Interview

"Le secteur n’évolue pas assez vite au regard des enjeux environnementaux", Gabrielle Piot, jeune diplômée de l'ESTP

Jeune diplômée de l'ESTP, Gabrielle Piot a pris la parole lors de sa remise de diplôme. Avec trois autres élèves, ils appellent le secteur à se tourner vers des pratiques plus vertueuses, notamment en refusant les projets climaticides. 

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Gabrielle Piot
Gabrielle Piot est diplômée de l'ESTP promotion 2022 et travaille actuellement chez Elan, comme consultante en économie circulaire.

Avec Laudine Coz, Aurélia Nazzi et Mathéo Gabon, désormais anciens étudiants de l’Ecole supérieure de travaux publics (ESTP), vous avez pris la parole lors de votre remise de diplôme. Quel message souhaitiez-vous faire passer ?

Notre ambition est de lancer un appel à l’action qui concerne aussi bien nos collègues jeunes diplômés, que les anciens élèves ou les entreprises où nous allons travailler. Dans notre discours [qui s’est tenu lors de la remise des diplômes le 14 avril dernier, NDLR], nous citions Jean Jouzel avec cette phrase éloquente : « Pas besoin de faire du catastrophisme, la situation est catastrophique ! ».

En tant que diplômés de l’ESTP, une grande responsabilité nous incombe car notre secteur est responsable de 25 % des émissions de gaz à effet de serre et de 70 % des déchets produits en France. C’est pourquoi nous appelons tous les ingénieurs à agir de manière forte, unie, immédiate et globale.

Notre discours se termine en ces termes : « Notre génération ne se voilera pas la face. Elle n'acceptera pas de détruire sa propre planète. Maintenant que nous accédons aux postes à responsabilité, créons un nouveau modèle. Faisons de l’impact environnemental notre priorité, bien avant le gain. Refusons les projets climaticides comme écocides, dissimulés derrière un greenwashing qu'il est temps d’éliminer ».

Vous-même avez rejoint les équipes d’Elan, filiale de Bouygues Construction depuis sept mois. Parvenez-vous à agir et à avoir un réel impact sur les projets que vous accompagnez ?

Si je constate des progrès certains, comme par exemple le fait qu'il aurait été inconcevable d’envisager poser des moquettes issues du réemploi, le secteur n’évolue pas assez vite au regard des enjeux environnementaux.

Le BTP affiche une très forte inertie et parfois du mal à changer ses pratiques. Il faut y aller étape par étape, en proposant des matériaux de réemploi issus de filières déjà matures, puis évoluer ensuite vers des matériaux moins usuels. C'est un peu comme essayer de faire changer ses habitudes à ses grand-parents, il faut y aller pas à pas, en accompagnant.

Comme beaucoup de jeunes, je constate le travail réalisé par certains, comme Fabrice Bonnifet, directeur développement durable du groupe Bouygues, mais je vois aussi que la croissance économique reste le premier critère de décision.

C'est parfois frustrant de n'être qu'une goutte d'eau dans un projet, et de constater que les critères environnementaux, s'ils ne sont pas une obligation légale, sont presqu'automatiquement relégués au second plan.

Comment parvenez-vous à dépasser cette frustration ?

Je prends en compte plusieurs aspects : en premier lieu, le fait que les solutions existent pour le BTP. Nous pouvons faire évoluer les pratiques pour construire bas carbone, développer le réemploi ou utiliser des matériaux bio et géosourcés. L’étape en cours consiste à construire mieux, mais ce n’est pas suffisant, car nous mesurons les déchets évités alors que l’enjeu réside sur les déchets générés, pour ne prendre que cet exemple.

J’envisage donc déjà la prochaine étape qui sera de construire moins et de questionner la pertinence de chaque projet neuf.

A plus long terme, je continue à sensibiliser les anciens élèves de l’école. C’est pourquoi avec Claire Vaillant-Irigoin et Arthur Guidault, deux alumni également, nous avons créé en juin dernier le groupement ESTP Alumni Transition, qui propose des alternatives aux ingénieurs en poste dans leurs pratiques quotidiennes. Cette association fonctionne en lien avec Eole ESTP pour les étudiants de l’école. Ensemble, elles contribuent à faire bouger les lignes, y compris pour faire évoluer le contenu des enseignements. Il est déjà question de revoir les diplômes pour intégrer des cours sur la prise en compte du climat et de la biodiversité en tronc commun.

Enfin, comment envisagez-vous votre avenir professionnel ?

Il est très difficile de répondre à cette question, car la situation est instable et j’ignore comment sera le monde par rapport à l’écologie dans deux ans. Même si des engagements ont été pris, nous ne pouvons pas imaginer la prise de conscience que cela va engendrer. Cette dernière pourrait être spectaculaire par son ampleur, ou, au contraire, quasiment inexistante.

Pour changer ses habitudes, le BTP, qui constitue un secteur essentiel, a fortement besoin de conseils en matière d’environnement. L’enjeu à mes yeux est d’être à l’aise avec le fait que le secteur n’évolue pas aussi vite que je le souhaiterais.

Ce qui me motive et me donne l’énergie de poursuivre est justement de constater que les mentalités évoluent. Et je suis certaine qu’il n’est plus possible de recruter en pensant que les enjeux environnementaux pourront être ignorés tout au long d’une carrière professionnelle.

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