Les caprices de l’architecture

A Nancy (Meurthe-et-Moselle), le musée des Beaux-Arts propose, jusqu’au 23 mars 2023, l'exposition «Architectures impossibles», un passionnant voyage sur le caprice architectural et ses dérivés, depuis la Renaissance jusqu’à aujourd’hui…

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Grand Tour : In Search of Soane (after Gandy), Emily Allchurch, 2012. Les règles de composition en cours au XVIIIe siècle sont appliquées à cette œuvre contemporaine, sorte de compression en deux dimensions d’éléments de projets construits et non construits de l’architecte britannique néo-classique Sir John Soane (1753-1837).

«Le musée des Beaux-Arts de Nancy regorge de caprices» prévient Sophie Laroche commissaire de l’exposition «Architectures impossibles». Ce genre pictural a donné naissance, du XVIe au XVIIIe siècle, à une myriade d’œuvres aux paysages irréels, étranges, angoissants, fantastiques ; le plus souvent des agglutinements de bâtiments de l’Antiquité plus ou moins en ruines, colonisés par la végétation, au milieu de paysages habités ou désertiques.

Ils ont, pour la plupart, été imaginés par des «architectes de papier» ainsi nommés pour n’avoir, à l’instar de Piranèse, rien ou très peu bâti, même en ayant étudié l’architecture... Le musée détenant une importante collection de peintures de ce courant, le projet muséographique devait au départ s’y limiter, avant de le faire traverser cinq siècles d’histoire de l’art, avec 150 œuvres, de la Renaissance jusqu’à aujourd’hui, vu à travers le prisme du caprice.

«Aucun des bâtiments représentés, mis à part deux ou trois, n’a donné lieu à une construction. Il ne s’agit pas de projets mais de projections qui transgressent les règles strictes et les dogmes intangibles qui gouvernent l’architecture lorsqu’elle se matérialise», postulat lui-même intangible, qu’il ne faut pas lâcher - challenge réussi -  quand une œuvre architecturale bel et bien construite comporte aussi son lot de fantasmes et sa part de transgression.

Télescopage

C’est d’ailleurs par un projet réalisé, plutôt fou, que s’ouvre l’exposition, avec la place Stanislas grandeur nature que le public traverse pour accéder au musée : un ensemble urbain du XVIIIe siècle avec un arc de triomphe et cinq pavillons monumentaux encadrant une grande esplanade. Emmanuel Héré, architecte du siècle des Lumières, dévoie le classicisme, héritage du siècle précédent, en lui superposant une ornementation de style rocaille - ferronneries aux lignes sinueuses, végétaux sculptés, mascarons aux visages souriants ou moqueurs - qui fait de cette place monumentale une sorte de grand théâtre à ciel ouvert.

A l’intérieur, l’exposition est découpée en cinq séquences. Chacune regroupe des œuvres reliées entre elles par une thématique, successivement, l’extravagance, la démesure, l’égarement, la menace, la perte. «Dans chaque section, la chronologie, les genres et les grandes catégories de l’histoire de l’art sont bousculés au bénéfice d’une exposition plus émotionnelle, intuitive, affective, qui permet des associations visuelles» précise Sophie Laroche. L’exposition devient alors un gigantesque caprice où se télescopent des œuvres sur des supports diversifiés selon les évolutions technologiques, peinture, gravure, sculpture, installations, photographie, cinéma, maquettes.

Œuvres au noir

Conçue par Flavio Bonuccelli, la scénographie se veut immersive, sans le recours à la réalité virtuelle. Les visiteurs déambulent dans des espaces sombres, dilatés ou exigus, aux plafonds plus ou moins hauts ; les cimaises noires de hauteurs variables se fondent dans l’obscurité ; les visiteurs sont attirés ainsi, comme des aimants, par les œuvres qui captent tout l’éclairage. Parmi les 150 œuvres réalisées par 80 artistes, figurent une prison de Piranèse, une utopie architecturale d’Etienne-Louis Boullée, des châteaux de Victor Hugo et de Carl Friedrich Lessing, les Alpes à l’ère glaciaire vues par Viollet-le-Duc, la métropole expressionniste selon Fritz Lang...

Des œuvres plus contemporaines côtoient leurs aînées tout au long du parcours, telles Shining, le célèbre film de Stanley Kubrick, une bibliothèque façon tour de Babel d’Erik Desmazières, le grand collage, par Emily Allchurch, des projets de l’architecte John Soan, les paysages bétonnés de Nicolas Moulin... De rares projets ont été construits, comme l’un des pavillons préfabriqués de Jean Prouvé toutefois démoli. Sur une photographie, Le Corbusier explique, maquette à l'appui, son terrifiant Plan Voisin tout prêt à être réalisé, pour lequel on ne remerciera jamais assez André Malraux qu’il soit resté à l’état de caprice architectural des temps modernes...

Du 23 novembre 2022 au 23 mars 2023 au Musée des Beaux-Arts de Nancy.

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