Le 1er mai 2022, après quatre ans de chantier, le public a pu arpenter le site verrier de Meisenthal (Moselle) entièrement remodelé. Le lieu a trouvé là un second souffle, à l'issue d'un travail de réhabilitation de longue haleine. La verrerie, fondée au cœur de la forêt vosgienne en 1704, fut au XIXe siècle le berceau du verre de style Art nouveau, grâce au créateur Emile Gallé (1846-1904). Durant l'entre-deux-guerres, l'usine employa jusqu'à 650 salariés pour produire en masse des objets usuels (beurriers, sucriers, presse-citrons, etc.), assistés par la mécanisation. Son retour à l'artisanat au cours des années 1960 entraîna son déclin et scella son destin. La sirène retentit une dernière fois le 31 décembre 1969. Puis le silence s'installa sur la friche industrielle.

La friche industrielle d'un hectare présentait, avant travaux, une hétérogénéité d'architectures et d'accès.
Peu à peu, des habitants, des associations et un collectif artistique ont impulsé une nouvelle dynamique à ce site d'un hectare. Un musée du Verre, un Centre international d'art verrier et un espace dédié au spectacle y ont successivement pris vie en 1983, 1992 et 1996. Il ne manquait plus qu'à fédérer ces trois entités autour d'un grand projet commun. Une étude réalisée par la société Café Programmation, définissant les besoins et les investissements, a été validée en 2013. L'année suivante, la communauté de communes du Pays de Bitche, gestionnaire des lieux, a lancé un concours international d'architecture.
Deux jeunes agences en binôme. La compétition est alors remportée par deux jeunes agences : So-Il (Jing Liu, Florian Idenburg, Ilias Papageorgiou), basée à New York, et Freaks (Guillaume Aubry, Cyril Gauthier, Yves Pasquet), installée à Paris. « Notre proposition était axée sur la dynamique du site plutôt que sur l'ajout d'un bâtiment, car il en existait déjà suffisamment », explique l'architecte Guillaume Aubry. Leur idée, concrétisée depuis, consistait à recouvrir une partie de la parcelle par une vaste nappe en béton au relief ondulé.

Edifices neufs et anciens sont reliés par un anneau ondulé en béton, qui rend les lieux accessibles à tous.
« Grâce à elle, en un seul geste, nous connectons par l'extérieur tous les édifices situés à des altimétries différentes », souligne son associé Cyril Gauthier. La nappe permet aussi d'intégrer, sous sa voûte de 11 m, le nouvel accueil des visiteurs. Celui-ci a été construit, en béton, sur les ruines, en brique, d'un ancien atelier de décor sur verre. Billetterie, boutique et espace café avec terrasse occupent le rez-de-chaussée ; tandis qu'à l'étage se trouve une salle multifonction. Entre novembre et décembre 2021, le lieu a enregistré un pic d'affluence de 30 000 personnes, venues acheter leurs boules de Noël. Meisenthal a relancé la production de cet objet rituel en 1999, en collaborant avec un designer différent chaque année. L'an dernier, près de 65 000 pièces ont été vendues.

La boutique a été installée près de la billetterie, au sein d'un nouvel espace construit en béton sur les ruines d'un atelier en brique. elle est traditionnellement en fin d'année, les mateurs de boules de Noël venant alors acheter de quoi décorer leur sapin.


Les verriers, dans leur atelier historique de fabrication et de démonstration, se trouvent à proximité de celui des apprentis, bâti sur le modèle d'un portique en béton préexistant.
Des techniques et des œuvres. Le parcours de visite commence par les caveaux du musée, qui abritent le foyer du premier four de la verrerie, daté de 1711. Suivent dans les étages quatre salles d'exposition, où sont tour à tour présentés : les techniques pour façonner et décorer le verre, un florilège d'objets fonctionnels ou décoratifs produits par les verreries (Goetzenbruck, Lemberg, Arzviller) et cristalleries (Saint-Louis, Lalique, Baccarat, Daum) de la région, et une collection d'œuvres d'art. Parmi elles, le rarissime « Vase à la carpe » (1878) du verrier Emile Gallé ou encore la série « Hand Sign » (2010) de l'artiste Michel Paysant, qui reproduit l'alphabet du langage des signes via vingt-six petites mains. La muséographie et la scénographie sont signées par l'agence parisienne Designers Unit.
Si le bâtiment de 1813 a dû subir une réhabilitation lourde, la charpente des années 1930 est restée quasiment dans son aspect d'origine. Sa résille lamellaire en bois, brevetée par l'architecte et ingénieur Friedrich Zollinger (1880-1945), a simplement été percée de lucarnes en forme de losange pour apporter de la lumière naturelle. La couverture en ardoise a été refaite. Depuis le pignon est, une passerelle courbe en béton raccorde le musée au Centre international d'art verrier (Ciav).

Le deuxième étage du musée présente, sous sa charpente en bois datant des années 1930, les techniques traditionnelles pour façonner le verre à chaud et le façonner à froid.
Un terrain de jeu pour les créateurs. « L'objectif du Ciav, détaille son directeur Yann Grienenberger, consiste à aller puiser dans les patrimoines matériel et immatériel sauvegardés ici, afin d'en faire un terrain de jeu expérimental pour les créateurs. » Pour cela, trois bâtiments sont à disposition : l'atelier de fabrication historique, avec désormais une moulothèque attenante ; et deux nouvelles constructions en béton, qui augmentent la capacité de production et améliorent le confort des verriers. « On les surnomme “les faux jumeaux”, indique l'architecte Yves Pasquet. Ils reprennent et dupliquent la volumétrie d'une structure poteaux-poutres préexistante, aujourd'hui démolie. » Celle-ci permettait le stockage et l'acheminement du charbon.

Une galerie d'exposition, située dans l'ex-atelier de taille du verre, tout près des fours, permet de présenter le travail issu de la collaboration entre un designer et les verriers de Meisenthal. Ici, celui de Nicolas Verschaeve, intitulé "Sillages".
Le parcours de visite s'achève dans l'ex-usine où subsistent les vestiges de deux fours de fusion et de la tour de contrôle. Le Collectif artistique de développement de la halle de Meisenthal (Cadhame) y organise des événements - expositions, concerts, festival d'arts de rue - rassemblant jusqu'à 3 000 personnes.

La nouveauté : une boîte noire. Cette salle de spectacles de 340 places assises, aux équipements modulables (gradins rétractables et scène mobile), dispose de deux portes de 8 x 16 m qui s'ouvrent sur la halle. Les deux espaces peuvent ainsi fusionner. A l'extérieur, l'ancienne cheminée de 25 m, corsetée de métal pour remédier à sa scoliose, marque le point d'exclamation final du circuit.

Dans la halle verrière, une boîte noire, salle de spectacles modulable, a été créée. Les deux portes constituant le fond de scène s'ouvrent et permettent de fusionner les deux espaces.
Maîtrise d'ouvrage : Communauté de communes du Pays de Bitche. Maîtrise d'œuvre : So-Il et Freaks (architectes), LFA (architecte d'exécution). BET : MHI (structure, fluides, électricité), Ducks (scénographie), Designers Unit (muséographie), MDETC/VPEAS (économie), Peutz (acoustique), C2Bi (OPC).
Principales entreprises : Sotravest (démolition, gros œuvre), CrepiCentre (traitement des façades), Soprema (couverture, étanchéité), René Helluy (menuiseries extérieures), René Grebil & Cie (VRD, espaces verts, assainissement). Surface : 6 500 m² SP.
Coût des travaux : 12,5 M€ HT.