Maîtriser les vibrations des passerelles piétonnes

La construction de passerelles de plus en plus élancées rend nécessaire la maîtrise de leur comportement dynamique. Sous sollicitation du vent, d’une part, et du trafic piétonnier, d’autre part. De nombreuses recherches visent à mieux comprendre l’interaction piétons/passerelle. Car s’il est possible de travailler sur la structure elle-même, la meilleure solution reste un système d’amortissement sur mesure prévu dès la conception.

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Une passerelle piétonne est un ouvrage trompeur. Derrière l’apparente simplicité de son cahier des charges – permettre le passage de piétons, de cyclistes, voire de cavaliers – s’expriment des phénomènes vibratoires complexes. Des phénomènes mis en exergue sur des ouvrages audacieux comme les passerelles Solférino à Paris (1999) et Millenium Bridge à Londres (2000). A l’époque, une question était sur toutes les lèvres : n’aurait-on pas pu prévoir ces vibrations ? « La conception de nouvelles structures pour de nouveaux usages révèle toujours certains phénomènes plus ou moins connus, explique Bernard Vaudeville, directeur du bureau d’études RFR à Paris. On peut imaginer qu’élever un immeuble à un kilomètre de haut ferait apparaître de nouvelles problématiques. D’ordre constructif mais aussi physiologique. »

La construction d’une passerelle piétonne urbaine est un jeu d’acteurs : d’un côté, des villes à la reconquête de leurs cours d’eau, qui entendent réserver une plus grande place aux piétons ; de l’autre, des architectes et des ingénieurs qui poussent les matériaux dans leurs derniers retranchements. Enfin, des usagers qui attendent de ces ouvrages un certain confort. « L’implantation de la passerelle est primordiale, rappelle Bernard Vaudeville. Selon qu’elle est en pleine ville ou en rase campagne, le piéton n’en attendra pas le même confort et tolérera plus ou moins bien les vibrations. »

Haro sur les vibrations horizontales.

Les problèmes de vibrations mis en évidence sur les grandes passerelles concernent également des ouvrages de portée plus modeste. Car c’est son élancement - le rapport entre la portée et la hauteur - et non sa portée seule qui rend une passerelle plus ou moins sensible aux vibrations. Des vibrations de deux types : verticales et horizontales. Les piétons marchent à une fréquence verticale moyenne de 2 Hz, soit 2 pas par seconde, ce qui se traduit par une fréquence horizontale de l’ordre de 1 Hz. Toutes les fréquences autour de ces valeurs doivent donc être étudiées. Le ressenti des vibrations varie d’une personne à l’autre et il est beaucoup plus fort pour les vibrations horizontales que verticales.

Pour s’affranchir du phénomène, la solution pourrait être des passerelles dont la fréquence propre tend vers 5 Hz. « Cela reviendrait à concevoir systématiquement des ouvrages massifs et très rigides, affirme Marc Mimram, architecte. Il faut accepter de recourir à des systèmes d’amortissement et les prévoir dès la conception. » L’enjeu consiste donc à mieux comprendre les phénomènes vibratoires pour élaborer des règles de dimensionnement dynamique et des critères spécifiques au confort des piétons. Le groupe de travail AFGC-Setra sur le comportement dynamique des passerelles travaille actuellement à la définition de classes de passerelles en fonction du trafic piétonnier attendu et de la localisation géographique de l’ouvrage.

Tirer les leçons du passé.

Aux dires des spécialistes, l’interaction entre une foule et une passerelle est certainement un sujet aussi complexe à appréhender que l’action du vent. Avec cette difficulté supplémentaire qu’aucun test à échelle réduite - à l’image de ce qui se fait en soufflerie - n’est réalisable. Une des principales difficultés est de prévoir le comportement de la foule car les piétons adaptent leur mouvement à celui de la passerelle. Ensuite, parce qu’en fonction du nombre de personnes qui parcourent la passerelle, de nouveaux phénomènes font leur apparition. Le professeur japonais Fujino de l’université de Tokyo a été parmi les premiers à étudier l’interaction entre une foule et une passerelle et « de nombreuses recherches ont ensuite été menées sur la passerelle du Millenium Bridge de Londres par le bureau d’études Arup, en collaboration avec l’université de Southampton », rappelle Bernard Vaudeville.

A partir d’une certaine densité de piétons, on considère qu’au moins une partie d’entre eux commence à marcher au même rythme. Cette synchronisation partielle, à une fréquence proche de celle de l’ouvrage, a pour effet de le mettre en vibration. Peu à peu, chacun des piétons va adapter sa marche aux oscillations de la passerelle, ce qui ne fait qu’amplifier le phénomène. C’est le « lockin effect », la « synchronisation forcée ». Les valeurs admissibles d’accélérations verticales pour un ouvrage urbain varient de 0,5 m/s2 (confort maximal, cas de chargement courant) à 2 m/s2 (confort minimal, cas de charge exceptionnel). Pour les accélérations horizontales, ces valeurs deviennent 0,15 m/s2 à 0,8 m/s2.

« Un constat éloquent a été réalisé sur les passerelles du Millenium à Londres et de Solférino à Paris, lors de leurs inaugurations, explique Bernard Vaudeville. Alors que l’ouvrage était chargé de manière très dense, il apparut que les piétons furent gênés dans leurs mouvements et marchèrent de ce fait très lentement, à des fréquences bien en dessous de celles usuellement considérées. Ce phénomène fut combiné avec une tendance des piétons à zigzaguer, se synchronisant alors sur les mouvements de l’ouvrage, comme sur le pont d’un bateau, augmentant par là même la charge sur la passerelle et donc ses oscillations. »

Des amortisseurs propres à chaque structure.

Dans ces conditions, certains concepteurs indiquent qu’il est possible de rendre la structure plus « amortissante » en y créant des zones de frottements, en préférant des assemblages boulonnés aux assemblages soudés… Sans que rien pour autant ne vaille l’efficacité d’un amortisseur. Il en existe de plusieurs sortes - amortisseur à balancier, amortisseur de masse accordé… - qui tous ont en commun d’être fabriqués sur mesure. « Chaque solution d’amortissement est propre à la structure et ne peut être entièrement prévue par le calcul », prévient Marc Mimram. « Il s’agit de régler l’usage, de travailler sur la circulation piétonnière. Ce qui suppose la compréhension du maître d’ouvrage et une certaine souplesse budgétaire et contractuelle », ajoute Bernard Vaudeville.

Reste que, de l’avis général, ces phénomènes complexes révélés par certains ouvrages ne doivent pas remettre en cause l’élan d’innovation propre aux passerelles. Gageons que les concepteurs sauront mettre à profit l’amélioration des connaissances et des outils de calcul et de fabrication pour faire naître des passerelles toujours plus audacieuses.

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