Interview

« Le zéro perte nette de biodiversité est une illusion », Carl Enckell, avocat associé, Enckell Avocats

Mesures compensatoires, protection des espèces… L'avocat, spécialisé en droit de l'environnement, analyse l'efficacité de l'arsenal juridique instauré pour lutter contre l'érosion de la biodiversité.

 

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Carl Enckell, avocat spécialisé en droit de l'environnement
Carl Enckell, avocat spécialisé en droit de l'environnement

Le corpus juridique existant peut-il répondre efficacement aux enjeux liés à la biodiversité ?

Non. La France n'est pas en mesure aujourd'hui de freiner l'érosion de la biodiversité. Le droit aborde le sujet essentiellement par le prisme des espèces protégées. Ce ne peut être une réponse satisfaisante compte tenu des enjeux.

La loi Biodiversité du 8 août 2016 n'a-t-elle pas changé la donne ?

Le législateur a effectivement tenté une approche plus globale et créé des outils innovants, mais leur mise en œuvre est loin d'être efficace. Par exemple, les contrats de compensation qui encouragent un propriétaire foncier à sanctuariser un terrain ont des durées de quelques dizaines d'années tout au plus, alors que l'impact des projets, qui est censé être compensé, se prolongera bien plus longtemps.

Quid du « zéro perte nette de biodiversité » inscrit également dans la loi ?

La formule est ambitieuse, mais ce ne peut être qu'un objectif, non une obligation de résultat. En pratique, pour l'atteindre, l'administration a imaginé des ratios de compensation.

Pour 1 hectare de terrain altéré, elle prescrit 2 ou 3 hectares de compensation. Cette notion de ratio est pernicieuse car elle part du principe que la quantité répondrait à l'enjeu. Or elle ne s'intéresse pas du tout à l'efficacité de la mesure et aucun contrôle n'est exercé sur celle-ci. Il est illusoire de croire qu'en se contentant de prescrire in abstracto le doublement ou le triplement d'une surface, l'on parviendra au bon équilibre de la biodiversité.

Quel regard portez-vous sur les décisions rendues ces dernières années par les juges en matière de dérogation « espèces protégées » ?

Les projets, en particulier d'infrastructures, connaissent une judiciarisation importante. Et l'on s'aperçoit que les décisions de justice, tantôt sont déconnectées de la volonté politique, tantôt vont au-delà. Sur le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), par exemple, le juge a estimé que le cadre légal et réglementaire avait été respecté et a rejeté tous les recours des opposants. Pourtant, ce projet a été abandonné… pour des raisons politiques.

S'agissant du CDG Express [liaison ferroviaire entre le centre de la capitale et l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, NDLR], l'annulation partielle de l'autorisation environnementale est clairement teintée d'une coloration politique. Le juge n'a pas exercé son contrôle sur le niveau de compensation proposé, mais sur l'opportunité du projet ; il a considéré qu'il ne répondait pas à un intérêt public majeur. Cette décision est certes un cas particulier mais elle n'est absolument pas conforme à la jurisprudence sur ces sujets. S'il y a une catégorie de projets qui peut revêtir cette qualification d'intérêt public majeur, ce sont bien les projets de transports publics urbains de passagers.

Comment sécuriser efficacement les opérations ?

Le certificat de projet, qui permet à un opérateur d'obtenir de l'administration qu'elle se positionne en amont sur l'encadrement juridique de son projet, serait une solution efficace pour anticiper ces questions d'opportunité et de compensation. Créé dans le cadre de la réforme de l'autorisation environnementale, cet outil est très peu utilisé. Pourtant, il oblige tous les acteurs à penser le projet dans sa globalité, avant d'aller chercher le foncier et avant que des engagements financiers soient pris. La séquence Eviter-Réduire-Compenser (ERC) pourrait ainsi être considérablement améliorée.

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