Les zones humides urbaines montent en pression

Les zones humides ont besoin des villes. Le club urbanisme bâti et biodiversité l’a démontré le 20 octobre lors de sa 33ème rencontre. Les échanges sur les milieux humides dans l’aménagement urbain n’ont pas caché les obstacles auxquels se confronte la France, pour atteindre son objectif entre 2021 et 2030 : doubler la surface des zones humides protégées, pour la porter à 220 000 hectares. Dans les franges urbaines, des résultats prometteurs encouragent un réseau en plein essor.

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Dans le bassin versant de La Bièvre au sud de Paris, la révision du schéma d'aménagement et de gestion des eaux consolidera la protection de 250 ha de zones humides.

Le diable se cache dans les détails, et les protecteurs des zones humides le vérifient. Avec les 59 dispositions du Plan d’aménagement et de gestion durable (PAGD) de son Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) adopté en 2017, le syndicat mixte du bassin versant de la Bièvre (SMBVB) croyait avoir construit un rempart efficace pour préserver ses 250 hectares de zones humides, soit 1 % de son territoire situé au sud de Paris…

Des failles dans le plan

Cinq ans plus tard, la commission locale de l’eau remet pourtant le Sage sur le métier, au moyen d’une révision simple qui aboutira en 2023. La protection prend l’eau par plusieurs fissures : l’intérêt général de l’opération d’intérêt national du plateau de Saclay ; les zones humides non inventoriées ; la définition trop vague des « impossibilités techniques » qui ouvrent le droit à compenser à 150 % des biotopes détruits, hors du bassin versant.

« La nouvelle version protégera les zones humides non inventoriées de plus de 30 m2, au moment de l’instruction des projets par la police de l’eau », annonce Maëva Rodier, directrice du SMBVB. Une définition stricte de l’intérêt public majeur et de nouveaux seuils de compensation devraient limiter les fuites. En cas d’impossibilité de compenser dans le bassin versant, la barre s’élèvera à 250 % des zones humides amputées.

Des communes désarmées

Mais malgré la prise en compte du Sage par les plans locaux d’urbanisme (PLU) communal ou intercommunal (PLUI), des maillons faibles subsistent à toutes les échelles : « Les communes n'ont pas les moyens d'instruire le volet Zone humide des permis de construire. Dans la procédure de révision de son schéma directeur, la région Ile-de-France n’identifie pas systématiquement les zones humides, avant de définir les sites d’urbanisation prioritaires », regrette Maëva Rodier.

Pourtant, une « petite révolution » se prépare, à en croire Mylène Goux, directrice de projet « Approches environnementales intégrées » au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) : « Attendue pour 2023, la carte des potentiels  des zones humides complétera les inventaires locaux pour donner une bien meilleure vision », annonce-t-elle.

Arsenal réglementaire en progrès

L’outil national permettra aux collectivités de cibler leurs efforts sur les zones à urbaniser. « Encore faut-il qu’elles s’assurent des compétences naturalistes des bureaux d’études qu’elles missionnent pour la rédaction de leur plan d’aménagement et de développement durable », avertit la directrice de projet.

En amont de la technique, la volonté politique constitue la première clé, illustrée par l’objectif assigné au PLUI de Nantes Métropole : « Conforter la trame bleue ». En aval d’un tel principe, les outils ne manquent pas, depuis le zonage indicié, mis en œuvre par Le Porge (Gironde), jusqu’au coefficient de biotope, en passant par les espaces réservés que la collectivité prévoit de maîtriser au fur et à mesure des opportunités, comme le montre l’exemple du PLU de Champlan (Essonne). Enfin, les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) permettent d’affiner la planification de la trame bleue jusqu’à l’échelle parcellaire.

Des courbes déprimantes

Ces outils suffiront-ils à inverser la courbe tracée par les statistiques du centre de ressources coordonné par l’Office français de la biodiversité? « 67 % des zones humides françaises ont disparu, entre 1960 et 1990 », rappelle Pierre Caessteker, chargé de mission. La tendance se confirme, à en croire la ligue pour la protection des oiseaux : « 41 % des sites humides emblématiques ont subi des dégradations entre 2010 et 2020. L’urbanisation en constitue la cause majeure », a déclaré Julie Courtemanche, responsable du service Nature et proximité, le 20 octobre en introduisant la 33ème rencontre du club Urbanisme, bâti et biodiversité.

Malgré ces statistiques peu encourageantes, le resserrement des liens et l’accumulation des restaurations réussies entretiennent la détermination des acteurs. « Depuis 2020, le groupe de travail Zones humides et urbanisme a mobilisé 60 structures », témoigne Cyrielle Brand, directrice de projets à l’Association nationale des élus de bassin. Cette dernière anime les échanges à toutes les échelles de l’action publique, avec des professionnels de l’aménagement issu des collectivités comme de l’ingénierie privée, pour casser les fonctionnements en silo et diffuser les bonnes pratiques.

