Fiche pratique

Comment prescrire le réemploi dans les marchés de travaux de construction

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Lot de tuiles anciennes à réemployer

Cette dernière fiche de notre série sur la prescription du réemploi des matériaux dans les marchés publics (lire encadré page suivante) se penche sur les bonnes pratiques pour rédiger des marchés de travaux de construction ou de rénovation.

C'est la dernière étape pour mener une telle démarche, mais généralement la plus ardue : (ré) intégrer les matériaux de réemploi dans un ouvrage. Et pour cause, une telle opération rencontre souvent l'opposition - ou a minima le scepticisme - des acteurs du projet. Les assureurs en dommage ouvrage et en garantie décennale ainsi que les bureaux de contrôle appréhendent ce choix comme un risque supplémentaire. Du côté des entreprises de travaux, certaines le voient comme une complication dans le déroulé du chantier et une perte de marge sur les prestations de fourniture.

En outre, le réemploi induit un aléa important concernant le besoin du maître d'ouvrage (MOA) : que faire si les matériaux de réemploi ne peuvent pas être mis en œuvre à cause de pertes ou de dégradations pendant la dépose ? S'ils sont issus d'un autre chantier qui prend du retard ? Si le bureau de contrôle ne valide pas leur mise en œuvre ? Voici quelques conseils pour lever ces différents freins.

Comment prescrire la fourniture des matériaux ?

Plusieurs solutions s'offrent au MOA en fonction de la stratégie retenue.

Fourniture par le MOA ou par des tiers

- Il peut d'abord fournir lui-même des matériaux de réemploi, issus de la phase de curage du même projet ou d'une autre de ses opérations. Il peut prescrire, dans ce cadre uniquement, la pose de ces éléments ou encore des opérations de reconditionnement ou de préparation au réemploi à la charge des entreprises.

- Il peut aussi passer un accord-cadre de fourniture, qu'il peut mobiliser pour plusieurs opérations, afin d'approvisionner ses chantiers avec certaines familles de produits ou d'équipements de réemploi. Cette solution permet généralement de soutenir les filières du territoire en garantissant aux acteurs des volumes d'achat pour plusieurs années et donc une meilleure visibilité des flux à capter et des investissements à réaliser en vue de leur reconditionnement.

- Il peut enfin contractualiser directement avec des MOA ou des acteurs spécialisés pour acquérir certains matériaux spécifiques. En dessous du seuil de 40 000 euros d'achat, il peut même acquérir les matériaux sans procédure de publicité ou mise en concurrence ( - CCP).

Le recours au dispositif des « marchés innovants » est également envisageable jusqu'à 100 000 euros HT () pour des achats qui répondent aux critères détaillés par la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy dans son « Guide pratique de l'achat public innovant », notamment pour des prestations de fourniture avec reconditionnement.

Fourniture dans le cadre du marché de travaux

Le MOA peut également intégrer la fourniture des matériaux de réemploi ou reconditionnés au marché de travaux.

Deux possibilités sont alors à étudier.

- Il peut d'abord prescrire la fourniture au titulaire du marché ou au titulaire de chaque lot métier, en spécifiant une quantité précise (exemple : 10 radiateurs issus du réemploi) ou un pourcentage du prix de fourniture affecté à des produits issus du réemploi (exemple : 20 % du prix d'acquisition des équipements sanitaires dédié à l'achat de produits issus du réemploi). Cette dernière prescription sera toutefois nettement plus compliquée à contrôler - et donc à sanctionner - en pratique.

- Mais il peut également prévoir un lot « fourniture réemploi » dédié, dont l'attributaire a la charge d'approvisionner les autres lots métiers sur le chantier pour ce type de produits (1).

Quelles sont les conséquences dans les relations entre le MOA et les entreprises de travaux ?

Dans tous les cas, on rappellera que le fait pour le MOA d'exiger et même de fournir des matériaux n'induit pas de limitation de son droit à indemnisation en cas de sinistre d'après la jurisprudence récente en matière de sinistre décennal lié à des matériaux de réemploi (CA Paris, pôle 4 ch. 5, 22 février 2023, n° 18/28211 ; CA Angers, ch. civ., 24 avril 2018, n° 16/00144 ; CA, Limoges, ch. civ., 4 mai 2023, n° 22/00358).

En revanche, dans la mesure où les entreprises sont responsables des matériaux qu'elles posent, il est indispensable d'aménager une procédure contradictoire d'acceptation des matériaux qu'elles ne fourniraient pas elles-mêmes, pour qu'elles aient la possibilité de refuser la mise en œuvre, de formuler des réserves ou de solliciter des tests complémentaires.

Comment gérer l'aléa lié à la fourniture des matériaux ?

Il arrive fréquemment qu'en cours d'exécution du marché de travaux, le volet réemploi de l'opération soit réduit ou adapté (matériaux perdus, introuvables, refusés, etc. ). Dans ce cas, le mieux est d'avoir anticipé dans le marché la fourniture alternative de matériaux neufs par les entreprises de travaux, afin d'éviter des blocages ou des lourdeurs administratives, tels que le recours à des avenants qu'il faudra négocier et formaliser.

