Décryptage

Loi Climat et résilience : la commande publique passe(ra) au vert

Divers leviers sont mis en œuvre : encadrement des spécifications techniques, des conditions d'exécution, des critères d'attribution, etc. Mais les mesures n'entreront en vigueur que dans plusieurs années.

 

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La dite « loi Climat et résilience » a été publiée le 24 août, faisant écho à la parution du nouveau rapport alarmant du Giec le 9 août dernier. Alors que la prise de conscience de l'urgence climatique est de plus en plus marquée, cette loi ajoute une nouvelle pierre à l'édifice visant à ériger la commande publique en instrument de préservation de l'environnement et de limitation des atteintes susceptibles d'y être portées.

Une composante devenue indispensable. Le Code de la commande publique (CCP) ne prévoyait jusqu'alors que des mesures incitatives sur le sujet. La prise en compte du développement durable (économie, social, emploi, lutte contre les discriminations, environnement) n'était qu'une simple faculté, tant au niveau de la définition des conditions d'exécution des contrats, que du choix des critères de jugement des offres. Dès lors, l'environnement ne se distinguait pas réellement des deux autres composantes du développement durable.

Avec la loi Climat et résilience, l'environnement prend de l'importance, devenant ainsi une composante indispensable de la passation et de l'exécution des marchés publics et des contrats de concession (hors concessions de défense et de sécurité) [1]. Décryptage.

Le développement durable comme principe directeur de la commande publique

La commande publique obéit à de grands principes directeurs. Ceux-ci sont codifiés à l', lequel dispose que tout acheteur ou autorité concédante doit respecter les principes d'égalité de traitement des candidats, de liberté d'accès à la commande publique et de transparence des procédures.

L'article 35-I de la loi Climat et résilience assigne une direction à l'achat public, qui n'est certes pas nouvelle, mais qui mérite d'être perçue désormais comme une trajectoire obligatoire : le développement durable. D'application immédiate, le nouvel prévoit en effet que « la commande publique participe à l'atteinte des objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale, dans les conditions prévues par le présent code ».

Désormais, compte tenu de cette formulation et de l'emploi du terme « et », c'est bien l'ensemble des trois composantes du développement durable (économique, sociale, environnementale) que tout contrat de la commande publique semble devoir prendre en considération cumulativement. De facto, les aspects sociaux et environnementaux deviennent des éléments incontournables en matière d'achat public.

Des spécifications techniques visant des objectifs sociaux et environnementaux

Le respect de ce triptyque, qui compose le développement durable, trouve une traduction au niveau de la portée des spécifications techniques des contrats.

Les articles L. 2111-2 (marchés publics, exceptés ceux de défense ou sécurité) et L. 3111-2 (contrats de concession) du CCP sont en effet complétés et imposent que ces spécifications « prennent en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ». L'emploi de la conjonction de coordination « et » permet à nouveau d'insister sur l'obligation de prendre en considération tant la dimension sociale qu'environnementale. La date d'application de cette nouvelle obligation, qui sera fixée par un décret, est toutefois différée au 24 août 2026 au plus tard.

Rappelons que les spécifications techniques définissent les caractéristiques mêmes des travaux, fournitures ou services objet du contrat. Elles sont formulées dans le contrat par référence à des normes et/ou par l'assignation de performances ou d'exigences fonctionnelles précises (R. 2111-8 du CCP), ou encore, par référence à un ou plusieurs labels (R. 2111-13). Elles peuvent également faire référence à des processus ou méthodes spécifiques de production ou à tout autre processus lié à un stade de leur cycle de vie (R. 2111-4).

Matériaux biosourcés ou bas carbone. Enfin, l'article 39 de la loi impose, à partir du 1er janvier 2030, qu'au moins 25 % des rénovations lourdes et des constructions relevant de la commande publique, et dépassant un montant défini par décret, utilisent des matériaux biosourcés ou bas carbone.

Il s'agit là sans doute d'une performance qu'il conviendra de rappeler et d'inclure au titre des spécifications techniques des travaux, à moins que cette exigence et ce taux ne soient définis dans une norme à laquelle les contrats pourraient se référer.

