Jurisprudence

Commande publique : les contours de la modulation des pénalités contractuelles s'affinent

Le Conseil d'Etat applique pour la première fois ce pouvoir dans le cas d'une concession, et apporte d'autres précisions.

 

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Marchés publics
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2020/10/12N°431903
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2008/12/29N°296930
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2017/07/19N°392707
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2016/06/20N°376235

L'arrêt « Société Vert Marine » que vient de rendre le Conseil d'Etat complète sa jurisprudence relative aux pouvoirs du juge de moduler le montant des pénalités infligées aux titulaires de contrats publics (, mentionné aux tables du Recueil).

On sait que depuis l'arrêt « OPHLM de Puteaux », le juge administratif peut modérer ou augmenter les pénalités lorsqu'elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché (, publié au Recueil). Plus récemment, le Conseil d'Etat a considéré que la proportionnalité des pénalités devait également s'apprécier « compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations » (, Rec. ).

Au contentieux comme dans le cadre des discussions précontentieuses avec la personne publique, la critique du caractère excessif des pénalités est souvent la dernière ligne de défense du titulaire après qu'il a contesté leur application pour divers motifs : imprécision des clauses pénales, absence de preuve du manquement, fait d'un tiers, circonstances imprévues, etc.

Un pouvoir du juge davantage détaillé…

La décision ici commentée concerne l'exécution d'un contrat portant sur l'exploitation d'une salle omnisports. La Ville concédante a infligé des pénalités au titulaire pour cause d'interruption de service et de non-remise de documents dont la production était imposée par le contrat. Pour ce faire, elle a choisi d'émettre plusieurs titres exécutoires à l'encontre de l'exploitant en cours d'exécution, et en s'abstenant de mettre en œuvre la procédure de règlement des différends contractuellement prévue. Outre que l'arrêt vient valider le procédé utilisé par la Ville, il mérite l'attention sur trois points s'agissant des pénalités.

Application aux concessions. Tout d'abord, c'est la première fois que le Conseil d'Etat applique la jurisprudence précitée à un contrat de concession. Même si cela n'est pas surprenant compte tenu des similitudes entre concessions et marchés, ses précédentes décisions se rapportaient toutes à cette seconde catégorie de contrat. L'arrêt précise, ainsi, que le pouvoir de modulation du juge concerne tout « contrat de la commande publique ».

Dans le cas d'une concession, le caractère proportionné des pénalités doit s'apprécier notamment par rapport « aux recettes prévisionnelles de la concession, y inclus les subventions versées par l'autorité concédante ». Du fait des caractéristiques intrinsèques de ce contrat qui font peser le risque d'exploitation sur le concessionnaire (, ou CCP), la sanction peut donc être particulièrement lourde. Il pourrait difficilement en être autrement dès lors qu'une proportionnalité des pénalités avec les recettes effectivement perçues par le concessionnaire reviendrait à diminuer la part de risque qui lui est transférée.

Toutes les pénalités. Ensuite, le Conseil d'Etat affirme que le pouvoir de modulation du juge s'applique à toutes les pénalités contractuelles, et pas uniquement à celles sanctionnant un retard du titulaire dans l'exécution de ses prestations. Dans le cas d'une concession, la proportionnalité doit donc aussi s'apprécier « compte tenu de la gravité de l'inexécution constatée ».

Cette précision est importante dans la mesure où les contrats peuvent prévoir d'autres pénalités que celles - classiques - relatives au dépassement du délai d'exécution. Ces pénalités peuvent également être stipulées dans les documents généraux auxquels ces contrats se réfèrent.

Par exemple, le CCAG fournitures courantes et services prévoit, en sus des pénalités de retard (art. 14.1), des pénalités pour indisponibilité du matériel lorsque le titulaire exécute des prestations de maintenance (art. 14.2).

Comme l'illustre la présente décision, le champ d'application des pénalités peut donc aller bien au-delà du sujet du dépassement du délai d'exécution. Le titulaire s'est ainsi vu infliger des pénalités pour indisponibilité du service et non-remise de documents. Ces manquements revêtent une importance particulière dans le cas d'une concession de service compte tenu de son objet et du pouvoir de contrôle de l'autorité concédante (), lequel s'exerce notamment au vu du rapport annuel du concessionnaire ().

Toutes clauses confondues. Enfin, l'arrêt confirme que le caractère proportionné s'apprécie en prenant en compte toutes les pénalités infligées au titulaire, toutes clauses contractuelles confondues. Pour apprécier si les pénalités appliquées à Vert Marine sur la base de deux dispositions contractuelles distinctes ne sont pas excessives, le Conseil d'Etat compare ainsi le montant global des pénalités (675 000 €, dont 569 500 € pour l'interruption du service et 105 500 € pour la non-remise de documents) au total des recettes prévisionnelles de la concession. La solution inverse aurait permis de sanctionner le titulaire au-delà de la limite de son contrat, privant d'intérêt toute possibilité de modulation du montant des pénalités par le juge.

… qui laisse peu d'espoir au titulaire

En dépit de ces précisions, la jurisprudence demeure particulièrement sévère à l'égard du titulaire.

Plafonds hauts. S'agissant du caractère excessif, plusieurs décisions de juges du fond ont considéré que des pénalités représentant plus de 40 % du marché n'encouraient pas la critique (par exemple : ; ). De son côté, le Conseil d'Etat n'a pas réduit des pénalités représentant 26 % du montant d'un marché (, Tables). C'est donc logiquement que dans l'arrêt « Société Vert Marine », il a considéré que les pénalités n'étaient pas excessives dès lors qu'elles ne représentaient que 6,8 % des recettes prévisionnelles du concessionnaire. Au demeurant, il faut observer que, compte tenu de l'objet de la concession, l'indisponibilité du service revêt un caractère de gravité particulier, de sorte que le Conseil d'Etat n'aurait probablement pas minoré le montant des pénalités même si celles-ci avaient été beaucoup plus élevées.

Preuve délicate. Ensuite, la jurisprudence impose au titulaire « de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des contrats comparables ou aux caractéristiques particulières du contrat en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif ». Cette exigence est particulièrement contraignante dans la mesure où l'opérateur aura les plus grandes difficultés à obtenir ces « contrats comparables » et, a fortiori, à recueillir les pratiques observées au cours de leur exécution. Seule la démonstration selon laquelle les caractéristiques du contrat rendaient particulièrement délicate son exécution pourrait, en réalité, lui permettre d'obtenir une modération des pénalités.

Un examen des décisions rendues montre qu'à ce jour le juge peine à se laisser convaincre par les arguments exposés tirés de la comparaison de contrats comparables ou des particularités du contrat en cause. Comme le rappelle l'arrêt « Société Vert Marine », c'est bien « à titre exceptionnel » que le juge consent à moduler les pénalités.

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