Le coup de gueule de Jean-François Carenco, préfet d'Ile-de-France, a remis au cœur de l’actualité les chartes communales, ces documents que les maires veulent faire signer aux acteurs de l'immobilier pour encadrer la construction sur leur territoire. D’un côté, les promoteurs se disent pris en otage. « Si on ne signe pas le document, les permis de construire seront systématiquement refusés », glisse un professionnel sous couvert d’anonymat, craignant des représailles de la part de ses interlocuteurs publics. De l’autre, les communes font valoir leur droit à organiser la construction sur leur territoire, arguant vouloir proposer à leurs administrés les meilleurs logements possibles.
Chacun a ses raisons de soutenir ou de s'opposer à ces chartes. Pour éviter les partis pris, interrogeons le bien-fondé juridique de ces chartes : sont-elles vraiment légales ? Deux avocats spécialistes du droit de l’urbanisme ont étudié de véritables chartes. Steve Hercé, avocat à la Cour et associé au cabinet Boivin et associés a étudié celle de Bordeaux Métropole. Elsa Sacksick, avocate à la Cour et associée du cabinet AdDen Avocats, s’est penchée sur celle de Montreuil.
Les chartes sont-elles vraiment engageantes pour les promoteurs immobiliers ?
Oui et non. « La signature de la charte est une première étape, estime Steve Hercé. A ce stade, elle aborde les grands principes et on peut s’interroger sur sa valeur réellement contraignante. Cette charte est un premier pas permettant de réunir les différents opérateurs autour de quelques lignes directrices. En revanche, le système devient contraignant à partir du moment où la signature de la charte se poursuit par la conclusion de conventions de partenariat et de réalisation. »
Un projet peut-il être refusé parce qu’il n’est pas jugé conforme à la charte ?
Selon nos avocats, la signature de la charte ne peut clairement pas avoir d’impact sur l’obtention du permis de construire. « Si un promoteur essuyait un refus de permis de construire au motif que son projet ne respecte pas la charte, le refus serait annulé par le juge administratif de façon certaine, assure Elsa Sacksick. En effet, aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit que le permis de construire doit être conforme ou compatible avec ce type de charte. » Problème : en cas de refus, le promoteur devrait engager une action en justice qui lui ferait perdre du temps et de l’argent. En outre, son action risquerait de tendre les relations qu’il entretient avec la personne publique.
Avec ces chartes, les maires ne sont-ils pas en train d’inverser la logique en matière de développement urbain ?
Très clairement : oui. Traditionnellement, un opérateur se trouve face à un service instructeur. Avec la charte, il fait face à un service co-contractant. « Cette charte nous rapproche d’un urbanisme contractualisé, déduit Steve Hercé. On inverse la logique par rapport à un système dans lequel le promoteur sollicite la collectivité pour un projet qu’il a lui-même largement conçu et ce dans le respect du PLU. Dans le cas de la charte de Bordeaux, c’est la collectivité qui vient chercher les promoteurs et définir les conditions à partir desquelles les opérations pourront se faire. Ces conditions ne portent pas seulement sur le coût du foncier et le pourcentage de logements aidés. La collectivité entend aussi peser sur les éléments programmatiques, techniques et urbanistiques. »
Quelles conséquences implique ce renversement de logique ?
« Sans le dire, la charte subordonne la possibilité de construire de grands programmes de logements à la signature de conventions avec les opérateurs, détaille Steve Hercé. Cette contractualisation amène à s’interroger car le droit de l’urbanisme est avant tout un régime de police administrative et les opérations de construction ne sont réalisables qu’en fonction du PLU et de ce qu’il prévoit. Une difficulté juridique pourrait d’ailleurs apparaître si le contrat l’emportait trop sur la norme avec par exemple l’engagement de la collectivité de modifier son PLU pour permettre le programme convenu avec le promoteur. La jurisprudence administrative constante interdit ce type de situation. »
Ces chartes comportent-elles des clauses illégales, comme le prétendent les promoteurs ?
En étudiant la charte de Montreuil, Elsa Sacksick a pointé une clause abusive. « Cette charte prévoit que le promoteur ou le constructeur fournisse des pièces particulières, comme une étude d’ensoleillement du programme immobilier. C’est contraire à l’article R. 431-4 du Code de l’urbanisme qui prévoit une liste limitative des informations et des pièces pouvant être demandées dans le cadre d’un dossier de demande de permis de construire. Or, une étude d’ensoleillement par exemple ne figure pas dans cette liste exhaustive et ne saurait en conséquence être imposée. »
A bon entendeur.