Décryptage

Marchés publics : déléguer le paiement de ses fournisseurs, un précieux outil anticrise

Ce dispositif offre un relais de trésorerie aux entreprises en sollicitant le maître d'ouvrage.

 

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Il s'agit d'une convention tripartite conclue entre l'entreprise titulaire du marché, son fournisseur et le maître d'ouvrage, par laquelle ce dernier accepte de payer directement le second, pour le compte de l'entreprise, sur ordre et validation préalable de celle-ci.

Les prix de vos matériaux grimpent en flèche, et votre trésorerie s'essouffle ? Une solution, ne payez pas vos fournisseurs ! C'est ce que permet le mécanisme de délégation de paiement - même s'il faudra bien passer à la caisse in fine. Il s'agit d'une convention tripartite conclue entre l'entreprise titulaire du marché, son fournisseur et le maître d'ouvrage, par laquelle ce dernier accepte de payer directement le second, pour le compte de l'entreprise, sur ordre et validation préalable de celle-ci. Les sommes ainsi réglées seront ensuite déduites du montant versé au titulaire en vertu du marché.

Ce dispositif demeure peu connu. Une certaine frilosité des entreprises à révéler l'ampleur de leurs marges, ou la crainte d'une ingérence dans leurs relations avec leurs fournisseurs, pourrait aussi freiner son utilisation. Afin d'encourager sa mise en œuvre, l'Association des acheteurs publics (AAP) a publié en février sur son site Internet un modèle de convention. C'est Arnaud Latrèche, vice-président de l'AAP, qui l'a rédigé. « Dans ma collectivité [le conseil départemental de Côte-d'Or, NDLR], nous avons conclu de tels protocoles deux fois, à la demande de titulaires qui se trouvaient en difficulté. Désormais, nous souhaitons mettre cet instrument en avant. Notre nouvelle charte PME, adoptée en avril, précise que le département s'engage à accepter toute demande de délégation de paiement sollicitée par une entreprise pour ses fournisseurs. »

   Les sommes réglées seront ensuite déduites du montant versé au titulaire

Faire des stocks. L'outil se pare de nombreuses vertus. « Nous n'avons pas eu besoin d'y recourir, mais il peut être très intéressant pour des PME/TPE avec une trésorerie fluctuante, estime Jean-Pierre Maille, responsable adjoint du service juridique de l'entreprise de second œuvre Brunet. Aujourd'hui, les prix augmentent très vite, il faut donc faire des stocks pour bloquer les tarifs. Cette délégation va permettre à un titulaire de ne pas décaisser de la trésorerie pour des matériaux qui seront utilisés des semaines plus tard ».

En ces temps où la concurrence pour l'accès aux fournitures est rude, se prévaloir de la délégation de paiement peut aussi aider à convaincre les négoces de faire affaire. « Ils auront la certitude d'être réglés, et de façon plus rapide, pointe Arnaud Latrèche, puisqu'ils bénéficieront du délai de paiement à trente jours applicable aux maîtres d'ouvrage publics. » En fin de compte, pour Jean-Pierre Maille, cette délégation de paiement est de nature à encourager davantage d'entreprises à se lancer et participe ainsi à « rétablir une égalité d'accès à la commande publique ».

Le dispositif semble « simple à mettre en place si tout le monde est d'accord », salue David Morales, vice-président en charge des questions économiques à la Capeb, qui œuvre à en populariser l'utilisation auprès de ses adhérents. Du côté des collectivités, rassure Arnaud Latrèche, « l'exécutif peut signer la convention sans délibération spécifique s'il bénéficie d'une délégation générale en matière de marchés publics ».

Du cas par cas. Quant au moment idéal pour instaurer la délégation de paiement… Il n'y en a pas ! Elle peut être proposée d'entrée de jeu aux titulaires, comme le fait la Côte-d'Or. Ou en cours d'exécution du marché, « en cas de difficulté particulière et si l'on veut aller un peu plus loin que les avances et acomptes sur approvisionnement prévus par le CCAG travaux pour aider le titulaire », illustre Emilie Frey, directrice adjointe de la commande publique à la métropole du Grand Reims. Elle estime que cela doit rester du cas par cas. Si de l'avis général, la mesure à mettre en œuvre en priorité est l'acompte sur approvisionnement, la délégation de paiement complète utilement la panoplie d'outils. « On peut même cumuler les deux pour un même marché, selon les approvisionnements, » note Arnaud Latrèche.

Reste à voir si les acteurs du BTP s'en empareront. Grégory Pacaud, adjoint au maire de Pipriac (Ille-et-Vilaine), relate ainsi une expérience récente. Pour un marché de travaux, la mairie a « bâti un dossier de consultation innovant, en offrant notamment la possibilité de bénéficier de cette délégation de paiement. Mais force fut de constater que cela n'a eu aucun effet, puisque nous avons dû déclarer les lots infructueux. La mesure n'a pas suffisamment rassuré les entreprises, qui ont pour certaines présenté des offres au double des estimations de l'AMO, ni incité de nouveaux opérateurs à candidater. » Malgré tout, l'élu se dit convaincu de l'utilité du dispositif, persuadé que les entreprises sont passées à côté en lisant trop vite le règlement de consultation. Il entend « le valoriser via la presse locale pour le lancement d'un prochain marché de travaux ».

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