Des conditions d'exécution « vertes » obligatoires

En outre, la loi opère un réel renforcement des dispositions en faveur de l'environnement s'agissant des conditions d'exécution définies par les clauses contractuelles. En vertu de la nouvelle rédaction des articles L. 2112-2 (marchés publics hors défense ou sécurité) et L. 3114-2 (concessions), « les conditions d'exécution prennent en compte des considérations relatives à l'environnement […] ». Des conditions d'exécution vertes doivent donc obligatoirement être prévues dans tous les contrats, quels que soient leur nature (travaux, fournitures, services) ou leur montant.

S'agissant des marchés de défense ou de sécurité, la prise en compte de considérations environnementales par les clauses du contrat (conditions d'exécution) n'est en revanche qu'une simple faculté (nouvel article L. 2312-1-1).

On notera que la loi Climat et résilience part du postulat, à tort ou à raison, que tout contrat de la commande publique, nonobstant le segment d'achat sur lequel il porte, est en mesure de comporter des conditions d'exécution vertes et n'admet aucune atténuation de ce principe.

Une prise en compte secondaire du domaine social

Le volet social du développement durable n'a pas été laissé de côté par la loi, mais reste bien en retrait par rapport à la prise en compte de l'environnement, explicitement priorisé. En effet, contrairement aux clauses vertes, devant obligatoirement être incluses dans tous les marchés publics et concessions, les articles et du CCP disposent que les conditions d'exécution « peuvent également prendre en compte des considérations relatives à l'économie, à l'innovation, au domaine social, à l'emploi ou à la lutte contre les discriminations ». Il ne s'agit donc, pour les acheteurs publics, que d'une simple possibilité.

Il convient de rappeler par ailleurs que, bien que les clauses du contrat définissant des conditions d'exécution portant sur le domaine social, l'emploi ou la lutte contre les discriminations soient facultatives, les spécifications techniques des travaux, fournitures ou services devraient néanmoins prendre en compte, notamment, une dimension sociale (objectifs de développement durable). Cette interprétation semble pouvoir reposer sur la formulation des articles et du CCP et sur la distinction opérée entre les conditions d'exécution et les spécifications techniques.

Dispositif renforcé au-delà des seuils européens. Les articles L. 2112-2-1 (marchés publics hors défense et sécurité) et L. 3114-2-1 (concessions) prévoient toutefois que les conditions d'exécution des contrats dont le montant estimé est supérieur aux seuils européens doivent prendre en compte des considérations relatives au domaine social ou à l'emploi.

Cependant, une dérogation à cette obligation est admise pour les marchés publics dans quatre hypothèses, à charge pour l'acheteur de motiver ce choix dans le rapport de présentation (pour les pouvoirs adjudicateurs) ou par tout moyen (pour les entités adjudicatrices) : « 1° Le besoin peut être satisfait par une solution immédiatement disponible ; 2° Une telle prise en compte n'est pas susceptible de présenter un lien suffisant avec l'objet du marché ; 3° Une telle prise en compte est de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement ou économiquement difficile l'exécution de la prestation ; 4° Lorsqu'il s'agit d'un marché de travaux d'une durée inférieure à six mois. » S'agissant des contrats de concession, seules deux hypothèses dérogatoires sont prévues (l'autorité concédante devant également justifier par tout moyen approprié son choix de ne pas inclure des conditions d'exécution sociales dans le contrat) : - l'absence de lien suffisant entre les conditions d'exécution « sociales » et l'objet du contrat de concession ; - lorsque de telles conditions d'exécution risquent de restreindre la concurrence ou de rendre l'exécution du contrat plus difficile d'un point de vue technique ou économique.

La date d'application de ces nouvelles obligations portant sur la définition des conditions d'exécution sera également fixée par décret, et au plus tard au 24 août 2026.

Ainsi, la loi Climat et résilience procède à une certaine forme de hiérarchisation de la prise en compte des composantes du développement durable, en accordant à l'environnement une place incontournable et prépondérante.

