Dans l’inextricable fouillis de genets et d’arbres à papillons qui ont colonisé la carrière Misery, un sentier sinueux diffuse la lumière et la douceur de son tapis cotonneux de copeaux clairs. Au sortir de ce passage initiatique, l’univers humide et tiède du Voyage au centre de la terre de Jules Vernes se révèle : avant la mise en eau de la cascade du Jardin extraordinaire, l’agence de paysage nantaise Phytolab en a réalisé la pièce maîtresse, au pied de la falaise dominée depuis juin dernier par le belvédère de l’artiste japonais Kawamata.
Microclimat
Du XVIème au XIXème siècle, les carriers ont facilité le travail des concepteurs : l’exploitation de la résurgence méridionale du massif granitique armoricain a modelé un amphithéâtre rocheux orienté vers le sud et vers la Loire. Au pied de la falaise, le microclimat favorise la pousse des fougères arborescentes, à côté des lauriers palmes. 200 espèces végétales marient le local et le tropical, dans cette île mystérieuse réinventée, première tranche du jardin qui totalisera 3,5 hectares.
La simultanéité entre le début du chantier et l’achèvement des études de sols n’a pas facilité le travail de Phytolab : « Le nivellement se positionne un peu plus bas que prévu, et nous nous sommes évertués à réaliser les confortements les plus discrets possible », confie Loïc Mareschal, dirigeant de l’agence.

Au seuil du jardin extraordinaire, le paysagiste Loic Mareschal présente l'oeuvre, le 9 septembre denier.
Virtuosité
Nulle trace visible ne trahit ni les 250 barres plantées à 6 mètres de profondeur pour consolider le site, ni la virtuosité déployée pour préserver les lierres qui verdissent la pente. Les visiteurs ne sauront rien non plus des artifices végétaux qui les tiendront à distance des risques de chutes de pierres, d’autant qu’avec dix voies d’escalade, l’aménagement leur offre la possibilité de corps-à-corps avec la roche. De même, les pompes du circuit fermé de la cascade fonctionnent à l’abri des regards.
Au sortir d’une première immersion au pied de la plus haute chute d’eau artificielle d’un centre-ville français, comment ne pas succomber à la tentation d’en savoir plus sur l’attraction principale du jardin, promise dans un horizon proche de 2023 ? Il suffit de traverser la Loire et, sur l’île de Nantes, de pénétrer dans l’impressionnante halle industrielle des anciens chantiers navals, où se déploie une ruche d’artistes de la mécanique et du métal.
Ruche
La troupe de François Delarozière, directeur artistique de la compagnie La Machine, y teste les mécanismes des prototypes d’animaux qui peupleront l’Arbre aux hérons. Directeur du site où renaît le mélange de poésie et de technique inscrit dans les gènes de la ville natale de Jules Vernes, Pierre Oréfice définit le projet comme « un zoo mécanique géant dans un jardin suspendu ». La construction de 35 mètres de haut, auxquels le héron en ajoutera 15, pèsera le tiers du poids de la Tour Eiffel. Le public se promènera sur une longueur de 800 mètres dans le jardin suspendu.

Les animaux fantastiques qui peupleront l'Arbre aux hérons prennent forme, dans les anciens chantiers navals réinvestis par la compagnie La Machine.
Un arbitrage de Bercy a stimulé l’ardeur des artistes depuis juillet dernier : l’Arbre aux hérons entre dans la catégorie des équipements culturels ouverts aux financements défiscalisés de donateurs privés. En 2013, une première évaluation du projet, à 35 millions d’euros, estimait la part du sponsoring dans une fourchette comprise entre 12 et 14 millions d’euros.
Epopée
Directeur des espaces verts de la ville aux 100 jardins où il a mené toute sa carrière depuis 1985, Jacques Soignon regarde avec une impatience juvénile la construction du 101ème : « Depuis la démolition des hangars et de la brasserie en 1986, de nombreux projets inaboutis ont précédé l’idée d’amener un grand jardin, de la falaise jusqu’au bord de la Loire », rappelle-t-il.
Malgré son apparente évidence, la continuité entre le jardin et le fleuve ne coule pas de source : à côté du parking silo en voie de démolition et sous l’enveloppe métallique de l’ancienne minoterie vouée à la découpe, se cache un rare exemple de structure en béton armé de la première génération d’ouvrages à utiliser le procédé Hennebique. Les gardiens du patrimoine moderne ont arraché le compromis qui en sauvera la mémoire, sans entraver la fin heureuse d’une épopée moderne où l’eau longtemps cachée finit par retrouver la ville, grâce à la baguette des magiciens du paysage.