Les cités de labeur : à Bruay, quand la Compagnie régentait les vies

Dans les corons des Electriciens, les plus anciens du Pas-de-Calais à avoir été préservés, les familles devaient se conformer à des règles strictes dans un confort spartiate.

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Bâtis au début du XXe siècle, les carins (premier plan à dr.) abritaient notamment des latrines. Dans les barreaux, Philippe Prost a créé des moucharabiehs côté sud (à g.) lors de la réhabilitation.

Au XIXe siècle, des compagnies privées commencent à exploiter les gisements de charbon du nord de la France. Il leur faut donc trouver de la main-d'œuvre. Et la garder. Pour fixer près de ses fosses cette population surtout constituée d'ouvriers agricoles journaliers, la Compagnie des mines de Bruay fait bâtir entre 1856 et 1861 les logements de la cité dite des Electriciens. Les rues du quartier de corons de Bruay-la-Buissière (Pas-de-Calais) portent en effet le nom de savants ayant fait progresser la connaissance de cette énergie qu'on commence alors à utiliser.

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Dans cette région rurale de l'Artois bouleversée par l'exploitation minière, « l'ensemble constitue un point de départ, à un moment où l'architecture des cités ouvrières n'a pas encore de typologie définie », explique l'architecte Philippe Prost qui a réhabilité les lieux avec sa consœur Jennifer Didelon en 2019. Le projet a notamment permis d'aménager un centre d'interprétation pour mettre en valeur cette cité qui reste la plus ancienne à avoir été préservée dans le bassin minier du Pas-de-Calais, et a été inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco et à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

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Aux Electriciens, huit séries de maisons en bandes, appelées « barreaux », ont été bâties sur une trame orthogonale. Construits à l'économie, ces bâtiments en briques et tuiles s'inspirent du modèle des longères. A l'époque, le montant de l'impôt dépend du nombre de portes et fenêtres des habitations. La majorité des barreaux, parallèles à la rue principale, n'en sont donc pourvus que sur leur façade avant, orientée au nord. Chaque logement, de 35 m2 en moyenne, comprend une cave, un rez-de-chaussée et des chambres sous combles. Le tout est rudimentaire, mais « à l'époque, beaucoup de gens n'avaient pas de toit, vivaient dans des cabanes ou à l'étable », rappelle Philippe Prost.

Quotidien séquencé. La concurrence croissante entre compagnies les amène à accroître la qualité des logements, qu'elles présentent lors de salons, pour attirer les mineurs. Aux corons succèdent des cités pavillonnaires aux habitations plus grandes et confortables. La Compagnie des mines de Bruay ne peut alors qu'améliorer le quotidien des 43 familles de la cité des Electriciens. Entre 1903 et 1905, les logements sont ainsi dotés de carins. Appelés aussi baraques ou rabattus, ils abritent une buanderie, des latrines, un clapier et un poulailler. Dans les années 1950, l'eau courante y est installée alors qu'à l'origine, les habitants devaient aller au puits et, par la suite, à des bornes-fontaines.

La vie quotidienne est strictement séquencée et surveillée. La compagnie détermine un jour de lessive hebdomadaire, placé sous la supervision du garde de la cité. L'entretien des maisons, comme des extérieurs, est aussi réglementé. Le potager est même un véritable outil d'encadrement, doté d'une dimension morale et spirituelle. L'employeur offre des semences et organise des concours horticoles.

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Soucieux de garder leurs ouvriers en bonne santé, les patrons mènent aussi une politique hygiéniste avec l'instauration d'un suivi médical. Lors de son intervention, Philippe Prost a d'ailleurs mis au jour la belle peinture à la chaux bleue qui recouvrait les murs des chambres, employée alors pour ses vertus prophylactiques.

La semaine prochaine : la famille Bolloré édifie la première cité ouvrière du Finistère.

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