Jurisprudence

Marchés publics Inexécution des travaux de reprise

La question se pose souvent, pour le maître d’ouvrage, de savoir vers quel débiteur se tourner pour solliciter la reprise des travaux réservés à la réception et non exécutés à l’expiration du délai de parfait achèvement. Dans une décision du 26 janvier dernier, le Conseil d’Etat estime que les désordres faisant ainsi l’objet de réserves prolongent la responsabilité contractuelle des entrepreneurs au-delà du délai d’un an. Cette décision attendue, après bien des jurisprudences contradictoires, ne manquera pas de réjouir les assureurs de responsabilité décennale.

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DESSIN - 89 P86-87 Regl OUV.eps

Le Conseil d’Etat vient de clarifier les conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle, dans le cadre d’un marché de travaux publics, lorsque la réception des travaux a été prononcée avec réserves, et qu’à la fin de l’année de parfait achèvement, les travaux de reprise n’ont pas encore eu lieu (« Société MAS », n° 264306, mentionné aux Tables du Recueil Lebon).

Les faits sont les suivants : la commune d’Hagetmau a conclu en 1988 un marché pour mettre en conformité, étendre et moderniser l’abattoir municipal avec, pour la maîtrise d’œuvre, la société Sogelerg Sud-Ouest Ingénierie et, pour les travaux, le groupement conjoint d’entreprises Mas-Comazzi. A la suite de désordres, des réserves ont été émises lors de la réception intervenue en juin 1990. Le tribunal administratif (TA) de Pau avait imputé ces désordres, affectant plusieurs éléments de l’ouvrage, à la maîtrise d’œuvre. En appel, la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA) a réparti la charge de la réparation en limitant à 20 % la part de la commune et en imputant les 80 % restant, conjointement et solidairement entre l’exécution et la conception, soit une indemnité de 205 060 euros à verser à la commune.

Pour la CAA, la société Mas était mandataire de l’entreprise Comazzi et pas seulement d’un groupement d’entreprises, ce dernier n’ayant pas la personnalité juridique. Cette entreprise mandataire soutenait que l’engagement de solidarité avait pris fin, au plus tard, un an après la levée des réserves. Or, les réserves émises par la commune n’ayant jamais été levées, pour la CAA, la société Mas demeurait solidairement responsable des désordres imputables à la société Comazzi. Un pourvoi a donc été introduit par la société Mas.

Des solutions longtemps divergentes

Les jugements ou décisions ayant statué précédemment sur la question du maintien de la responsabilité contractuelle pour des désordres réservés ou apparus durant la première année après la réception étaient loin d’être unanimes.

Plusieurs décisions des juges du fond avaient affirmé que les réserves émises lors de la réception des travaux devaient être regardées comme ayant été définitivement levées à l’expiration du délai de garantie de parfait achèvement.

A défaut de décision expresse du maître de l’ouvrage visant à prolonger le délai de garantie contractuelle jusqu’à l’achèvement total des travaux objet des réserves, les réserves émises lors de la réception des travaux, ou signalées au cours du délai de garantie de parfait achèvement (1) étaient donc considérées comme définitivement levées à l’expiration du délai de garantie. Il en résultait une incertitude pour les assureurs décennaux.

D’autres cours administratives d’appel avaient pris, majoritairement d’ailleurs, des positions opposées (2). Le Conseil d’Etat consacre ces dernières solutions dans sa décision du 26 janvier 2007, prolongeant ainsi sa jurisprudence « Société d’assurances l’Angevine et La Nantaise réunies » (27 mars 1998, n°144240, Rec. p. 109), par laquelle il avait jugé, en substance, que les liens contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs ne se trouvaient pas rompus avec la résiliation éventuelle du marché. Selon cette solution, les effets des réserves sont donc maintenus à l’égard des constructeurs concernés, permettant au maître de l’ouvrage de rechercher leur responsabilité contractuelle.

