Interview

« Les appels d’offres de Rail Baltica seront lancés fin 2019 »

Fort d’une carrière à l’international au sein du groupe SNCF, le Français Jean-Marc Bedmar est depuis juin 2017 directeur technique par intérim* de RB Rail, structure coordonnant la conception, la construction et la commercialisation de Rail Baltica, le grand projet de ligne de train à grande vitesse dans les pays baltes. D’un coût estimé à 5,8 milliards d’euros, celui-ci sera financé à 85% par l’Union européenne.

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Jean-Marc Bedmar est depuis juin 2017 directeur technique par intérim* de RB Rail

En France, on ne réalise pas toujours bien l’ampleur du projet Rail Baltica, en raison de la petitesse des pays baltes et de leur emplacement excentré. Pouvez-vous nous donner une idée précise de ce projet ?

Ici, nous l’appelons "le projet du siècle", parce qu’aucun projet de cette ampleur n’a été lancé durant les cent ans d’existence des Républiques baltes, et parce qu’il apportera à la région des bénéfices sociaux-économiques pour une période d’au moins cent ans. Il sera synonyme de mobilité, de connectivité et de croissance. Associé au corridor du Réseau transeuropéen de transport (RTE-T) Mer du Nord/Baltique, il favorisera la circulation du fret et des personnes du sud au nord – en allant jusqu’à la Finlande et, au-delà, la région arctique – mais aussi d’ouest en est, grâce à la synergie à venir avec les réseaux de transports eurasiatiques. Nous allons construire 870 kilomètres de ligne à double voie entre Tallinn (Estonie) et la frontière entre la Lituanie et la Pologne, où elle se prolongera en utilisant des lignes existantes remises à niveau. L’écartement des rails sera de 1435 millimètres, la norme européenne. La vitesse pour le transport de passagers sera de 240 km/h et de 120 km/h pour le fret, l’électrification de 2 x 25 kV (similaire à ce qui se fait en France).  La charge à l’essieu sera de 25 tonnes pour le fret. La signalisation sera conforme au standard ERTMS permettant l’interopérabilité au niveau européen.

Qu’en est-il du calendrier prévu ?

Chaque pays avance à son rythme, avec des procédures législatives un peu différentes, mais la date de réalisation finale est la même pour les trois pays : le premier train devra rouler en 2026. Concrètement, des appels d’offres ont eu lieu dès l’an dernier pour la gare centrale de Riga (Lettonie) en conception-réalisation, et pour la conception détaillée de la gare pour passagers de l’aéroport de cette ville. Cette année, des appels d’offres seront lancés en Estonie pour les gares pour passagers d’Ülemiste et de Pärnu. Par ailleurs, nous sommes entrés dans la phase des études de conception détaillée, précédant les appels d’offres de construction : des appels d’offres pour la conception détaillée de tronçons de 50 à 70 km chacun ont commencé à être lancés – un par pays – et sont en cours d’évaluation. D’autres suivront cette année et la suivante. Pour chaque tronçon, il y aura un appel d’offres avec pré-qualifications en fonction de l’expérience, de l’expertise et de la taille des fournisseurs en lice. Nous avons pour objectif d’en avoir terminé avec la conception détaillée d’ici fin 2020 dans chacun des trois pays.

Est-il obligatoire, ou recommandé, de s’associer avec des entreprises locales pour participer aux appels d’offres ?

Ce n’est pas une pré-condition en soi. Mais lorsque nous avons consulté une trentaine de grandes entreprises en Europe et ailleurs, elles ont toutes admis que pour réaliser ces études, il était vraiment préférable d’avoir un partenaire local. C’est donc presque une nécessité, d’autant que le cadre n’est pas forcément similaire dans chacun des trois pays. Mais les entreprises locales expérimentées dans les projets d’infrastructure ne manquent pas. Les groupes étrangers intéressés pourront en rencontrer lors du prochain forum Rail Baltica (10-11 avril à Tallinn), mais attention, il faut s’inscrire le 18 mars au plus tard (www.railbaltica.org/forum/registration).

Quels sont les délais impartis pour la phase de construction ?