Critère d'attribution environnemental obligatoire

Cette place privilégiée de la préservation de l'environnement trouve son apogée au stade de l'analyse des offres. La loi met ainsi fin à la possibilité de retenir le critère unique du prix afin d'identifier l'offre économiquement la plus avantageuse pour les marchés publics de services ou de fournitures standards (en travaux, le choix du critère unique du prix était déjà interdit depuis l'abrogation du Code des marchés publics le 1er avril 2016). Les articles L. 2152-7 (marchés publics hors défense et sécurité) et L. 3124-5 (concessions) du CCP imposent de prévoir parmi les critères d'attribution au moins un prenant en compte les caractéristiques environnementales de l'offre.

Cette obligation vise le choix des critères principaux de jugement des offres : les acheteurs et les autorités concédantes ne pourront donc pas se contenter de retenir de simples sous-critères environnementaux, si les critères auxquels ils se rapportent ne portent pas eux-mêmes sur cette considération. S'agissant des marchés publics, si l'acheteur décide de choisir un critère unique, il ne pourra retenir que le critère du coût global et inclure obligatoirement une dimension environnementale au titre de l'analyse de ce critère. Cette obligation sera applicable au plus tard le 24 août 2026.

De fait, l' sera sans doute modifié prochainement afin de supprimer la possibilité de retenir le critère unique du prix prévue par son point a) du 1°.

Montée en compétences. Cependant, le législateur a fait le choix de ne pas énumérer précisément les caractéristiques environnementales devant être prises en compte au titre des critères d'attribution des contrats, laissant une certaine souplesse aux acheteurs et aux autorités concédantes pour choisir ce qui leur paraît le plus approprié selon leurs besoins.

Par conséquent, la panoplie des compétences des acheteurs va devoir s'enrichir. Il leur incombera de recenser les avantages environnementaux que l'offre des opérateurs pourrait leur apporter sur tels ou tels segments d'achats (notamment via le sour-cing…), ce qui leur permettra de choisir un ou plusieurs critères verts pertinents.

Ils devront également être en mesure d'analyser les mérites respectifs des offres et de noter la performance environnementale de celles-ci. Cette expertise est loin d'être acquise par tous les acheteurs et nécessitera sans doute de recourir à des prestataires spécialisés, étant précisé que le choix même de ces prestataires sera également soumis à une analyse environnementale.

Ces nouvelles obligations impactent également certains opérateurs positionnés sur des prestations éloignées pour le moment de ces considérations environnementales (prestations intellectuelles, assurances…) ; ces derniers devront parvenir à développer et formaliser une valeur ajoutée verte à leur offre.

Analyse du coût du cycle de vie. Par ailleurs, afin de faciliter l'analyse des offres sur la base du coût global, l'article 36 de la loi prévoit que l'Etat mette à disposition des acheteurs, au plus tard le 1er janvier 2025, des outils leur permettant de définir et d'analyser le coût du cycle de vie des produits des principaux segments d'achats.

Ces outils permettront notamment de déterminer le coût global lié à l'acquisition, l'utilisation, la maintenance et la fin de vie des biens. Ils intégreront également, pour certains achats, les coûts externes supportés par l'ensemble de la société sur l'environnement (pollution atmosphérique, gaz à effet de serre, déforestation, etc.). Ces outils devraient permettre d'avoir une grille de lecture claire des caractéristiques environnementales des offres et de simplifier leur analyse en les monétisant.

Spaser : une publicité élargie et un contenu précisé

Les schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser) ont été institués par l' relative à l'économie sociale et solidaire, dont les dispositions ont été codifiées à l'. L'établissement de ce schéma est obligatoire pour les acheteurs soumis au code dont le montant total annuel des achats excède 100 M€ HT (article D. 2111-3).

Désormais, la publicité des Spaser est renforcée par une mise en ligne sur le site Internet des acheteurs (s'ils en ont un) afin de valoriser ces achats et de diffuser les bonnes pratiques. De plus, les Spaser doivent comporter des indicateurs précis portant sur le nombre ou la valeur des achats écoresponsables ou comportant une dimension sociale, ainsi que la part qu'ils représentent parmi l'ensemble des achats. Ces schémas devront en outre préciser des objectifs cibles pour chacune de ces deux catégories, notamment pour les commandes passées à des entreprises solidaires d'utilité sociale agréées ou des entreprises employant des personnes défavorisées. Ces nouvelles mesures entreront en vigueur le 1er janvier 2023.