Le phare des communes Ramsar

Autre réseau émergeant : les "villes des zones humides" ou « villes Ramsar ». Six communes françaises détiennent ce nouveau label accordé depuis 2018 par les Nations unies à des villes contigües aux territoires répertoriés par la Convention sur les zones humides d’importance internationale, signée le 2 février 1971 à Ramsar (Iran).

Les mesures de restauration figurent parmi les six critères qui conditionnent l’entrée dans cette élite. Pont-Audemer (Eure) en a montré l’exemple à travers des effacements de barrage, des passes à poissons ou des reméandrements de cours d’eau. De même, les cheminements et espaces publics aménagés le long de la Somme par Amiens ont contribué à sa labellisation.

La parabole du Clos Soutard

L’appropriation des espaces verts et humides par tous les vivants, humains et non humains, apporte une joie contagieuse au paysagiste concepteur Arnault Delacroix. Parmi les nombreux exemples qu’il se plaît à partager, la prairie du Clos Soutard, à Saumur (Maine-et-Loire), résonne comme une leçon d’urbanisme adapté aux événements météorologiques extrêmes. A la place d’un ancien dépôt de déchets inertes adjacent à une école, le terrain d’aventure se déploie depuis 2018 autour d’une mare où les micro-organismes et les arbres filtrent les eaux pluviales du quartier.

« Autrefois, les réseaux saturés envoyaient leurs excédents dans les caves. En juin dernier, un événement pluvieux fort a inondé la ville et déformé ses trottoirs, sauf dans le quartier du Clos Soutard où la zone d’infiltration ne s’est remplie qu’au tiers », témoigne le paysagiste.

La démonstration de La Rochelle

Parmi les exemples développés le 20 octobre, le marais de Tasdon, à La Rochelle (Charente-Maritime) se distingue par ses dimensions : sur 84 hectares, les travaux menés en 2020 et 2021 ont mobilisé 4,8 millions d’euros, pour inverser le processus de dégradation des milieux consécutifs à la fin de l’exploitation saline, dans les années 1930, puis aux progrès de l’urbanisation…

« La première année, la population a eu du mal à comprendre l’objectif écologique des 170 000 m3 de terrassement qui donnait au site l’aspect d’un chantier autoroutier. Il a fallu attendre les premières crues, en 2021, pour prendre la mesure de la transformation du paysage », relate Eric Pesme, directeur adjoint de la ville, chargé du paysage et du patrimoine naturel.

Mariage de compétences

Montage sur barges de pelles à grands bras, création d’îles et de talutages doux, reconstitution du lit et des méandres d’une rivière côtière : sous la maîtrise d’œuvre de Cépage et d’Hydratec, l’opération a offert une démonstration de savoir-faire en génie écologique et hydraulique.

Le mariage de ces compétences se prolonge dans la gestion de la zone centrale, où la ville se coordonne avec l’agglomération pour laisser passer l’eau de mer sans risquer les inondations.  Les premiers inventaires récompensent l’effort : 54 espèces d’oiseaux se reproduisent avec succès, y compris les avocettes élégantes, échasses blanches et petits gravelots.

Les promesses de Lieusaint

En région parisienne, la restauration écologique du bassin de décantation de l’ancienne sucrerie de Lieusaint (Essonne), offre une référence tout aussi impressionnante. Pour réaliser ce que le directeur de l’urbanisme Lionel Raynaud désigne comme « Notre petite Camargue », il aura fallu quatre ans et trois millions d’euros de travaux après le diagnostic de 2011, sous la maîtrise d’ouvrage de l’Etablissement public d’aménagement (EPA) de Sénart. Grâce au remodelage pensé par Cépage et qui inclut une butte panoramique, les 200 000 m3 de terrassement n’auront entraîné aucune sortie de déblais.

La réussite se vérifie dans la suite de l’histoire : converti à l’idée d’éviter plutôt que de compenser les dommages environnementaux, l’EPA a décidé de prendre le temps de redessiner l’écoquartier de l’eau vive, après le classement d’un fossé drainant en cours d’eau. Les travaux, programmés en 2023, mixeront l’habitat des humains, de la faune et de la flore, dans deux hectares de bocage urbain ponctués de passerelles et de noues paysagères, à proximité de la Znieff.

Egalement partie prenante de la maitrise d’œuvre de cette opération, Cepage a profité de la rencontre du 20 octobre pour nouer le contact avec la LPO, dans la perspective d'engager le quartier dans la démarche Refuge LPO, initié par cette association qui chapeaute le club Urbanisme, bâti et biodiversité. Un signe de plus de la spirale vertueuse où s'engouffrent les acteurs des zones humides urbaines.

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