Cette fiche est la troisième d'une série de quatre dédiées au réemploi dans les marchés publics :
Fiche n° 1 : « Intégrer la question du réemploi dès la programmation d'un marché public » (« Le Moniteur » du 3 mai, p. 25).
Fiche n° 2 : « Comment prescrire le réemploi dans les marchés de maîtrise d'œuvre » (« Le Moniteur » du 10 mai, p. 51).
Fiche n° 4 : « Comment prescrire le réemploi des matériaux dans les marchés de travaux de construction neuve » (« Le Moniteur » du 5 juillet, p. 69).
Après avoir évoqué la question du réemploi des matériaux au stade de la programmation, puis du marché de maîtrise d'œuvre dans des fiches précédentes,il convient de s'intéresser aux marchés de travaux.
Pour réemployer les matériaux, il faut d'abord, logiquement, les extraire des ouvrages. Les premiers marchés de travaux qui nécessitent à ce titre d'être adaptés sont donc ceux de démolition. Ils tendent d'ailleurs déjà à devenir des marchés de déconstruction sélective sous l'effet de l'évolution des obligations réglementaires (diagnostic PEMD obligatoire, tri à la source des sept flux de déchets, reprise gratuite des déchets triés par les éco-organismes, etc.).
Une fois actée l'ambition d'extraire le maximum de matériaux réemployables du bâtiment à déconstruire ou à curer, et les objectifs de réemploi fixés, de nombreuses questions se posent en termes de prescription. Concrètement, l'extraction des matériaux implique toujours une prestation de dépose sélective et de conditionnement. Mais ensuite, les stratégies de réemploi varient et impliquent des prestations diverses : stockage sur le chantier ou hors chantier ; reprise par l'entreprise de travaux ; remise en état sur site pour remise en œuvre lors de la suite des travaux de réhabilitation…
Et des interrogations récurrentes surgissent quant à la propriété des matériaux déposés, à la prise en charge des prestations liées au réemploi, et aux justificatifs de traçabilité à demander.
Cession des matériaux de réemploi : que prévoir dans le marché ?
A titre liminaire, il faut rappeler que les matériaux sont des biens mobiliers qui appartiennent au maître d'ouvrage (MOA). Et que les MOA soumis au Code général de la propriété des personnes publiques devront veiller à respecter les conditions et procédures de cession qui leur sont applicables. Cela peut notamment impliquer une délibération pour autoriser la cession des matériaux de réemploi.
En pratique, trois options à retranscrire dans les marchés s'offrent au MOA.
Première option : la cession au titulaire du marché de travaux de déconstruction lors de la passation
Il est possible de prévoir, dans le marché ou dans un lot, des prestations de dépose sélective et une reprise des matériaux par le titulaire.
Dans cette hypothèse, le montant des matériaux repris va venir en déduction de celui de son offre et réduire d'autant le prix des travaux. Deux sous-options sont envisageables pour la détermination du montant de reprise : - soit le MOA fixe le prix dans l'appel d'offres (AO). Le candidat n'a plus qu'à renseigner le montant de sa prestation, déduction faite du prix des matériaux. Le critère prix ne tient compte que du montant final de l'offre pour la notation. Cette solution présente des avantages : le MOA décide du montant de cession des matériaux et garantit un prix correct, l'analyse sera plus simple sur le prix, et le forfait pousse l'entreprise à récupérer le maximum de matériaux car elle conserve l'excédent ; - soit l'entreprise détermine le prix dans son offre. Le candidat doit alors chiffrer la valeur des matériaux en fonction de la liste établie par le MOA et la faire apparaître dans les pièces financières. Le MOA peut fournir une estimation afin de guider les candidats dans l'évaluation du prix de reprise. Le critère prix peut distinguer les montants des prestations et de la reprise dans la notation.
Le prestataire peut proposer un montant plus haut que ce qu'escomptait le MOA, mais il a aussi intérêt à bien chiffrer pour faire baisser le montant global de son offre.
Quelle que soit la sous-option choisie, il conviendra d'être vigilant et de veiller au respect des règles fiscales en matière de TVA dans les pièces du marché. Il faudra surtout adapter les pièces financières (décomposition du prix global et forfaitaire [DPGF] et bordereau des prix unitaires [BPU]) ou encore l'acte d'engagement (voir « Bulletin officiel des Finances publiques » référencé BOI-TVA-BASE-10-20-30).
Cette première solution consistant à céder les matériaux lors de la passation du marché de travaux offre selon nous de nombreux avantages. Tout d'abord, aucun acte de cession n'est à signer et le MOA n'est pas tenu à garantie au titre des matériaux cédés. Ceux-ci sont transmis en l'état avant dépose à un professionnel, et le transfert de propriété et des risques a lieu à la signature du marché. En outre, cette option permet une gestion très simplifiée dans le cadre du chantier (pas d'enjeu de coordination, pas de gestion des cessions, etc.). Enfin, elle limite le risque économique (pas de repreneurs, de perte pendant la dépose, etc.).
