Quand deux parkings servent de vitrine à un quartier sans voiture, il devient urgent d'inventer de nouveaux mots pour les désigner : les « centrales de mobilité » de L'Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) répondent à ce besoin. Du vélo à la recharge de véhicules électriques, de la réversibilité à la production photovoltaïque, en passant par les services logistiques ou l'autopartage, les deux ouvrages mettent en évidence une mutation : le stationnement de voitures individuelles est devenu un service parmi d'autres dans l'offre des constructeurs de parkings. Et le mouvement s'amplifie. « L'expérience de notre première centrale de mobilité nous conduit à renforcer le stationnement sécurisé pour les vélos, et notamment les vélos cargos de plus en plus nombreux », signale Georges Oliveira, chargé de la programmation des espaces publics à Plaine Commune.
L'établissement public territorial a confié les opérations à l'aménageur Plaine Commune Développement. Chiffré à 5,7 millions d'euros HT et soutenu par le programme Investissements d'avenir, le second équipement entrera en service en 2024. Au débouché du pont sur la Seine, les sept niveaux et les façades métalliques structurelles expriment la fonction de signal urbain, développée par l'architecte Martin Duplantier.
Objectif « 100 000 bornes ». Pour les infrastructures de recharge des véhicules électriques (Irve), l'accélération résulte plus de l'impulsion politique que des utilisateurs : la loi d'orientation des mobilités (LOM) impose l'équipement de 5 % des places de stationnement en 2025. Posé par le plan France Relance, l'objectif de « 100 000 bornes en 2021 » accélère le tempo, au point de pousser la Fédération nationale des métiers du stationnement (FNMS) à réagir.
Distributeurs d'électricité, les parkings deviennent aussi producteurs. Inauguré en février dernier par la communauté d'agglomération Porte de France Thionville (Moselle) après un investissement de 6,3 millions d'euros financé à 50 % par l'Etat du Luxembourg pour réduire le trafic transfrontalier, le nouveau parking-relais de surface de Thionville-Metzange pourrait ajouter 23 000 m2 d'ombrières solaires à ses 764 places. Assistante au maître d'ouvrage, la Société d'équipement du bassin lorrain a lancé un appel à manifestation d'intérêt dans ce but. Mais la vocation énergétique ne se limite pas aux ouvrages en surface : les toitures des parkings silos s'y convertissent également à pas accéléré, après l'annonce gouvernementale d'un abaissement de 1 000 à 500 m2, du seuil au-delà duquel la pose de panneaux solaires ou la plantation de végétaux sur 30 % des surfaces couvertes est obligatoire.

La végétalisation des toitures des silos sera-t-elle la prochaine étape ? Celle réalisée par le spécialiste de l'agriculture urbaine en toiture Topager à l'hypermarché Carrefour de Villiers-en-Bière (Seine-et-Marne) n'a guère fait d'émules, malgré l'ouverture de la loi biodiversité à cette option. Il est vrai que les espaces verts nécessitent surveillance et entretien, alors que les toitures photovoltaïques génèrent des recettes. Mais quand la volonté politique locale prime sur des logiques purement financières, le parti végétal peut revenir par la fenêtre des projets immobiliers. En témoigne, à Strasbourg (Bas-Rhin), la consultation lancée par la société publique locale des Deux-Rives sur l'îlot Starlette : les groupements candidats rivalisent d'imagination pour placer les parkings dans l'économie circulaire, avec une production maraîchère destinée à enrichir l'offre de la supérette intégrée à l'opération.
- 3 millions de places, dont 1,3 million réglementées.
- 200 M€ d'investissements annuels.
- 97 % du temps de vie d'une voiture se passe en stationnement.
(source : FNMS)
L'enjeu des eaux pluviales. La gestion des eaux pluviales est aussi un enjeu crucial pour les parkings des zones commerciales. Distributeur pour la France des pavés en plastique recyclé développés par l'allemand TTE et fabriqués en Belgique, O2D Environnement crée depuis une quinzaine d'années des surfaces perméables, végétalisées ou non. « Nous posons désormais 200 000 m2 de dalles par an », note son directeur Olivier Bataille. Le chantier en cours sur 1 700 m2 le long du magasin Lidl d'Abbeville (Somme) illustre le nouvel horizon de cette technique, associée en fondation à un textile laissant passer l'eau : « L'association des dalles TTE avec l'aquatextile Geoclean garantit l'infiltration d'une eau dépolluée des hydrocarbures », soutient Jean-Pascal Mermet, président de TenCate AquaVia, qui apporte ce complément de solution.
