Marchés publics : comment obtenir du juge la désignation d'un expert

Avantages comparés du référé instruction et de la demande dans le cadre d'un contentieux.

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Désigné par le juge, indépendant et disposant de compétences techniques pointues, l'expert peut apporter des réponses précises aux parties et rendre ainsi plus aisée la résolution amiable ou contentieuse d'un litige. Il peut être désigné par le biais d'un référé ou dans le cadre d'un contentieux devant le juge du fond. La jurisprudence administrative vient régulièrement préciser les conditions de recours à l'expert. Au vu des exigences posées par le juge, il appartient au requérant de justifier sa demande et, au-delà, de s'interroger sur le moment le plus opportun pour la formuler.

La mesure d'expertise

L'expertise peut porter sur une grande variété de sujets, étant rappelé qu'il n'appartient évidemment pas à l'expert de répondre à des questions juridiques. Son intervention doit permettre au demandeur, mais aussi au juge et aux autres parties, de disposer des éléments techniques propres à permettre ou à tout le moins à faciliter le règlement du différend. Dans le cadre de marchés de travaux, sa mission consiste généralement à fournir un avis sur l'origine de désordres, de dommages, de retards dans l'exécution de l'opération, ou encore sur les responsabilités encourues ou le préjudice subi. L'expert peut également se prononcer sur les travaux destinés à mettre un terme aux désordres affectant un ouvrage. En de rares cas, l'expertise peut revêtir uniquement un objet financier. Le juge peut également charger ce professionnel de mener une conciliation entre les parties.

Le référé instruction

Tout d'abord, l'expert peut être désigné dans le cadre de la procédure de référé instruction prévue à l' (CJA) et couramment appelée « référé expertise ». Cet article dispose que « le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ». Pour être accordée, l'expertise doit ainsi présenter un caractère « utile ». Il en va de même de chacun des chefs de mission que le demandeur souhaite voir confier. Ainsi que le Conseil d'Etat l'a rappelé dans une décision récente (, mentionné aux tables du Recueil), cela doit s'apprécier à deux égards.

Utilité pour le demandeur. En premier lieu, l'expertise doit apparaître nécessaire pour le demandeur. Celui-ci ne doit pas déjà posséder ou être en mesure d'obtenir les éléments qu'il espère voir collecter par l'expert. Ainsi, est dépourvue d'utilité une demande d'expertise formée par le titulaire d'un marché de travaux qui porterait sur la recherche des difficultés de réalisation de l'opération à raison « des défaillances dans l'organisation du chantier, [des] carences d'information et [du] retard des autres intervenants » (). Le juge considère en effet que le demandeur peut se débrouiller seul pour recueillir les éléments de preuve nécessaires à la démonstration du bien-fondé de ses prétentions.

Litige actuel ou à venir. En second lieu, le recours à l'expert doit présenter un caractère utile pour le demandeur dans la perspective d'un litige actuel ou à venir. Cela conduit le juge des référés à écarter une demande d'expertise au soutien d'une future action au fond qui serait irrecevable (incompétence du juge administratif, forclusion en raison des clauses contractuelles…) ou prescrite. Reste que ce juge peut faire droit à une demande alors même qu'un contentieux est seulement éventuel, le demandeur n'ayant encore engagé aucune action contentieuse ou précon-tentieuse à l'encontre des autres parties. Ainsi, il est possible d'obtenir la désignation d'un expert alors que ni la réception des travaux, ni la procédure de règlement définitif du marché ne seraient intervenues.

Le recours à l'expert doit présenter un caractère utile pour le demandeur dans la perspective d'un litige actuel ou à venir.

Rédaction soignée. L'exigence d'utilité de l'expertise commande au demandeur de rédiger sa requête avec soin. Il doit faire état, sinon d'un différend, à tout le moins de divergences sérieuses avec les autres parties à l'opération de travaux, impliquant des conséquences matérielles et/ou financières significatives. Dans bon nombre de cas, le dépôt d'un mémoire de réclamation au sens d'un CCAG suffira à caractériser ce différend. Le demandeur doit démontrer que sa résolution implique de disposer d'un avis technique que les intervenants à l'opération de travaux ne peuvent fournir, en raison notamment d'un désaccord ou d'incompétence sur le plan technique. Il doit être d'autant plus vigilant s'agissant de la rédaction de sa demande que le défendeur peut avoir intérêt, dans le cadre d'une stratégie précontentieuse ou contentieuse globale, à contester fermement l'utilité de l'expertise sollicitée.

L'expertise dans le cadre d'un contentieux

L'expertise peut également être ordonnée par le juge, dans le cadre d'un contentieux en cours, sur le fondement de l' qui dispose que « la juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ». Elle peut donc intervenir à l'initiative du juge et sans même avoir été sollicitée par les parties au litige. Contrairement à la procédure de référé, elle peut également être demandée par le défendeur. Dans le cadre d'un contentieux relatif à une opération de travaux, elle est généralement le fruit d'une action indemnitaire du maître d'ouvrage ou des constructeurs.

Pertinence à justifier. Même si cette condition ne figure pas expressément à l'article R. 621-1, il convient que l'expertise soit justifiée sous peine d'entacher d'irrégularité la décision avant-dire droit prononcée par le juge. Elle doit permettre d'apprécier la pertinence des éléments dont se prévalent les parties mais elle ne saurait pallier leur carence dans l'administration de la preuve. Elle ne doit donc pas revêtir de caractère frustratoire et doit être utile à la résolution du litige. Il appartient au demandeur à l'expertise, qu'il soit requérant ou défendeur, de justifier de la pertinence de la mesure qu'il sollicite - laquelle pourra être contestée par les autres parties.

Le choix entre les deux procédures

La question se pose de savoir quel mode de désignation de l'expert privilégier. Le recours au référé instruction présente deux avantages par rapport à une désignation par le juge du fond.

D'abord et comme indiqué précédemment, il peut être formé en présence d'un différend qui n'est pas nécessairement d'ordre contentieux. L'intervention de l'expert peut justement prévenir ce contentieux dans la mesure où l'intervention d'un tiers indépendant et technicien peut favoriser un accord amiable entre les parties. Cette perspective est d'autant moins négligeable que l'avis de l'expert est très généralement suivi par le juge au moment d'apprécier le bien-fondé des prétentions du demandeur.

Ensuite, la procédure de référé est relativement rapide, avec un délai allant de quelques semaines à quelques mois pour obtenir la désignation d'un expert. Le demandeur pourra obtenir la désignation d'un homme de l'art sans attendre une décision hypothétique du juge du fond. Cette rapidité présente un intérêt majeur dans les hypothèses où les désordres ou les dommages sont évolutifs, ce qui permettra d'ailleurs de caractériser l'utilité de la mesure sollicitée.

Jeux de calendrier. Sauf circonstances particulières, la jurisprudence considère que l'expertise demandée en référé est dépourvue d'utilité lorsqu'elle peut être obtenue auprès du juge du fond, c'est-à-dire lorsqu'un contentieux est déjà engagé devant celui-ci. Une fois le contentieux commencé, la possibilité pour le demandeur d'obtenir la désignation d'un expert en référé est donc très restreinte. A l'inverse, rien ne l'empêche, en cas de rejet de sa demande d'expertise en référé, de présenter une nouvelle demande au moment de saisir le juge du fond. Dans tous les cas, une expertise complémentaire peut toujours être ordonnée par le juge dans le cadre de l'instance au fond.

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