Interview

« Le village olympique incarnera notre vision de la ville européenne », Nicolas Ferrand, directeur général exécutif de la Société de livraison des ouvrages olympiques

Aménagement -

Sécurité sur le chantier, respect des délais, modes constructifs innovants… Le directeur de la Solidéo veut une opération exemplaire.

 

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Nicolas Ferrand, directeur général exécutif de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solidéo).

Dans moins de vingt-quatre mois, la Solidéo devra avoir livré tous les ouvrages olympiques. A ce stade, le planning est-il respecté ?

Pour l'instant, nous sommes dans les temps. Tous les chantiers du village des athlètes ont démarré ainsi que ceux des très gros équipements comme le centre aquatique olympique et l'Arena 2. En ce début 2022, près d'une quarantaine d'ouvrages sont en travaux sur les 62 prévus. Le schéma, établi dès 2018, prévoit la livraison de tous ces équipements fin 2023, la levée des réserves en janvier et février 2024. Puis le comité d'organisation des Jeux olympiques (Cojo) Paris 2024 prendra possession des bâtiments courant mars 2024. Aujourd'hui, nous sommes capables de tenir ce calendrier avec une organisation standard. Ce qui signifie qu'en cas d'avanie - rupture de la chaîne logistique, crue massive de la Seine… -, nous pourrons doubler les postes de travail, voire éventuellement passer en trois-huit et travailler une partie du week-end en dernier recours. Cette capacité d'accélérer si besoin nous apporte une certaine sérénité et permettra d'absorber sans problème le retard de trois mois avec lequel a débuté le chantier du village des médias, suite à des recours qui ont tous été rejetés.

Les entreprises rencontrent-elles des difficultés d'approvisionnement en bois ?

A ce stade, non. En fait, nous avons traité ce sujet sans même nous en rendre compte. Fin 2018-début 2019, dans un contexte de surchauffe du secteur du bâtiment francilien, nous avons pris la décision d'anticiper la désignation des constructeurs pour éviter d'être confrontés deux ans plus tard à une insuffisance de moyens humains et matériels sur les chantiers olympiques. Dans les consultations d'opérateurs pour le village des athlètes, nous avons donc imposé que chaque groupement candidat se compose d'un investisseur, d'un promoteur et d'un constructeur. Les entreprises de bâtiment, choisies environ dix-huit mois avant le début des travaux, ont ainsi pu disposer de suffisamment de temps pour planifier leurs équipes, leur matériel, leurs grues… Elles en ont aussi profité pour passer leurs contrats de bois, ce qui fait qu'aujourd'hui l'approvisionnement est en grande partie sécurisé.

La construction du village olympique est présentée comme le plus grand chantier monosite de France, voire d'Europe. Quelles dispositions avez-vous prises pour qu'il se déroule dans les meilleures conditions ?

Au second semestre 2022, au pic de l'activité, les travaux du village olympique mobiliseront 3 800 compagnons et 35 grues. Ce chantier s'inscrit aussi dans un environnement qui comprend deux écoles, un collège, un lycée, une école d'ingénieurs et des logements. Nous devons garantir la sécurité absolue de toutes les personnes fréquentant ces lieux alors que 500 passages de poids lourds auront lieu chaque jour. D'où la mise en place de dispositifs logistiques extrêmement lourds : rues coupées, doublement du nombre d'hommes-trafic, interdiction faite aux camions de reculer et de faire demi-tour, ainsi que de stationner hors des emprises qui leur sont réservées. Avec notre prestataire, Mobility by Colas, nous avons créé une base déportée à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) qui servira de zone tampon aux poids lourds.

Qu'en est-il de la sécurité des compagnons ?