Deux solutions de prescription se présentent en fonction des situations :

- Si le marché stipule que les matériaux de réemploi ne sont pas fournis par l'entreprise de travaux (mais par le MOA ou un tiers), les rédacteurs des marchés peuvent prévoir des tranches optionnelles pour la fourniture des matériaux neufs en cas de réemploi impossible, qui viendront s'ajouter à la prestation de pose de base.

- Si les matériaux de réemploi sont fournis par l'entreprise de travaux, il faut inclure une clause de réexamen avec un bordereau des prix unitaires (BPU) en annexe du mémoire technique, dans lequel l'entreprise fixera le prix alternatif des matériaux neufs en cas de réemploi impossible ().

Cette seconde solution permet d'éviter de recourir aux avenants : si la clause est suffisamment claire et précise, le pouvoir adjudicateur peut la mettre en œuvre de façon unilatérale puisque l'étendue de la modification a été acceptée par son cocontractant lors de la signature du contrat. Cette décision unilatérale peut être matérialisée par l'envoi d'un courrier (2).

En pratique, il faut noter que, dans cette hypothèse, si le prix du marché est global et forfaitaire, il le restera même si cette clause de réexamen est intégrée. En effet, cette dernière, qui vise simplement à prévoir dans les documents contractuels initiaux les modalités d'éventuelles modifications du marché (prestation et tarif), n'a pas pour effet de rendre le prix du marché mixte. Le BPU annexé au mémoire technique des candidats n'est donc pas pris en compte dans l'analyse des offres.

Quelles prescriptions en matière d'assurance-construction ?

Dernier point (et non des moindres) : l'aspect assurantiel. En pratique, il arrive fréquemment que les entreprises présentent une attestation annuelle d'assurance lors de la candidature, avant de préciser, au moment du démarrage des travaux, qu'après déclaration auprès de leur assureur, celui-ci « ne couvre pas le réemploi ».

Afin d'éviter tout blocage, la meilleure solution consiste à exiger des candidats la production d'une attestation nominative de chantier qui précise que le chantier en question (avec ses particularités) est bien couvert par l'assureur. Toutefois, la fourniture de ce document induit souvent un délai d'instruction par l'assureur, et à ce titre, impliquera de laisser le maximum de temps aux candidats pour le produire. On rappellera que, si le candidat pressenti ne produit pas l'attestation, l' prévoit qu'il est éliminé, et que l'acheteur public sollicite le candidat dont l'offre est classée immédiatement après la sienne.

Le MOA peut aussi opter pour une solution plus classique, mais avec un risque de blocage avec l'assureur dommages-ouvrage ou un risque de limitation de garantie des entreprises : exiger uniquement « l'attestation d'assurance de responsabilité prévue à l' ». Dans ce cas, il convient de rappeler, dans le cahier des clauses administratives particulières (CCAP), que le projet s'inscrit dans une démarche d'économie circulaire et qu'il est conseillé à ce titre aux entreprises de déclarer à leur assureur cette spécificité afin d'adapter au besoin les garanties souscrites. Ou encore, que le MOA exigera avant le démarrage du chantier la production d'une attestation nominative de chantier pour s'assurer que le titulaire est correctement couvert pour cette opération.

Par ailleurs, si les matériaux de construction ne sont pas fournis par l'entreprise de travaux, il est nécessaire de lui communiquer le montant (même provisoire et estimatif) des matériaux fournis par des tiers ou par le MOA, afin qu'elle puisse le déclarer à son assureur, lequel pourra l'intégrer le cas échéant dans le coût global des travaux, sur la base duquel est calculée la cotisation à la charge de l'entreprise. Ce point est important car, si le coût des travaux déclaré est sous-évalué, l'assureur pourra prétendre à une réduction proportionnelle des indemnités qu'il sera tenu de verser en cas de sinistre (art. 113-9 du Code des assurances), avec un risque d'insolvabilité de l'entreprise préjudiciable in fine pour le MOA.

Ce qu'il faut retenir

Pour intégrer la pose de matériaux de réemploi dans un marché de travaux de construction, le maître d'ouvrage devra prescrire :

  • La fourniture des matériaux (a) soit par lui-même ou par des tiers (notamment titulaires d'un accord-cadre de fourniture ou d'un lot « fourniture réemploi » dédié au sein du marché de travaux), et dans ce cas, il faut intégrer une procédure contradictoire pour permettre à l'entreprise qui pose de refuser les matériaux qui ne seraient pas aptes au réemploi, (b) soit par l'entreprise titulaire du marché ou de chaque lot métier ;
  • Une clause permettant de gérer l'aléa lié à cette fourniture si le réemploi s'avère impossible afin que le chantier puisse être facilement approvisionné en matériaux neufs (tranche optionnelle ou clause de réexamen avec BPU selon les cas) ;
  • Des clauses permettant de sécuriser la couverture assurantielle du titulaire, dès la passation ou, au plus tard, avant le démarrage du chantier.

(1) Pour plus d'informations sur les modalités de fourniture, voir « USH Repères » n° 130, avril 2024, « Le réemploi dans les marchés de construction et de rénovation ». (2) Voir la fiche de la DAJ sur « Les modalités de modifications des contrats en cours d'exécution ».

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