Une clarification attendue

Le principal mérite de l’affaire ici commentée est de mettre un terme à ces divergences, et de prendre, pour la première fois, à notre connaissance, position sur cette question. En effet, le Conseil d’Etat, décide « que les travaux à raison desquels la commune d’Hagetmau demande la condamnation solidaire des sociétés Mas, entreprise générale, et Comazzi ont fait l’objet dans le procès-verbal de réception établi le 29 juin 1990 de réserves dont il est constant qu’elles n’ont pas été levées ; que dans ces conditions, le maître de l’ouvrage pouvait continuer à rechercher la responsabilité contractuelle du groupement conjoint ; que, par suite, la commune d’Hagetmau est fondée à invoquer à l’encontre de la société Mas, entreprise générale, l’engagement de solidarité qui a continué à la lier à la société Comazzi, responsable des désordres en cause ».

Autrement dit, la Haute Assemblée opte pour un maintien du lien contractuel au-delà de l’année de parfait achèvement et ce, sans décision expresse de prolonger les réserves, décision dont la portée est, de fait, réduite par cet arrêt. Il faut rappeler que de simples observations faites au maître d’œuvre (« Commune de Mison », préc.), voire une demande d’expertise en référé (« Sarl RDB Entreprise » préc.) ne s’apparentaient pas à une demande de prolongation des réserves. Il s’agit, somme toute d’une précision, par rapport à ce qu’affirmait la commissaire du gouvernement Catherine Bergeal dans ses conclusions sur l’affaire « Société d’assurances l’Angevine et La Nantaise réunies » (préc.) : « Tant que les réserves ne sont pas levées, la responsabilité contractuelle de droit commun n’est limitée en durée que par la prescription trentenaire. »

Le maître d’ouvrage ne restait pas sans ressources, dans la mesure où il pouvait toujours rechercher, quels que soient les désordres, la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre, notamment pour manquement à son devoir de conseil lors de la réception de l’ouvrage et de la levée des réserves (3). Une limite existe toutefois à cette responsabilité particulière du maître d’œuvre () : l’expiration du délai de parfait achèvement fait obstacle à ce que le maître de l’ouvrage puisse faire reconnaître la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre pour un manquement à sa mission de conception de l’ouvrage.

En revanche, et la portée de la solution ici commentée n’y change rien, en cas de prolongation du délai mais d’une levée rétroactive des réserves, il n’y aura pas plus de possibilité car l’effet d’une telle décision – à manier avec précaution – fait apparaître la réception comme donnée sans réserves, s’opposant ainsi à une responsabilité de parfait achèvement pour des désordres de même nature que ceux ayant fait l’objet de réserves (, inédit au Recueil Lebon).

Conséquences pour les assureurs

Le choix opéré par le Conseil d’Etat aura des conséquences sur les assureurs de responsabilité obligatoire. En effet, dans la mesure où les juges considèrent que la responsabilité contractuelle est maintenue, cela signifie que la garantie légale n’a pas à intervenir pour les désordres réservés à la réception, seul l’entrepreneur étant susceptible d’être mis à contribution par le maître d’ouvrage. C’est ce qu’a pu juger, par exemple, la CAA de Lyon : «La responsabilité des constructeurs ne peut être recherchée sur le fondement des principes dont s’inspirent les articles et 2270 du Code civil, ni pour des désordres ayant fait l’objet de réserves formulées lors de la réception et qui n’ont pas été levées, ni pour des désordres qui étaient connus lors de cette même réception » (21 décembre 2000, «société BETERALP » , n° 95LY00984, inédit au Rec.). Cet arrêt va ainsi certainement réjouir les assureurs de responsabilité décennale obligatoire.

Il se rapproche d’ailleurs de ce que décide, dans des cas similaires, la Cour de cassation, laissant la seule responsabilité contractuelle ouverte aux maîtres d’ouvrage pour des désordres réservés ou apparus durant la première année après la réception et qui ne sont pas de nature décennale (4). Reste, une question, pas seulement théorique, qui n’a pas trouvé de réponse dans cette espèce : celle de savoir s’il existe un « principe dont s’inspire l’ », – celui-ci n’étant pas, en tant que tel, appliqué par le juge administratif (CE, 28 février 1986, « Blondet », Rec. p. 55).

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