Ces appels d’offres ne seront lancés qu’à partir de la fin de 2019, si l’on excepte celui de conception/réalisation portant sur la gare de passagers de Riga. Il y aura aussi trois terminaux multimodaux à construire ou à agrandir, sous la responsabilité de chacun des trois États. Celui de Salaspils (Lettonie) sera tout neuf. Ceux de Muuga (Estonie), sur la mer Baltique, et de Kaunas (Lituanie) existent déjà et devront être adaptés. Concernant la construction de la ligne en tant que telle, les appels d’offres seront émis à partir de 2021. D’autres seront également lancés pour mettre à niveau la ligne existante entre Kaunas (Lituanie) et la frontière avec la Pologne.

Quels sont les autres détails importants à connaître sur ces appels d’offres?

Point fondamental : la langue de travail de RB Rail est l’anglais. Toutes les procédures d’appel d’offres se font donc dans cette langue. Afin d’avoir un seul système et un seul standard pour tous les appels d’offres, RB Rail a introduit des critères minimums et des lignes directrices valables pour tous les fournisseurs voulant y participer. Par ailleurs, en 2017, nous avons lancé "l’e-tender", l’appel d’offres électronique. Ainsi, une entreprise française n’a pas à venir dans la région chaque fois qu’elle veut déposer son appel d’offres. Un seul voyage suffit pour s’enregistrer auprès de l’entité responsable. Il faut aussi savoir que, pour le design et la construction, nous utiliserons à grande échelle le BIM (Building information modeling). Ce système très performant de gestion des données des phases d’études et de construction permet des visualisations 2D et 3D, associées à toutes les données techniques du projet. Tous les échanges entre les entreprises attributaires des contrats d’études et de travaux avec RB Rail se feront via le BIM. Enfin, au-delà des principaux contrats d’études et de travaux, il y a une multitude de prestations de volumes différents qui font également l’objet d’appels d’offres (études techniques, études de marché, évaluations socio-économiques, missions de support et de conseil).

Quels sont les défis techniques ?

Pour la première fois, nous concevons de façon concertée et techniquement cohérente un corridor européen RTE-T passant par trois pays, et plus tard cinq en comptant la Pologne et la Finlande. Il nous faut, au sein de RB Rail, revoir toutes les études existantes et nous assurer qu’elles répondent bien aux exigences du projet sur le long terme. Nous sommes donc en train de finaliser la consolidation des études préliminaires (CPTD). C’est une étape importante en vue de répondre au plus près aux besoins actuels et futurs, avec le meilleur ratio coûts/bénéfices possible pour tirer le maximum de bénéfices socio-économiques des financements européens et baltes. L’approche numérique aussi est importante. Rail Baltica étant un projet partant d’une page blanche, nous voulons choisir les technologies numériques les plus récentes et innovantes dans la signalisation, l’électrification, la maintenance…. Nous en discutons avec des compagnies européennes pour boucler notre stratégie numérique d’ici fin 2018.

RB Rail est aussi responsable de la bonne réalisation du projet au niveau des frontières entre les pays impliqués, y compris la Pologne. Qu’en est-il ?

Avec les Polonais, nous parlons capacité, calendrier, référentiels de conception... Des groupes de travail technique ont été constitués. Les Polonais vont mettre à jour une étude de faisabilité concernant la vitesse possible sur le tronçon entre la frontière lituanienne et Elk (nord-est), dont les résultats sont attendus cette année. Avec la Finlande, nous parlons aussi avec les autorités compétentes, ainsi qu’avec les responsables du projet FinEst Link, le projet de lien fixe entre Tallinn et Helsinki, dont la réalisation dépend avant tout de celle de Rail Baltica.

La liste des appels d’offres 2018 sera  prochainement publiée ici : www.railbaltica.org/procurement/procurement-list-2018/

*  Jean-Marc Bedmar occupera son poste jusqu’au recrutement prochain d’un citoyen d’Estonie, pays auquel revient cette fonction conformément à un accord intergouvernemental signé par les trois États baltes. Ensuite, il continuera à y travailler, sous la responsabilité de cette nouvelle recrue, en tant que directeur technique pour les systèmes ferroviaires et l’exploitation.

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