Un modèle de rédaction pour 2024. En outre, conformément à l'article 35, VI de la loi, d'ici au 22 août 2024, le gouvernement devra remettre un rapport au Parlement portant sur l'évaluation des marchés publics écologiquement et socialement responsables passés par les acheteurs soumis à l'adoption d'un Spaser. Ce rapport devra également proposer un modèle de rédaction de ce schéma.

Un nouveau motif d'exclusion de la commande publique aux contours incertains

La loi Climat et résilience crée un nouveau motif d'exclusion de la procédure de passation des contrats, laissé à l'appréciation de l'acheteur ou de l'autorité concédante.

Les nouveaux articles L. 2141-7-1 (marchés publics) et L. 3123-7-1 (contrats de concession y compris de défense ou sécurité) du CCP permettent d'exclure les entreprises qui « ne sont pas en mesure de présenter un plan de vigilance dûment réalisé » l'année qui précède celle de l'engagement de la consultation.

Ce plan, défini par l', contient les mesures de vigilance propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains, les libertés fondamentales, la sécurité et la santé au travail ainsi que l'environnement dans le cadre de l'activité de la société. Il est obligatoire pour les sociétés et leurs filiales établies en France qui cumulent au moins 5 000 salariés et pour celles qui compte, avec leurs filiales, au moins 10 000 salariés quel que soit le pays d'implantation du siège social de ces entités.

Toutefois, les articles susvisés précisent que l'éviction de l'opérateur n'est pas systématique dans la mesure où elle « ne peut être de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement ou économiquement difficile l'exécution de la prestation ». Ces nouvelles dispositions entreront en vigueur au plus tard le 24 août 2026.

Conséquences sur le dossier de candidature. La portée et les conditions de mise en œuvre de ce nouveau dispositif mériteraient d'être précisées. La question se pose notamment de déterminer si les opérateurs soumis à l' sont tenus de produire le plan de vigilance au titre de leur candidature, ce que laissent entendre les nouveaux articles susvisés du CCP. Si tel est le cas, les dispositions réglementaires de ce dernier qui définissent les documents justificatifs et autres moyens de preuve de l'absence de motifs d'exclusion devraient être complétées en conséquence.

Un « verdissement » néanmoins limité de la commande publique

La commande publique représentant 8 % du PIB, soit 200 milliards d'euros d'investissement par an, il est légitime qu'elle soit elle aussi impactée par les politiques écologiques. Elle est un levier jusqu'ici peu exploité de la transition écologique malgré son impact certain sur l'environnement.

Cependant, les mesures instituées par la loi Climat et résilience peuvent paraître faibles face à l'urgence climatique et de préservation de l'environnement à laquelle nous faisons face. En effet, certaines critiques émergent, notamment sur l'application différée des principales mesures.

De plus, les obligations aujourd'hui insérées dans le CCP laissent finalement une grande latitude aux acheteurs et autorités concédantes pour choisir le contenu même des clauses contractuelles et ce qu'ils entendent valoriser au titre du critère environnemental. La pratique dévoilera si les clauses et critères retenus par ceux-ci sont à la hauteur des enjeux. A défaut de réelles volontés et d'ambitions sur ce sujet, il n'est pas certain qu'en cas de contestation des choix opérés par les donneurs d'ordres, la seule urgence climatique ou la nécessité de préserver l'environnement suffisent à convaincre les juges.

Agir sur la production. Toutefois, bien que la commande publique puisse être utilisée comme un levier d'action en faveur de l'environnement, faire peser sur les seuls consommateurs - que sont les acheteurs et autorités concédantes - une obligation d'achats écoresponsables n'est sans pas doute pas suffisant (ni efficace ?). Peut-être conviendrait-il d'agir davantage sur la production des biens et des produits dont l'empreinte écologique est considérable ou encore sur la fiscalité ou sur les taxes, ce qui, convenons-en, n'est pas toujours une tâche aisée dans une économie mondialisée. En attendant, les acheteurs et autorités concédantes veilleront à éviter d'acheter certains biens et produits, qu'il n'est pourtant pas interdit de vendre…

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