S'il existe un trésor caché au sein des collectivités territoriales, il ne réside pas tant dans leur infaillibilité face aux procédures collectives ou dans leur immunité relative d'exécution que dans leur patrimoine immobilier sous-exploité ou parfois même délaissé.
Aussi est-il tentant de pouvoir associer à un projet de construction publique un volet privé de valorisation foncière. Le but est d'obtenir de l'opérateur attributaire une « recette garantie » venant en déduction du prix du contrat public de travaux. En général, les recettes de valorisation se décomposent en recettes garanties, qui bénéficient intégralement au projet public (et donc à l'acheteur), et en recettes variables avec une clé de partage entre les deux partenaires. Par suite, le critère financier du jugement des offres est apprécié au regard du coût global net du volet public, c'est-à-dire net de la soulte perçue ou à percevoir (au titre de la recette garantie issue de la valorisation immobilière) par le titulaire.
Location et cession. Dans cette perspective, deux modalités de valorisation doivent être distinguées : - soit le titulaire du contrat public est autorisé à consentir à des tiers une location de longue durée (par exemple sous forme de bail emphytéotique administratif, de bail emphytéotique de droit commun ou encore de bail à construction) sur une parcelle désaffectée attenante (ou non) aux constructions publiques en transférant des droits réels au preneur avec retour des biens édifiés et maintenus au terme du bail ; - soit le titulaire est autorisé à procéder à la cession en pleine propriété de la parcelle bâtie ou non bâtie (après désaffectation et déclassement du bien du domaine public s'il y a lieu) à un acquéreur, après l'avoir lui-même acquise auprès du pouvoir adjudicateur.
La valorisation, au cœur des marchés de partenariat et des concessions
Mais la faisabilité juridique d'une telle valorisation foncière adossée au volet public d'un contrat global n'est pas équivalente en marché de partenariat ou en contrat de concession d'une part, et en marché public global d'autre part.
Marchés de partenariat. En effet, cette faculté de valorisation est explicitement prévue par les textes applicables au marché de partenariat. Les articles L. 2233-1 à L. 2233-3 du Code de la commande publique (CCP) autorisent les parties à recourir à l'une ou l'autre des deux options de valorisation, que ce soit sous forme locative ou au moyen d'une « double » cession en propriété.
Ainsi, la collectivité publique peut autoriser le titulaire du marché de partenariat à « consentir des autorisations d'occupation du domaine public », à « consentir des baux de droit privé pour des biens appartenant au domaine privé et à y constituer tous types de droits réels à durée limitée », ou encore « à procéder à des cessions pour des biens qui lui ont été préalablement cédés ».
Contrats de concession. Les textes relatifs aux contrats de concession n'autorisent expressément que la formule locative de la valorisation immobilière des biens du concédant, et non la cession en pleine propriété (article L. 3132-3 du CCP).
Cependant, et sous réserve que le concessionnaire ne prenne pas à sa charge des services ou des travaux totalement étrangers à l'objet de la concession (article L. 3114-1 du CCP), il ne nous paraît pas interdit qu'il se procure des recettes tierces au moyen de la revente et de la promotion de biens qui lui seraient cédés par le concédant dès lors que ces biens seraient en lien (par exemple, géographique ou fonctionnel) avec les biens ou l'objet de la concession.
Des marchés publics globaux muets sur la question
En ce qui concerne les marchés globaux ou semi-globaux, et en particulier les marchés globaux de performance, les textes qui leur sont applicables ne prévoient pas explicitement cette possibilité. Certains auteurs (1) et praticiens (2) l'ont à juste titre relevé, tout en reconnaissant au titulaire d'un tel marché la possibilité de se procurer des recettes annexes et, le cas échéant, d'en tenir compte dans le calcul du prix du marché.
Mise en concurrence. Mais la plupart de ces commentateurs ne se prononcent pas directement (3) sur la faisabilité juridique d'une mission supplémentaire incluse dans un marché global de performance à la charge du titulaire et consistant, non pas à valoriser sur le marché les surcapacités des installations édifiées pour les besoins du contrat, mais à « commercialiser » certains biens immobiliers appartenant au pouvoir adjudicateur. La difficulté n'est pas tant celle du paiement en nature ou en « droits » (de louer ou de revendre) d'une partie du prix du marché global de performance, que celle du non-allotissement de la mission de commercialisation immobilière.
