Cette fiche est la deuxième d'une série de quatre dédiées au réemploi dans les marchés publics qui seront prochainement publiées dans « Le Moniteur » :
Fiche n° 1 : « Intégrer la question du réemploi dès la programmation d'un marché public » (« Le Moniteur » du 3 mai, p. 25).
Fiche n° 4 : « Comment prescrire le réemploi des matériaux dans les marchés de travaux de construction neuve » (« Le Moniteur » du 5 juillet, p. 69).
Le réemploi des matériaux est désormais une obligation pour les maîtrises d'ouvrage (MOA) publiques. Cette question doit être prise en compte dès la programmation (voir fiche n° 1 de cette série). A l'issue de cette étape, le défi de la MOA consiste à l'intégrer dans le marché de conception.
Il s'agit en effet d'un moment clé pour la démarche de réemploi. Historiquement, ce sont les maîtres d'œuvre (MOE) qui ont sensibilisé les maîtres d'ouvrage à cette problématique et porté le sujet à bras-le-corps. Depuis, les MOA s'en sont emparés, mais le rôle des MOE demeure central. Dans les faits, ce sont eux qui permettent de concrétiser l'ambition du donneur d'ordres, ou qui enterrent le projet de réemploi par manque de conviction, d'expertise ou encore de persévérance.
On rappellera qu'un assistant à maîtrise d'ouvrage (AMO) réemploi peut être désigné pour accompagner la MOA dans cette étape de rédaction du marché de conception. Néanmoins, dans la pratique, lorsque le budget est restreint, il est possible de s'appuyer sur des ressources librement accessibles et sur les retours d'expérience d'autres MOA pour rédiger ce marché.
Tour d'horizon des principales questions que doivent se poser les rédacteurs du marché public de maîtrise d'œuvre qui portent une ambition en matière de réemploi.
Comment pallier les lacunes de la phase de programmation ?
Lorsque le diagnostic réglementaire produits, équipements, matériaux et déchets (PEMD) et le diagnostic ressources n'ont pas été réalisés dans le cadre de la phase de programmation, le marché de maîtrise d'œuvre (notamment pour la démolition) permet d'intégrer ces missions complémentaires. En effet, le Code de la construction et de l'habitation (CCH), bien qu'il fixe une règle d'impartialité, ne prévoit pas d'incompatibilité entre la mission de conception et celle de diagnostic PEMD. En outre, la garantie de compétence du diagnostiqueur exigée par ce code sera a priori toujours remplie par les MOE (art. D. 126-12).
Il conviendra, en revanche, de s'assurer que la MOE dispose d'une assurance spécifique pour cette mission, conformément aux exigences du CCH (art. R. 126-12).
Cette solution présente certains avantages. La MOE pourra directement lier la stratégie de réemploi et les autres enjeux de la conception, mais aussi les retranscrire lors de la rédaction des marchés de travaux. Cette solution permet d'optimiser les chances que ces diagnostics ne restent pas lettre morte.
En revanche, un point mérite une attention particulière lors de la rédaction : il faudra clairement distinguer sur le plan technique et financier ces missions de diagnostic économie circulaire de celle d'« études de diagnostic » intégrée dans les missions de maîtrise d'œuvre.
Quelles sont les différentes options possibles pour la prescription du réemploi ?
Concrètement, la MOA peut prescrire le réemploi de manière plus ou moins contraignante dans le cadre du marché de maîtrise d'œuvre.
Première option : la souplesse
La MOA peut se contenter d'exprimer sa volonté de mener une démarche de réemploi, sans inscrire de performance quantitative attendue, et laisser les candidats proposer une réponse adéquate. Dans le même esprit, le marché peut inviter les candidats à proposer une variante intégrant du réemploi ou exiger qu'ils le fassent (art. et du Code de la commande publique [CCP]). Cette option permet de laisser la main à la MOE pour définir techniquement la démarche de réemploi, ce qui permet au MOA de gagner du temps dans le cadre de la rédaction du marché. En revanche, elle impliquera de la part de ce dernier un travail supplémentaire au stade de l'analyse des offres.
Cette façon de procéder est souvent la plus simple pour démarrer sur le sujet du réemploi. Assortie d'un critère environnemental intégrant l'économie circulaire, elle permet de faire émerger des offres intéressantes, tout en allégeant la charge de la MOA s'agissant de la prescription de la démarche de réemploi.
En revanche, elle présente l'inconvénient de ne pas garantir un déploiement ambitieux et le risque de manquer de levier contractuel pour inciter par la suite le maître d'œuvre à s'investir réellement sur le sujet.
