une telle candidature que si elle répond à un tel intérêt public, c'est-à-dire si elle constitue le prolongement d'une mission de service public dont la collectivité ou [l’EPCI] a la charge, dans le but notamment d'amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d'assurer son équilibre financier, et sous réserve qu'elle ne compromette pas l'exercice de la mission. »
Amortissement des équipements de la collectivité
La nouveauté vient dans la suite de la décision, lorsque le Conseil d’Etat apporte des précisions sur la notion d’amortissement des équipements dont dispose la collectivité. Il considère que « cet amortissement ne doit [...] pas s'entendre dans un sens précisément comptable, mais plus largement comme traduisant l'intérêt qui s'attache à l'augmentation du taux d'utilisation des équipements de la collectivité, dès lors que ces derniers ne sont pas surdimensionnés par rapport à ses propres besoins. »
En l’espèce, le dossier analysé par la commission d’appel d’offres révèle que la drague acquise par le département attributaire a été dimensionnée pour faire face aux besoins et spécificités des ports de ce département, mais n'est utilisée qu'une partie de l'année. Les juges suprêmes considèrent que « son utilisation hors du territoire départemental peut être regardée comme s'inscrivant dans le prolongement du service public de création, d'aménagement et d'exploitation des ports maritimes de pêche dont le département a la charge en application des dispositions de l'article L. 601-1 du Code des ports maritimes, sans compromettre l'exercice de cette mission, une telle utilisation de cette drague permettant d'amortir l'équipement et de valoriser les moyens dont dispose, dans ce cadre, le service public de dragage [du département] ». L’intérêt public dans ce cas est donc bien justifié.
La candidature ne doit pas fausser la concurrence
Les juges vérifient par ailleurs que la candidature n’a pas faussé les conditions de concurrence. En ce sens, ils rappellent que « le prix proposé [...] doit être déterminé en prenant en compte l'ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation, sans que la collectivité publique bénéficie, pour le déterminer, d'un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de ses missions de service public et à condition qu'elle puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d'information approprié. »
En l’espèce, le prix proposé par le département candidat était inférieur tant à l’estimation du département acheteur que des deux autres entreprises candidates. Mais l’attributaire a pu produire un sous-détail des prix justifiant son montant (l’écart entre les prix s’expliquait notamment par les matériels utilisés, présentant des rendements très différents). La requête de l’entreprise évincée est finalement rejetée.