Depuis le début de cette année, les « cahiers Popsu » accompagnent votre programme Métropoles. Pouvez-vous nous en rappeler les raisons d’être ?
Que signifie l’affirmation des métropoles comme locomotives de l’aménagement du territoire ? Dans la foulée des lois qui les ont créées en réponse à une demande des élus des grandes villes, il fallait poser la question. Le Puca y répond à travers cette initiative de recherche embarquée, avec 15 binômes d’élus et de scientifiques, dans autant de métropoles régionales.
Très vite, un constat inattendu a orienté les travaux : alors qu’ils s’étaient battus pour obtenir le statut, les élus ont ressenti une inquiétude. Une partie de la population perçoit la métropole comme tentaculaire, prédatrice et mondialisée. Le rôle du commandeur surplombant suscite un malaise. Cette situation a stimulé la motivation des participants au programme, soucieux d’ancrer les métropoles dans la géographie et l’économie de leur territoire, et aussi de contribuer à leur transition écologique.
La crise des gilets jaunes a-t-elle amplifié cette évolution ?
Deux ans avant les élections municipales, les populations des périphéries ont exprimé leur sentiment d’exclusion au centre des métropoles, notamment à Bordeaux et Toulouse.
A travers des approches thématiques, chacun des 15 binômes a identifié les obstacles à franchir, pour y remédier : Toulouse et Bordeaux se sont penchés sur la régulation du marché immobilier, Nantes sur les contributions des initiatives citoyennes à la production alimentaire ; les travaux de Lille sur le métabolisme urbain ont mis en lumière les interfaces, dans le domaine de l’eau, avec le voisinage belge et le bassin de Saint-Omer, tandis que la métropole montagne de Grenoble prend la mesure de l’exclusion de ses quartiers populaires, dans la fréquentation des massifs qui l’entourent…
Partout, les statistiques et les outils d’analyse associés à ces recherches montrent que seule, la grande ville ne peut rien.
Espérez-vous que la collection des Cahiers Popsu accélère cette prise de conscience ?
Au fur et à mesure de l’enrichissement de la matière, les trois rendez-vous annuels qui rythment les travaux des binômes ont tous pointé la question : comment valoriser, au-delà du public académique auquel s’adressent les rapports scientifiques de 400 pages ?
Ainsi est née l’idée de la collection de cahiers, à raison de deux à trois par métropole, singularisés par leurs 15 couleurs. Les chercheurs rédigent, les élus relisent. Parallèlement, les éditions Autrement avaient communiqué leur intérêt pour le sujet. Nous avons retenu cet éditeur après appel d’offres.
Cette initiative fera-t-elle date, dans la vulgarisation de vos recherches ?
D’abord, cela nous a incités à réfléchir au prix de vente. Jusqu’ici, le Puca a diffusé gratuitement ses rapports de recherche en ligne, maquettés en interne. Mais le public ne dépassait pas le cercle des personnes qui nous connaissent. Passée une réticence initiale, nous avons beaucoup négocié sur le prix des cahiers. A 7,5 euros, il rémunère les coûts incompressibles de transport et de distribution, sans remettre en cause le principe de gratuité de l’accès à la recherche subventionnée.
Jamais le Puca n’avait conclu un partenariat éditorial de cette ampleur. Faciles à lire, les textes obéissent tous au même cahier des charges en deux points : l’étude de cas et la montée en généralité. Le résultat repose sur la capacité des auteurs à rebondir sur l’observation embarquée. Mis bout à bout, les cahiers montreront la diversité et l’homogénéité du fait métropolitain français.
Comment s’y décline l’approche interdisciplinaire qui fait partie de la signature du Puca ?
Toutes les sciences humaines et sociales contribuent aux cahiers, à travers les signatures de chercheurs qui enseignent dans les écoles des territoires. Les architectes et urbanistes nantais étudient les interactions du bâti et du non bâti.
Grâce aux chercheurs paysagistes, la métropole bicéphale d’Aix-Marseille se dessinera derrière le récit de la gestation du sentier de grande randonnée 2013. Pour décrire le métabolisme urbain, Lille bénéficiera du regard de l’ingénieur sur la mesure des flux de déchets, d’eau, de nourriture et d’énergie. A partir de l’expérience de la Cop 21 territoriale de la région de Rouen, le géographe Xavier Desjardins montre le rôle de la participation citoyenne dans l’affirmation métropolitaine… Une grande partie des cahiers sortira dès cette année.
Les 30 et 31 août à la saline royale d’Arc-et-Senans dans le Doubs, la rencontre annuelle du programme Métropoles aura-t-elle une valeur conclusive ?
Nous arrivons en effet au terme de l’échéance de trois ans. La rencontre d’Arc-et-Senans soulèvera la question de la construction d'une compréhension nationale du fait urbain au travers des plateformes locales. Autrement dit : comment une observation par le bas dessine-t-elle un projet pour la France de demain ? Et comment développer l’outil de la plateforme embarquée ? La réflexion inclut les grandes villes de la taille située juste en-dessous des métropoles régionales, comme Reims, Amiens ou Angers.
Une autre question concerne l’intégration de nouveaux partenaires, à côté des collectivités : j’y suis favorable. Nous enregistrons les attentes des villes moyennes et petites, accompagnées par les programmes de l’agence nationale pour la cohésion des territoires. Incontestablement, l’année 2021 ouvrira le champ des possibles, mais nous ne pourrons pas tout faire en même temps, ce qui conduit à réfléchir à une prise de relai par la fédération nationale des agences d’urbanisme.
Le bien-fondé de la course à l’attractivité a suscité de nombreux débats dans les métropoles, pendant la campagne électorale. Quelles réflexions en tirez-vous ?
Dès le départ, les métropoles ont voulu se démarquer de l’image d’arrogance attachée au rôle de locomotive économique. L’accueil des migrants montre une autre réalité : l’organisation de la solidarité passe par elles. Leur action économique ne se limite pas au marketing international. Elle intègre aussi la structuration des circuits courts, comme le montrent les programmes alimentaires territoriaux ou la valorisation de la ressource forestière vosgienne, par les constructeurs strasbourgeois. Puis la crise sanitaire a mis en valeur une métropole protectrice et hospitalière.
Les résultats électoraux ont accéléré cette transformation issue d’une accumulation de facteurs, y compris les attentats terroristes et les gilets jaunes. Sans remettre en cause le bien-fondé de cette métamorphose, il y a lieu de se poser la question : le retour de balancier est-il trop fort ? Faut-il renoncer à tous les grands projets, même ceux qui répondent au besoin d’accueillir de nouvelles populations ? Nous entrons dans une phase de recherche d’un nouvel équilibre, profitable à tous, entre la protection et l’exercice de la fonction de centralité.