Sujet éminemment politique avec la question du logement dont les villes touristiques, zones tendues par excellence, ne sont pas en reste, le sujet est également économique pour les professionnels de l'hôtellerie, notamment parisiens, à l'aulne des JO qui se tiendront dans la capitale en 2024. Les collectivités territoriales, en premier lieu desquelles les communes, tentent ainsi de lutter contre les locations dites Airbnb en se fondant sur la législation relative au changement d'usage du local.
Le changement d'usage du local : un dispositif sévère et efficace
L' prévoit que, dans les communes de plus de 200 000 habitants et de celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, la location meublée d'une résidence secondaire de manière répétée et de courte durée à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage soumis à autorisation préalable. De nombreuses villes telles que Paris, Lyon, Nantes ou encore Bordeaux ont adopté ce dispositif via délibérations en conseil municipal. L'article L. 651-2 du même code ajoute que l'absence d'autorisation de changement d'usage est passible d'une amende civile pouvant aller jusqu'à 50 000 €, sans compter que le retour à l'usage d'habitation peut être ordonné sous une astreinte de 1 000 € par jour et mètre carré.
Ces communes ont initié de nombreuses procédures en la forme des référés devant les présidents des anciens tribunaux de grande instance à l'encontre de propriétaires se livrant à la location de type Airbnb, Depuis la réforme judiciaire, il faut désormais parler procédures accélérées au fond soumises aux tribunaux judiciaires. Les communes demandaient au tribunal la stricte application des textes. Ainsi, une location meublée de courte durée réalisée sans changement d'usage expose le propriétaire du bien au paiement d'une amende et au retour à l'usage d'habitation sous astreinte.
En riposte, des propriétaires ont introduit, parfois avec succès, des recours devant le Conseil constitutionnel et indirectement devant la Cour de justice de l'Union européenne contre les dispositions du Code de la construction et de l'habitation.
Le régime du changement d'usage est-il conforme à la directive dite « Services » de l'Union européenne ?
Premier axe d'attaque des propriétaires, la visite domiciliaire autorisée par l'article L. 651-6 alinéa 6. Ce texte édictait « qu'en cas de carence de la part de l'occupant ou du gardien du local, l'agent assermenté du service municipal du logement peut, au besoin, se faire ouvrir les portes et visiter les lieux en présence du maire ou du commissaire de police. Les portes doivent être refermées dans les mêmes conditions. » Les requérants critiquaient ces dispositions au motif qu'elles rendraient possible l'exercice du droit de visite d'un logement par les agents assermentés du service municipal du logement, sans l'accord de l'occupant ou du gardien du local. Ils reprochaient au texte de ne pas prévoir une autorisation judiciaire préalable pour surmonter ce défaut d'accord. Ils dénonçaient également le pouvoir conféré à ces agents de recevoir toute déclaration et de se faire communiquer tout document établissant les conditions d'occupation du local visité, sans obligation d'informer la personne des griefs dont elle fait l'objet ni de son droit d'être assisté d'un avocat ou de garder le silence. Il en résulterait une méconnaissance des droits de la défense, du droit à une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties et du droit de ne pas s'auto-incriminer. Le 5 avril 2019 ; le Conseil constitutionnel a considéré que l' méconnaissait le principe d'inviolabilité et était donc contraire à la constitution. Cet alinéa a été abrogé.
Sans remettre en cause totalement l'infraction de changement d'usage, la neutralisation de l' complexifie la démonstration de l'infraction. Les communes devront désormais soit se faire autoriser par les propriétaires à pénétrer dans leur logement, soit solliciter du juge un constat d'huissier à cette fin.
Deuxième front poursuivi par les propriétaires, la conventionnalité de l' au regard du droit communautaire. À l'occasion d'un litige opposant un propriétaire à la ville de Paris, la Cour de cassation a transmis à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), suivant arrêt du 15 novembre 20182 , les 6 questions préjudicielles suivantes : - La location meublée répétée et de courte durée à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue-t-elle une prestation de services entrant dans le champ d'application de la dite services ?
- Dans l'affirmative, le dispositif de l' constitue-t-il un régime d'autorisation de l'activité susvisée au sens des articles 9 à 13 de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006 ou seulement une exigence soumise aux dispositions des articles 14 et 15 ?
- Dans l'hypothèse où le régime des autorisations est applicable, l'objectif tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location constitue t-elle une raison impérieuse d'intérêt général permettant de justifier une mesure nationale soumettant à autorisation, dans certaines zones géographiques, la location d'un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile ?
- Dans l'affirmative, une telle mesure est-elle proportionnée à l'objectif poursuivi ?
- Le régime d'autorisation pour la mise en location un local meublé destiné à l'habitation « de manière répétée », pour de « courtes durées », à une « clientèle de passage qui n'y élit pas domicile » répond-il aux critères de clarté, d'absence d'ambiguïté et d'objectivité posés par l'article 10 paragraphe d) et e) de la directive ?
- Le régime d'autorisation prévoyant que les conditions de délivrance de l'autorisation sont fixées, par une délibération du conseil municipal, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d'habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements est-il conformes aux critères de clarté, d'absence d'ambiguïté et d'objectivité, de publicité à l'avance, de transparence et d'accessibilité de l'article 10 paragraphe d) à g) de la directive ?
À la suite des plaidoiries le 19 novembre 2019, le délibéré est attendu pour le courant de l'année 2020.
Pour l'heure, les procédures continuent d'être initiées par les communes mais elles sont mises en suspens par les juges, aussi bien en première instance qu'en appel, dans l'attente du délibéré de la CJUE. C'est la raison retenue par les magistrats du pôle 1 de la chambre 2 de la ) et des décisions suivantes du 20 juin 2019 (n° 19/00496) et du 19 septembre 2019 (n° 18/21008) rendues par la même juridiction qui estime que la réponse du juge communautaire est pertinente pour la solution du litige.
De son côté, Airbnb a consenti à coopérer avec les communes à la suite de la parution du pris en application des articles et du Code du tourisme et relatif aux demandes d'information pouvant être adressées par les communes aux intermédiaires de location de meublés de tourisme. Ce décret prévoit une communication, à la commune qui le demande, par la plateforme de location des logements proposés et plus précisément de leur adresse exacte, du numéro de déclaration en mairie associé ainsi que du nombre de jours de location ; et ce même si le logement n'est plus proposé à la location à la date de la demande, et ce afin de vérifier si les propriétaires respectent la limite de location à 120 nuitées par an de leur logement principal.
La lutte contre Airbnb et les autres plateformes de locations touristiques a ainsi de beaux jours devant elle.
1 Décision .
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