Nous devrions prochainement signer une charte avec l'OPPBTP et les constructeurs. Elle liste différentes mesures visant à améliorer la prévention sur ce chantier particulièrement complexe où les risques sont bien présents. Nous avons aussi mis en place un collège interentreprises très axé sur la prévention, un peu différent du collège interentreprises de sécurité, de santé et des conditions de travail (CISSCT) prévu par la loi. Bien sûr, il n'est pas question pour la Solidéo de se substituer aux entreprises mais juste de faire en sorte que les compagnons fassent plus attention à eux et aux autres, en créant un sentiment d'appartenance commune. La sécurité est un énorme sujet de préoccupation pour nous.

En matière d'innovation, de dispositifs constructifs nouveaux, quel sera l'héritage laissé par les Jeux olympiques de 2024 ?

L'ensemble des permis de construire du village des athlètes affichent une réduction de l'empreinte carbone de 47 % par rapport à une construction aux normes classiques actuelles [avant la mise en place de la RE 2020, NDLR]. Il est donc possible d'atteindre, dès aujourd'hui, la cible de - 50 % visée par la stratégie nationale bas carbone en 2030 et cela, à l'échelle d'un quartier mixte de 330 000 m2 réalisé sur le modèle économique de la promotion immobilière, sans subventions, dans un délai contraint et au niveau de charges foncières de la première couronne francilienne. Cela est reproductible ailleurs. C'est l'un des héritages des Jeux, au-delà bien sûr du développement urbain de cette partie de la Seine-Saint-Denis. Notre démarche ne consiste pas à pousser l'innovation le plus loin possible, mais à ouvrir de nouveaux horizons, à dégager le terrain… Ce qui n'empêche pas de procéder ponctuellement à des innovations de rupture. C'est le cas avec le bâtiment démonstrateur d'Icade déconnecté des égouts et avec celui de Nexity qui intègre une régulation des pointes d'énergie par un système de batteries zinc-air.

« Sans subventions, nous réduirons de 50 % l'empreinte carbone d'un quartier mixte de 330 000 m². »

Avez-vous fait bouger les lignes dans d'autres secteurs ?

Avec l'aide d'Adivbois, nous avons publié un guide de recommandations sur les principes constructifs des immeubles en structure bois jusqu'à 28 m de hauteur. Avec le CSTB, nous avons fait passer en technique courante la pose de trois types de vêtures sur les façades à ossature bois (terre cuite, terre crue, parement avec différents matériaux biosourcés comme isolant) alors qu'il n'existait pas de DTU.

Dans les semaines à venir, nous devrions lever la question des douches sur un plancher bois qu'Icade veut installer.

Nous avons aussi travaillé sur le confort d'été. Nous garantissons une température maximale de 28 °C pas plus de cent soixante heures par an dans la pièce la plus chaude de tous les bâtiments du village olympique et de celui des médias sous contrainte du climat de 2050. Nous avons avancé sur d'autres sujets. Colas, par exemple, va bâtir un pont en Douglas du Morvan au-dessus de l'A1, à la hauteur du Bourget (Seine-Saint-Denis), d'une longueur de 100 m. Avec ce projet, mis au point avec le Cerema, nous donnons à la filière bois la possibilité de recommencer à construire des ouvrages d'art.

Vous êtes allé aux JO de Tokyo. Quels enseignements en avez-vous tirés ?

Les équipements publics y sont d'une grande qualité avec un niveau de finition incroyable. Inversement, j'ai trouvé le village olympique assez banal, monotone, très minéral et doté d'espaces publics peu développés. Nous sommes revenus avec la conviction que nous devions nous différencier de cette approche asiatique dans laquelle la ville est conçue comme une machine dont il faut optimiser le fonctionnement.

Le village des athlètes de Saint-Denis, Saint-Ouen et L'Ile-Saint-Denis doit au contraire incarner notre vision de la ville européenne basée sur l'individu, sa singularité, son ressenti, sa capacité d'émancipation… Nous espérons que nous allons réussir à créer un quartier avec une vraie ambiance urbaine et à atteindre le niveau d'ambition que nous nous sommes collectivement fixé, que la France nous a fixé.

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