Les bétons végétaux à la croisée des chemins

Si le chanvre est utilisé depuis des années, les solutions à base de miscanthus et de bois passent à l'échelle industrielle. D'autres filières se structurent comme le colza ou le tournesol.

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Les balles de lin sont prêtes à être utilisées pour former un béton végétal. La société L.A. Linière lancera sa production de blocs de béton en 2025.

Depuis l'entrée en vigueur de la RE 2020, les bétons végétaux, aussi appelés biosourcés, quittent les paillasses des laboratoires pour aider à respecter les prochains seuils de la réglementation environnementale. Ils sont bien identifiés comme des leviers de décarbonation pour la construction qui devra en 2025 réduire son impact carbone de 17 % supplémentaires en maison individuelle et de 12 % en collectif. Des exigences qui dopent la filière qui se résumait souvent au béton de chanvre, apparu au début des années 1990, et assure l'isolation répartie. Désormais de nouvelles solutions constructives émergent et substituent aux traditionnels sables et graviers des granulats de miscanthus, de lin, de bois ou encore de colza et de tournesol.

Si, ces cinq dernières années, les industriels ont cherché à obtenir une résistance mécanique élevée, avec en ligne de mire la fabrication de bétons végétaux porteurs, ils semblent aujourd'hui avoir majoritairement renoncé à cet objectif. C'est le cas d'Alkern, l'un des principaux acteurs de la préfabrication en béton, dont l'exemple est éloquent. Après avoir tenté de commercialiser son Naturbloc Bois, un bloc de béton porteur fabriqué à partir de palettes en fin de vie, le groupe réorien te sa stratégie vers des blocs non structuraux en béton de miscanthus.

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« Si les difficultés d'industrialisation en 2017-2018 ont pesé dans la balance, c'est surtout l'insuffisance de la demande qui nous a incités à prendre cette décision, commente Aurélie Gérardin, ingénieure R&D chez Alkern. Certes, le marché semble plus mature avec la RE 2020, mais le produit reste complexe avec des validations techniques longues et coûteuses à obtenir. » C'est donc une production de béton de miscanthus non porteur qui démarrera en 2025 dans l'usine de l'industriel aux Andelys (Eure). A la même époque, la coopérative L.A. Linière lancera, elle, la fabrication de blocs de béton de lin, toujours pour l'isolation thermique, dans son usine de Bourbourg (Nord).

« Dès que la résistance mécanique augmente, les performances thermiques et les bénéfices en émissions de CO2 diminuent. » - Bernard Boyeux, directeur de Biobuild Concept

Isolation thermique et acoustique. Suzanne Le Thierry, ingénieure au Centre d'études et de recherche de l'industrie du béton (Cerib) confirme que « remplacer les sables et graviers par des granulats végétaux dans un béton sert avant tout à leur conférer de la légèreté et de bonnes propriétés d'isolation thermique et acoustique. En revanche, rechercher des performances mécaniques pour une utilisation en structure porteuse est bien plus complexe », insiste-t-elle. Bernard Boyeux, directeur de la société de conseil Biobuild Concept, enfonce le clou : « Un béton biosourcé résulte toujours d'un compromis car, dès que la résistance mécanique augmente, les performances thermiques et les bénéfices en émissions de CO2 diminuent. » Malgré tout, CCB Greentech n'a pas renoncé à l'ambition de la résistance mécanique. C'est aujourd'hui le seul acteur français à avoir mis sur pied une solution porteuse à base de béton aux granulats de bois. L'industriel isérois a imaginé un concept de murs et planchers porteurs qui affichent 4 Mpa en compression. « Obtenir cette résistance structurelle a nécessité quinze ans de recherche », pointe Laurent Noca, cofondateur de l'entreprise. La fabrication proprement dite est ensuite confiée à ses partenaires préfabricants. Et les produits qui en résultent, épais de 24 à 40 cm, peuvent être mis en œuvre jusqu'en R+ 3 avec une isolation thermique complémentaire. Pour y parvenir, l'industriel utilise deux leviers principaux : des chaînages et un coulage en béton traditionnel dans des zones réservées d'une part, et un traitement spécifique des granulats de bois qui les rend compatibles avec l'eau et le ciment, d'autre part. 

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Une prise retardée par les sucres. La chimie des bétons biosourcés doit en effet encore résoudre plusieurs défis, dont celui des sucres contenus dans les végétaux. Ces composés sont incompatibles avec les liants minéraux car ils se diffusent au moment du mélange avec l'eau et retardent la prise. Pour régler ce problème, le cimentier Vicat s'appuie sur son liant à prise très rapide Prompt. Son temps de prise varie entre 15 et 90 minutes suivant le dosage de mortier. Il est mis en œuvre dans la gamme de blocs de béton de chanvre Biosys. Pour lever les verrous scientifiques qui freinent la diffusion des bétons avec des granulats végétaux, le Groupe de recherche matériaux de construction biosourcés du CNRS a d'ailleurs été créé en 2020. « Nous cherchons à identifier quels sucres dégradent la relation entre le liant et le granulat, à comprendre si les sucres de tel ou tel végétal sont équivalents et à évaluer les réactions lorsque nous mettons les granulats au contact de différents liants », explique son directeur, Sofiane Amziane.

Se rapprocher des bassins de production. L'enjeu est de taille, car au-delà du chanvre, du lin et du miscanthus, les puissantes filières agricoles du colza et du tournesol ont bien identifié le bâtiment comme un débouché potentiel pour leurs résidus de production. Un partenariat entre les deux mondes pourrait s'avérer particulièrement vertueux à condition que ces granulats verts soient transformés et utilisés au plus près de leurs bassins de production, c'est-à-dire là où les filières agricoles se sont structurées en ce sens, à l'instar de la Normandie et des Hauts-de-France pour le lin ou l'Aube pour le chanvre. C'est bien le vœu de Marco Cappellari, directeur adjoint des liants spéciaux chez Vicat, qui résume ainsi sa priorité : « Nous devons nous adapter au monde agricole et pas l'inverse ».

 

Bientôt une carte d'identité pour chaque granulat végétal

L'absence de norme adaptée à l'emploi des bétons végétaux dans le bâtiment entrave leur diffusion. C'est pourquoi le projet « Normalisation des granulats pour bétons biosourcés » (NG2B) financé par l'Ademe dans le cadre du 3e appel à projets Graines « Gérer, produire, valoriser les biomasses » (1), vise à établir une procédure technique commune afin de caractériser chaque granulat végétal en fonction de son origine et de ses spécificités.

Le projet, qui doit s'achever au printemps 2024, permettra à chaque filière agricole de dessiner la carte d'identité de son granulat (lin, miscanthus, colza…) avec l'identification des caractéristiques pertinentes pour les qualifier et les discriminer. Il consiste aussi à recenser et préciser les diverses méthodes de caractérisation existantes. Des travaux qui s'appuient sur la R&D existante en France, pays précurseur depuis une vingtaine d'années sur les bétons végétaux.

(1) Les partenaires du projet NG2B sont le Cerema, la Guilde Sable vert, Biobuild Concept, Parex Group, Vicat, Ackta, UniLaSalle et l'ENTP.

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