Mais l'approche industrielle de l'infiltration n'a pas que des défenseurs : fort de plus de vingt ans d'expérience dans les parkings de surface végétalisés, Michel Benard, président du bureau d'études Elleny, regarde avec ironie l'engouement pour les structures alvéolaires ultralégères (Saul) et autres systèmes de gestion intégrée des eaux pluviales (Giep). « La plupart des bureaux d'études envisagent l'infiltration comme un trou, alors qu'elle offre l'opportunité d'un arrosage », estime l'ingénieur, coauteur d'un guide publié au début de cette année avec le paysagiste Jean-Marc Bouillon pour le syndicat de la grande distribution Perifem, avec le soutien de l'agence de l'eau Seine-Normandie (lire « Le Moniteur » du 16 avril 2021).
Cette approche rustique se retrouve dans la rénovation des 206 places réparties sur 5 100 m2 à livrer pour la fin juin 2021 aux abords du Décathlon de Vannes (Morbihan). Une application qui passe par un partenariat avec la Ville, gestionnaire du talus routier situé en aval : les eaux pluviales arrosent les plantations municipales, tout en soulageant les réseaux d'assainissement.
« La magie de l'écosystème permet de filtrer les petites particules d'hydrocarbures », proclame Christophe Chenevière, directeur de la construction de l'enseigne pour l'Ouest de la France. Au passage, le maître d'ouvrage économise 17 000 euros de grilles avaloirs.
Un parking silo préfabriqué et démontable. Ces mutations interviennent dans une conjoncture porteuse : « Jamais nous n'avons répondu à autant d'appels d'offres », se réjouit Maud Leforestier, présidente de l'agence d'architecture La/Ba, spécialiste de la mobilité. « Nous n'avons pas vraiment connu l'habituel creux du cycle électoral, car les renouvellements de concession obéissent à d'autres rythmes », analyse Michèle Salvadoretti, directrice générale de l'opérateur de parkings Q-Park.
L'attractivité du marché favorise l'innovation, comme en témoigne le premier prix décroché le 8 avril dernier au Forum national des éco-entreprises par Park & Play, dans la catégorie Bâtiment et construction durable. La récompense offre une rampe de lancement au procédé breveté de parking-silo démontable, entièrement préfabriqué et compatible avec l'installation de 100 places en dix jours, compte tenu de l'absence de fondations. Les planchers en bois lamellé-croisé contribuent /place par an, « soit 67 % de mieux qu'un silo en béton », avance Eric Raddaz, directeur général de la start-up et de sa société sœur Gagnepark, leader français des parkings métalliques. L'innovation technique se décline dans le modèle économique, fondé sur la location comme sur la vente, avec des installations pérennes ou événementielles.
Sur le marché logistique et industriel, le rachat, en 2019, du spécialiste du clés-en-main GSE par le constructeur métallique allemand Goldbeck annonce une bataille serrée. « Nous y avons répondu par l'accord de partenariat du 30 mars dernier avec OpenBox Co Design & Build, pour pouvoir intégrer nous aussi des silos dans des offres complètes, sur des emprises foncières resserrées », explique Colin Olszak, directeur du développement des parkings du luxembourgeois Astron, numéro trois des silos métalliques en France derrière le groupe Briand et Gagnepark. Avec le soutien de l'Etat luxembourgeois, ce constructeur annonce pour la fin de l'année le démarrage d'un projet démonstratif sur deux points clés : la recyclabilité de la structure métallique et la réversibilité de la destination de l'ouvrage, en logements ou bureaux.
Des innovations dans le génie civil. La conquête du marché passe par l'optimisation de la conception, comme en témoigne MBAcity : grâce aux algorithmes, l'application Parkyze développée par ce spécialiste du BIM permet d'augmenter le nombre de places, de réduire le coût des opérations et d'y intégrer les prescriptions réglementaires. « Dans le domaine de la construction, Parkyze réinterprète la technologie Generative Design, souvent utilisée dans les industries automobile et aéronautique », affirme Alexandre Bazin, directeur de l'innovation et du développement de MBAcity. Une vingtaine de projets portés par des promoteurs immobiliers ont rodé Parkyze depuis 2019. Ses développeurs prévoient de monter une société dédiée d'ici à la fin de l'année.
La course à l'innovation ne s'arrête ni à la préfabrication, ni aux technologies numériques : les entreprises traditionnelles de génie civil y apportent aussi leur part, comme le montre le plus grand chantier en cours à la Saemes, concessionnaire de la Ville de Paris depuis 2018 pour la gestion du parking Haussmann-Berri, dont la réhabilitation s'achèvera à la fin de cette année. Pour creuser les six niveaux du futur ascenseur, l'entreprise principale Technirep a décidé de se passer des pelles mécaniques et de proposer une variante moins bruyante et moins carbonée : « Un pont roulant que nous avons conçu nous-mêmes », s'enorgueillit Fabrice Breton, directeur d'exploitation. Pour rentabiliser l'investissement, Technirep compte sur de futures opérations. La mutation promise aux parkings de la génération du tout-automobile justifie le pari.