Fragilité juridique relative. Par conséquent, les schémas contractuels associant marché public global et valorisation foncière nous paraissent comporter une faiblesse en lien avec l'analyse juridique suivante : il ressort de la confrontation des textes que, lorsque les règles de la commande publique entendent permettre la valorisation des biens du pouvoir adjudicateur, elles l'autorisent expressément. Aussi, par un raisonnement a con trario, le recours à une telle valorisation ne serait pas permis pour les marchés publics classiques, y compris pour les marchés globaux de performance, puisque les textes les concernant n'en disent mot ( article L. 2171-4 du CCP).
Cette analyse est confirmée par les dispositions spécialement adoptées pour les marchés globaux sectoriels passés par la Société du Grand Paris. Selon le nouvel article L. 2171-6 du CCP, cette dernière « peut confier à un opérateur économique une mission globale portant sur tout ou partie de la conception, de la construction et de l'aménagement des infrastructures du réseau de transport public du Grand Paris […], sur les opérations de construction et de valorisation immobilière non directement liées aux infrastructures précitées qui relèvent de sa compétence ainsi que sur la maintenance des éléments qui sont remis en gestion à Ile-de-France Mobilités […] ».
Surtout, dans la mesure où les marchés globaux de performance constituent, par leur objet, une dérogation au sacro-saint principe d'allotissement des marchés publics (article L. 2171-1 du CCP), il convient d'interpréter strictement les missions pouvant être confiées au titulaire d'un tel marché. Or, le législateur en a limité le champ à la conception, la réalisation et à l'exploitation -maintenance sans mentionner d'autres activités ou missions telles que la valorisation de biens appartenant à l'acheteur public (article L. 2171-3 du CCP).
Enfin, certaines collectivités publiques ont exprimé leurs réserves sur ce point. Par exemple, la commission permanente du conseil régional d'Ile-de-France a considéré, s'agissant du plan d'urgence de rénovation des lycées franciliens et du recours au marché de partenariat, que « le marché de performance ne permet pas de confier des missions de valorisation à son titulaire » (4).
Le choix d'un montage dissocié
A titre alternatif, l'acheteur pourrait mener de front, d'une part, la passation d'un marché global de performance sans valorisation immobilière et, d'autre part, une procédure de sélection directe du locataire de longue durée (ou encore une opération de cession en pleine propriété, après désaffectation et déclassement des biens s'il y a lieu). Mais il s'agirait d'opérations distinctes, à mener par la collectivité propriétaire elle-même. Elle assumerait alors les risques de calendriers distincts et supporterait l'intégralité du portage du prix du marché global de performance dans l'attente de percevoir le produit de la cession ou le loyer éventuellement capitalisé de la mise en location.
Le plus souvent, le projet pris dans son ensemble (volet public et volet privé) est constitué d'opérations « à tiroirs », par exemple, la construction d'un nouvel hôtel de ville avec valorisation de l'ancien bâtiment. De ce fait, les biens à valoriser ou à commercialiser ne seront disponibles qu'une fois désaffectés, ce qui suppose que les constructions nouvelles à édifier par le titulaire du marché global de performance aient été réceptionnées. Par suite, le portage financier pèsera sur l'acheteur durant toute la procédure de passation du marché global et durant toute la période contractuelle de conception-réalisation - voire davantage, en cas de retard de réception des ouvrages non imputables au titulaire.
Dans ce schéma alternatif, il n'est juridiquement pas exclu de faire peser sur le titulaire l'essentiel du préfinancement de l'ouvrage à réaliser, voire son intégralité. En effet, le versement des avances et des acomptes ne constitue qu'un droit pour le titulaire (article R. 2191-1 et suivants du CCP), auquel il semble pouvoir renoncer.
Un printemps des PPP
Quoi qu'il en soit, la comparaison avec le marché de partenariat - et dans une moindre mesure, avec le contrat de concession -n'est pas favorable au marché global de performance.
Dans le cadre d'un marché de partenariat ou d'une concession avec valorisation immobilière privée, l'acheteur (ou le concédant) peut, au prix d'une seule procédure de mise en concurrence, sélectionner à la fois l'attributaire du contrat public et le preneur (ou l'acquéreur) proposé par ce dernier sur la base d'un cahier des charges établi par la personne publique et annexé au dossier de consultation des entreprises. Cette formule permet à l'autorité publique contractante de « contrôler » le choix du preneur ou de l'acquéreur, et de faire l'économie d'une seconde procédure de sélection qui s'imposerait de droit (en présence d'un bail domanial) ou de fait pour la cession du bien.
Dans ces conditions, il ne serait pas surprenant que le relatif regain des projets publics à valorisation immobilière s'inscrive dans un printemps (incertain) des PPP.