Atteindre l'objectif ambitieux de la neutralité carbone d'ici 2050 nécessite d'actionner dès aujourd'hui tous les leviers permettant d'accélérer la transition énergétique. Dans ce grand dessein, l'accroissement dans le mix énergétique de la part des énergies renouvelables joue un rôle décisif. Or, le développement des technologies de production d'énergie à partir de sources renouvelables a jusqu'ici reposé, dans une large mesure, sur des mécanismes de soutien public destinés à amorcer le mouvement en encourageant les opérateurs économiques à investir. Pourtant, la maturité acquise dans certaines filières renouvelables, associée à la diminution des coûts de production, ouvre la voie depuis quelques années à une transition progressive de ces dispositifs incitatifs vers un recours accru aux moyens de financement privés.
C'est ainsi qu'au titre des mesures transversales de financement des énergies renouvelables et de récupération et de partage de la valeur, le projet de loi relatif à l'accélération de la production d’énergies renouvelables définitivement adopté le 7 février 2023 institue – enfin, remarqueront certains – un cadre juridique propre aux contrats de vente directe entre producteurs et consommateurs finaux d'énergie (ou gestionnaires de réseaux pour leurs pertes).
Ces contrats, souvent désignés sous l'abréviation CPPA (corporate power purchase agreement) ou PPA, sont généralement conclus pour de longues durées (15 à 20 ans en pratique) entre des producteurs assurant le financement, la construction et l'exploitation de centrales de production d'énergie (électricité ou gaz) et des clients finals, le plus souvent industriels, qui s'engagent à acquérir l'énergie produite pour les besoins de leur consommation.
En période de turbulences sur le marché et de forte volatilité des prix de l'énergie, on mesure l'intérêt que les opérateurs économiques peuvent trouver à disposer d'un tel outil offrant dans la durée à la fois une sécurisation des revenus côté producteurs, et une stabilité d'approvisionnement côté clients associée à une visibilité sur les prix d'achat. En outre, si les CPPA ne sont pas réservés aux "énergies propres", force est de constater qu'un nombre croissant de clients notamment industriels cherchent à "verdir" leur approvisionnement en énergie et trouvent dans le CPPA un instrument idoine pour bénéficier d'une énergie décarbonée à un prix prévisible, dont ils peuvent par ailleurs se prévaloir pour soigner leur image et leur réputation.
C'est pourquoi, après le lancement en novembre 2022 d'un fonds de garantie opéré par Bpifrance destiné à couvrir partiellement certains risques inhérents au CPPA, notamment celui de contrepartie (défaut de paiement de l'acheteur), il convenait de créer un cadre juridique qui leur soit propre et qui était du reste demandé par les acteurs du marché. C'est désormais chose faite avec un cadre juridique clarifié et un dispositif fiscal incitatif, sous réserve d'une éventuelle censure du Conseil constitutionnel (dans l'hypothèse probable où il serait saisi).
Un cadre juridique clarifié
Répondant à l'objectif de fournir un cadre clair et sécurisé pour lever l'incertitude inhérente au recours aux CPPA, le projet de loi précise les conditions dans lesquelles s'exerce la vente d'électricité par les producteurs aux consommateurs finals en subordonnant d'abord cet exercice à la délivrance d'une autorisation administrative.
L'article L. 333-1 du Code de l'énergie est ainsi modifié pour préciser qu'au même titre que les fournisseurs pour leur activité d'achat d'électricité pour revente, les producteurs concluant un contrat de vente directe d'électricité à des consommateurs finals ou à des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes doivent être titulaires d'une autorisation délivrée par l'autorité administrative à partir du 1er juillet 2023. Les CPPA conclus avant cette date sont exonérés de cette obligation.
A défaut pour le producteur d'en être lui-même titulaire, le CPPA pourra désigner un tiers (producteur ou fournisseur) titulaire d'une telle autorisation pour qu'il assume, par délégation, vis-à-vis des consommateurs finals les obligations incombant aux fournisseurs d'électricité (information du client, garanties de capacités d'effacement de consommation et de production d'électricité, etc.).
Les modalités concrètes d'application seront précisées par décret pris après avis de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), ce qui est cohérent avec la nouvelle mission qui lui est, par ailleurs, impartie de surveiller les transactions effectuées par les producteurs en application d'un CPPA.
Le projet de loi ouvre ensuite la possibilité de soumettre des offres mixtes dans le cadre des procédures de mise en concurrence en modifiant, à cette fin, l'article L. 311-12 du Code de l'énergie. Les candidats participant aux procédures qui seront lancées après publication de la loi pourront ainsi remettre des offres combinant CPPA et contrat d'achat ou contrat de complément de rémunération pour la vente de l'électricité produite, comme cela est déjà le cas dans d'autres pays (Danemark notamment). Cela devrait à l'évidence accélérer la conclusion de CPPA dans le domaine des énergies renouvelables. Un dispositif similaire est prévu pour les appels d'offres et appels à projets dans les secteurs du biogaz, du gaz renouvelable et du gaz bas-carbone.
Afin de permettre à la CRE d'exercer sa mission de surveillance, les producteurs d'énergie ayant conclu un CPPA à l'issue des procédures précitées devront lui transmettre les éléments contractuels, financiers, techniques ou opérationnels dans un délai de deux mois à compter de la conclusion, de la modification ou de la survenance de tout événement affectant le CPPA.
Le projet de loi offre enfin aux pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices la possibilité, dans les conditions prévues par le Code de la commande publique, de recourir à un CPPA pour répondre à leurs besoins en énergie (électricité, biogaz, gaz renouvelable ou gaz bas-carbone) produite à partir de sources renouvelables, ce qui répond au souhait exprimé par différents acteurs (associations professionnelles, élus locaux) de pouvoir conclure des marchés publics portant sur l'achat d'énergie verte.
Les CPPA de ces catégories particulières d'acheteurs pourront être des contrats de vente directe "à long terme", ce qui vise à garantir que les dispositions du Code de la commande publique, en particulier celles portant sur la durée, ne feront pas obstacle à leur conclusion. Leur durée sera ainsi "définie en tenant compte de la nature des prestations et de la durée d'amortissement des installations nécessaires à leur exécution, y compris lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'acquiert pas ces installations".
Un dispositif fiscal incitatif
Dans le souci de faire émerger un marché des CPPA, le projet de loi prévoit de rendre applicable pendant une durée de six ans (entre 2023 et 2028) le dispositif d'amortissement exceptionnel de 50% pour l'acquisition de titres de sociétés agréées qui ont pour activité l'acquisition de contrats d'approvisionnement à long terme d'électricité (dispositif jusqu'ici limité aux sommes versées avant le 1er janvier 2012), étant précisé que l'agrément ne peut désormais être délivré que si ces contrats sont conclus avec EDF ou avec des producteurs proposant un approvisionnement en électricité produite à partir de sources renouvelables.
Le texte élargit, en outre, aux mêmes sociétés agréées d'approvisionnement en électricité le bénéfice de la déductibilité des charges financières du montant de l'impôt sur les sociétés prévue à l'article 212 bis du Code général des impôts, sous réserve de l'appréciation par la Commission européenne de la conformité de cette extension avec le droit des aides d'Etat.
Avec ce cadre juridique clarifié assorti d'un dispositif fiscal incitatif – certes non applicables aux zones non interconnectées –, les CPPA devraient permettre d'accroître le développement des technologies de production d'énergie à partir de sources renouvelables, et concourir activement à la transition énergétique conformément à l'objectif du législateur.