Deuxième option : la cession directe par le MOA à des repreneurs
Le MOA peut souhaiter privilégier la cession des matériaux de réemploi à des tiers repreneurs et non à l'entreprise de travaux. L'intérêt est notamment de choisir les repreneurs et de privilégier les projets du territoire, à impact social par exemple, de soutenir des projets d'ores et déjà subventionnés par le MOA (de type matériauthèque et recyclerie) et de créer des synergies avec d'autres acteurs publics locaux. Si cette option ne nécessite pas de prescrire la cession des matériaux dans le dossier de consultation des entreprises (DCE), elle exige de prévoir a minima dans le marché de travaux :
- une prestation logistique (conditionnement des matériaux, stockage sur chantier) ;
- des pénalités pour sanctionner les dégradations ou pertes trop importantes qui auraient un impact sur le bilan économique de l'opération et pourraient mettre le MOA en difficulté s'il a vendu des biens qu'il ne peut finalement pas délivrer.
Le MOA devra également organiser la recherche de repreneurs. Cette mission, qui s'apparente à du courtage, pourra être confiée à l'entreprise via le marché de
travaux, mais la plupart du temps, celle-ci n'aura pas les compétences pour le faire et risque de ne pas donner satisfaction. Le MOA pourra aussi confier cette mission à son AMO réemploi, ou souscrire aux services d'une plateforme en ligne de vente de matériaux de réemploi.
Troisième option : le mandat de cession donné par le MOA à l'entreprise de travaux ou à un autre acteur
Afin de faciliter les formalités liées à la cession et ne pas alourdir la gestion du chantier, le MOA peut passer un mandat donnant à un prestataire le pouvoir de signer en son nom et pour son compte les contrats de cession des matériaux de réemploi. En pratique, ce mandat peut être inscrit dans le marché de travaux. Attention toutefois, la plupart des assurances « garanties constructeur » souscrites par les entreprises de travaux excluent expressément l'activité de mandataire. Cette mission peut aussi être confiée, selon les cas, à l'AMO réemploi (en complément de la recherche de repreneurs et de la coordination de l'enlèvement des matériaux sur le chantier), ou encore à la maîtrise d'œuvre.
Le mandat peut donc être intégré au marché ab initio ou faire l'objet d'un avenant (sous réserve du respect des conditions du Code de la commande publique - CCP). Une attention particulière doit être portée à ces clauses dont dépendront la validité du mandat - qui conditionne la validité des transferts de propriété - et sa définition. S'agissant de la rémunération de cette prestation, elle peut être forfaitaire, ou correspondre à une part du prix des matériaux vendus (1).
Faut-il créer un lot réemploi ?
Pour prescrire le réemploi, le MOA devra aussi déterminer lors de la rédaction du DCE s'il crée un lot dédié à ces prestations, ou s'il les intègre dans les lots existants. On rappellera que l'allotissement des prestations distinctes est une obligation prévue par l'. Elle sera appréciée au regard de l'opération : ampleur des prestations de réemploi, types de matériaux, planning de l'opération, risque d'infructuosité, etc. La création d'un lot 1 « réemploi » présente l'avantage de faciliter l'accès des acteurs locaux de l'économie circulaire à ces marchés, et peut être l'occasion d'opter pour un lot réservé aux acteurs de l'insertion qui proposent de plus en plus ce type de prestation ().
L'intégration des prestations liées au réemploi dans chaque lot métier se justifie le plus souvent pour des raisons techniques (dépose du bois de charpente ou de tuiles ou d'ardoises par exemple). Le lot « curage » peut également être concerné. Dans ce cas, il est souvent soumis à une clause d'insertion.
Quels justificatifs de traçabilité exiger ?
Le MOA doit d'abord s'assurer que les obligations environnementales qu'il fixe sont vérifiables ( version 2021, art. 20.2), et, à ce titre, contrôler le respect des objectifs fixés aux entreprises en matière de réemploi.
Il doit aussi s'assurer de la bonne gestion des déchets de chantier, et que les matériaux réemployables qui ont quitté le chantier n'avaient pas le statut de déchet (). Enfin, dans certains cas, il doit transmettre au CSTB à l'issue des travaux un formulaire de récolement du diagnostic PEMD portant notamment sur les matériaux réemployés (Cerfa n° 16288*01). Pour ces raisons, il est indispensable de prévoir :
- la transmission dans le dossier des ouvrages exécutés (DOE) d'un bilan du ré-emploi - il peut être conseillé de prescrire la communication du « Tableau 1 -Produits, équipements et matériaux (PEM) réemployés » figurant dans le Cerfa susvisé. Simple mais complet, il sera utile si le MOA doit lui-même le remplir ensuite ;
- la transmission de justificatifs liés à chaque lot réemployé hors du chantier tels le contrat de vente, la fiche de traçabilité, l'attestation de dépôt en point de reprise de la REP, etc. ;
- la fixation de pénalités dissuasives en cas de retard et défaut de transmission de ces éléments.