Deuxième option : les objectifs
L'option intermédiaire et la plus courante consiste pour la MOA à fixer un objectif chiffré de réemploi, à exiger une performance quantitative, un seuil à atteindre. Par exemple : « Le projet devra intégrer 1 000 m² de revêtement de sol de réemploi » ou encore « 65 % des matières sortantes rejoignent les filières de réemploi ».
Cette solution est souvent la plus pertinente pour laisser à la MOE une part de liberté adaptée à sa mission de concepteur, en lui laissant le choix de définir les moyens et solutions techniques permettant d'atteindre les objectifs chiffrés. Evidemment, la définition de ces derniers constitue un enjeu de taille, et nécessitera une attention particulière de la part des rédacteurs.
Assortir ces objectifs de pénalités est possible, mais restera en pratique difficile à appliquer. En effet, il faudra que leur non-respect soit imputable à la MOE pour pouvoir infliger les pénalités. Or en matière de réemploi, la non-atteinte des objectifs résulte le plus souvent d'une combinaison de facteurs (techniques, économiques, juridiques, logistiques…) et de faits relevant de plusieurs acteurs (entreprise de travaux, fournisseur, assureur, etc.).
Néanmoins, ces dispositions auront l'avantage de permettre à la MOA de mettre en demeure son prestataire si la démarche de réemploi est à la dérive, et de lui rappeler dans ce cadre ces objectifs.
Troisième option : l'obligation précise
La dernière alternative consiste pour la MOA à intégrer une obligation spécifique. Par exemple : intégrer tel matériau de réemploi dans une partie du projet (« intégration d'une charpente métallique de réemploi ») ; veiller à l'extraction de certains matériaux que le MOA souhaite remettre à ses services de maintenance (« dépose préservante des luminaires en vue de leur réemploi »).
Cette option est la plus contraignante et celle qui garantit le plus souvent les meilleurs résultats. Dans le cadre des opérations de démolition ou réhabilitation, elle se justifie lorsque les diagnostics ont conclu à une quantité importante de réemploi sur site, lorsque la MOA veut récupérer certains matériaux pour d'autres opérations ou encore lorsque celle-ci a publié un appel à manifestation d'intérêt pour identifier d'ores et déjà des repreneurs intéressés par les matériaux réemployables identifiés sur l'opération. Dans ce cas, il est indispensable que la MOE intègre ces enjeux dans le projet et le phasage des travaux.
Dans le cadre de la construction neuve, cette hypothèse se retrouve dans les projets les plus ambitieux en matière de réemploi. Généralement, la MOA passe parallèlement un marché d'approvisionnement (accord-cadre de fourniture) pour certains types de matériaux ou réalise un sourcing pour identifier ceux disponibles chez d'autres maîtrises d'ouvrage publiques et dont la dépose coïnciderait avec les besoins de son chantier.
Comment s'assurer des compétences de la maîtrise d'œuvre ?
Dès lors que la MOA fixe des objectifs de réemploi, voire impose des spécifications précises en la matière dans le marché de maîtrise d'œuvre, il est fortement conseillé d'exiger que les candidats disposent de compétences dédiées en la matière au sein de l'équipe. Cette prescription s'avère le plus souvent indispensable pour garantir le succès de l'opération de réemploi. Les compétences doivent être contrôlées via les curriculum vitæ et les références.
L'autre voie qui a pu être utilisée avec succès pour garantir la sélection d'une MOE engagée et compétente dans ce domaine est l'organisation d'un concours de maîtrise d'œuvre avec un jury composé d'experts du réemploi. On rappellera que le recours à cette technique d'achat est possible même dans l'hypothèse où l'organisation d'un concours n'est pas obligatoire au titre du CCP.
Que faut-il exiger sur le plan des assurances ?
En matière d'assurance construction, la crainte la plus récurrente à ce jour concerne le risque de limitation de garantie en cas de sinistre imputable à des matériaux de réemploi, au motif que ce mode constructif ne relèverait pas des techniques courantes de construction auxquelles sont circonscrites la plupart des polices de base.
S'agissant de la MOE, il est important de rappeler que certains assureurs ne limitent pas leurs garanties constructeurs aux techniques courantes de construction (c'est notamment le cas de la SMA et de la MAF).
Les attestations annuelles des intervenants peuvent alors être suffisantes, mais il reste conseillé de demander à l'ensemble des membres de la MOE de produire une attestation spécifique sur la prescription de matériaux de réemploi afin notamment de rassurer l'assureur dommages ouvrage de la MOA.