Installé par la loi de programmation pour l’égalité réelle outre-mer (Erom) du 28 février 2017, et son décret d’application du 31 janvier 2018, le dispositif expérimental du Small Business Act ultramarin (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte Réunion, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna, Polynésie française, Nouvelle Calédonie, Terres australes et antarctiques françaises [1]) prévoyait :
- la possibilité, pour les acheteurs ultramarins, de réserver un tiers de leurs marchés aux "petites et moyennes entreprises locales". Avec une limite cependant : le montant total des marchés ainsi conclus au cours d’une année ne pouvait excéder 15 % du montant annuel moyen des marchés du secteur économique concerné conclus au cours des trois années précédentes.
- l’obligation, pour chaque candidat ultramarin, dans les cas où le montant du marché public était supérieur à 500 K€ , de présenter à l’appui de son offre un plan de sous-traitance aux PME locales, sauf s'il était lui-même une PME.
Le dispositif devait permettre aux PME et surtout aux TPE locales d’accéder plus facilement aux marchés publics, qu’elles candidatent directement ou qu’elles interviennent en qualité de sous-traitants.
Cinq plus tard, alors que l’expérimentation touche à sa fin (la première mesure s’est éteinte le 28 février 2022, la seconde s’éteindra le 31 mars prochain), il est difficile de tirer des conclusions sur l’efficacité de la mesure.
Très peu de publicité donnée au bilan de l'expérimentation
Alors même que le décret d’application prévoyait, dans son article 4, qu’au terme de l’expérimentation et au plus tard le 31 décembre 2022, les ministres chargés de l'économie et de l'outre-mer assurent le suivi et l'évaluation de l'expérimentation et remettent au Premier ministre un rapport conjoint d'évaluation, ce dernier n’a pas fait l’objet de publication sur les sites du gouvernement.
Au travers d’une réponse du ministre délégué chargé de l’industrie, Roland Lescure, lors de la séance des questions orales à l'Assemblée nationale le 10 janvier 2023, on comprend que l’expérience n’aura pas été concluante. « Malheureusement, force est de constater que l’expérimentation n’a pas rencontré de succès, puisque seuls 4 % des acheteurs s’en sont saisis – en raison, notamment, d’un risque juridique lié à l’imprécision du texte adopté, et du flou quant aux secteurs économiques concernés. Étant donné qu’il est peu utilisé sur le terrain, nous ne voyons pas d’intérêt à proroger le dispositif en l’état. »
Une imprécision juridique intrinsèque qui a freiné les acheteurs
Euphémisme, tant les imprécisions du texte avaient laissé quelque peu perplexes les commentateurs juridiques et acheteurs publics : quelle définition d’une PME locale ? Quels secteurs économiques devaient être pris en compte pour calculer la limite des 15 % par an ? Pouvait-on, dans la présentation du plan de sous-traitance, valablement motiver le non-recours aux PME locales non pas du fait de leur absence mais par le défaut de compétences avérées dans le secteur concerné ?
Et surtout, quel risque de recours prenait-on à appliquer ce dispositif ?
Il est vrai que le Conseil d’Etat, dans un avis consultatif du 3 août 2016 sur le projet de loi Erom, avait pris soin de rappeler que les politiques publiques sont invitées à « tenir compte » des caractéristiques et des contraintes particulières des collectivités, en rappelant les articles 73 de la Constitution française et 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Ces deux articles permettent d’arrêter ou d’adapter des mesures spécifiques aux caractéristiques et contraintes particulières des régions ultramarines – en particulier les surcoûts – générées notamment par leur éloignement, leur insularité, leur climat, leur faible superficie et leur dépendance économique vis-à-vis d’un nombre limité de produits.
Mais, avec moins de 4% des marchés concernés, les acheteurs ultramarins sont restés prudents.
Un dispositif qui n’a pu jouer pleinement du fait de la crise mondiale
Un autre élément plus conjoncturel a joué en défaveur de l’expérimentation. Selon un avis du Conseil économique social et environnemental (Cese), donné dans le cadre du plan de relance et de la déclinaison territoriale dans les outre-mer de février 2022, les vagues épidémiques successives, mêmes entrecoupées de reprises, n’ont pas permis, pour beaucoup de PME et TPE locales, de recréer des résultats et de la trésorerie leur permettant d’honorer leur obligations fiscales et sociales. Or, les entreprises qui ne sont pas à jour de leurs obligations fiscales et sociales ne sont pas éligibles aux marchés publics.
Certes, des consignes de souplesse avaient été données pour considérer que les entreprises ayant bénéficié de reports de cotisations et d’impôts, selon les modalités prévues par les mesures d’urgence, devaient être considérées comme à jour de leurs obligations. De la même manière, celles qui avaient sollicité et obtenu un plan d’étalement et qui respectaient leurs autres obligations, devraient être considérées dans la même situation, sans avoir besoin de demander des dérogations. Mais il semblerait que cela n’ait pas été suffisant.
Un mécanisme à exploiter dans le cadre du verdissement de la commande publique ?
Par-delà l’aspect économique et malgré son efficacité relative, l’expérimentation a eu le mérite et l’audace d’introduire une entorse claire et sans ambiguïté au principe d’égalité de traitement, socle du droit de la commande publique, qui peine aujourd’hui à trouver des solutions efficaces pour accompagner le défi climatique tout en accompagnant les PME.
Le localisme – à de rares exceptions, est formellement interdit dans l’espace européen des marchés publics. Or la promotion de l’achat local, réclamé par nombre d’opérateurs économiques et d’associations, répond également à des préoccupations environnementales et écologiques. On sait que le législateur européen, un temps tenté par un Small Business Act à l’américaine (voir la tentative du SBA européen de 2008), reste fidèle aux engagement pris par l’Accord sur les Marchés Publics de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), qui impose notamment l’absence de discrimination et une concurrence internationale loyale, en s’interdisant notamment d’accorder de quelconques privilèges.
On sait également que le juge européen et le juge administratif français censurent régulièrement les conditions d'exécution ou les critères d'attribution reposant sur l'origine des produits ou l'implantation géographique des entreprises.
En France, le projet de loi de réindustrialisation verte qui doit être présenté par Bruno Le Maire à l’été, et dont un des axes thématiques portera sur les leviers de la commande publique pour favoriser le « Fabriquer en France », apportera certainement de nouvelles dispositions… et de nouvelles questions.
(1) Les outre-mer français se répartissent en deux statuts reconnus par l’Union européenne : « Régions ultrapériphériques » (RUP), Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Mayotte et Saint-Martin, qui doivent respecter l’acquis communautaire et parvenir aux standards européens en matière de normes ; et « Pays et territoires d’outre-mer » (PTOM), Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Saint Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna, qui ne font pas partie du territoire européen et bénéficient du fonds européen de développement réparti par secteur ou par projets.