Notre dernier entretien date de juillet 2020, nous avions pointé les freins normatifs à l’utilisation de composites dans la construction en France. Où en est-on ?
Eric Pierrejean : L’Eurocode composites progresse. On s’attend à ce qu’il soit bientôt publié. L’adoption se fait progressivement. Mais je suis optimiste : de par leurs propriétés techniques, de par leur rôle dans la décarbonation, les matériaux composites vont s’imposer.
Franck Glowacz : Les Eurocodes sont attendus de pied ferme par de nombreux utilisateurs. La bascule se fera à ce moment-là. Cela permettra de réduire les coûts de façon drastique. Aujourd’hui le poids administrativo-financier renchérit en effet les opérations. Parmi les autres signaux positifs : l’association française du génie civil a publié un document sur les armatures composites pour le béton armé, un retour d’expérience de 20 ans. Ces armatures ont montré des propriétés intéressantes dans les environnements agressifs, sont facilement usinables, résistent à la corrosion, sont plus légères et enfin affichent une bonne conduction thermique. Ce document issu de 3 ans de travail effectué par des gens de l’art est un signal fort.
E.P : Lors du salon qui s’ouvre demain, le secteur de la construction fera le tour des grands champs de développement des composites et de grandes réalisations. Je pense par exemple à l’immeuble Latitude à La Défense pour lequel l’utilisation de composites pour la façade technique a été homologuée.
Quelles sont les dernières innovations en date ?
E.P : Les connaissances techniques se diffusent. Arkema a développé des résines pour faire des rebars façonnables. Cela entre dans la stratégie bas carbone : moins de matière première, pour des produits finis plus léger, plus facile à mettre en œuvre avec moins d’enrobage par le béton. Des études sont d’ailleurs en cours pour allier bétons décarbonés et matériaux composite. Skanska est d’ailleurs en train de tester cela.
F.G : L’utilisation des composites pour les nouvelles formulations de béton trop corrosives pour l’acier s’impose.
E.P. : Elle s’impose aussi de plus en plus en rénovation : ainsi, un pont dans l’Ain a été complètement rénové en emmaillotant le béton qui gonflait de fibre de carbone. Autre exemple : la rénovation d’infrastructures d’eaux usées. Il est désormais possible de les rénover sans sans tranchée en faisant passer une chemise en composite autour des canalisations, en la mettant en place d’un seul coup. C’est très intéressant pour les infrastructures urbaines.
F.G : Enfin on peut penser aux huisseries et aux fenêtres pour l’isolation avec des rupteurs de ponts thermiques en composites. Ce sont des pièces invisibles qui représentent pourtant des volumes très importants.
Quel est l’impact de la crise ukrainienne sur le secteur ?
E.P. : Il y a eu énormément de perturbations dans les usines en 2020 puis le redémarrage brutal de l’économie et les tensions géopolitiques ont désorganisé l’industrie. Les matières premières ont bougé. Des ruptures d’approvisionnement se sont produites et les prix sont partis à la hausse à cause de la hausse des prix de l’énergie et du coût du transport.
F.G : Nous avons atteint un point critique pour les fibres de basalte produites en Ukraine et en Russie et vendues en Chine. Mais l’Europe a une carte à jouer avec ses producteurs allemands et belges. Et la France a des réserves de basalte.
E.P. : Il y a eu un impact au niveau des prix du basalte oui. Mais c’est un cas particulier. Son utilisation arrive loin derrière la fibre de verre ou de carbone et les fibres naturelles.
Des alternatives à l’acier existent-elles ?
F.G : Oui il existe des IPN en composites. Les matériaux composites entrent aussi dans la fabrication de l’énergie : les pales des éoliennes sont faites en composites, les réservoirs à hydrogène sont fait en composites.
L’économie circulaire est très présente dans le programme du salon…
E.P : On est sur de l’économie de matière, on recycle les chutes de certains produits d’autres industrie. Mais surtout, la durabilité des matériaux composites est un atout énorme : dans l’expression « développement durable », il y a « durable », et les composites permettent d’allonger la durée de vie des ouvrages. Lors du salon, nous mettrons en avant tous les éléments qui font cette boucle complète dans notre industrie et qui participent au développement d’autres industries notamment celles qui participent de la transition écologique.