« Le rafraîchissement urbain repose sur des intelligences croisées », selon Alain Marguerit, paysagiste et urbaniste

A l’approche des pics caniculaires annoncés pour cet été et dont l’intensité croîtra dans les années à venir, Alain Marguerit détaille son approche du rafraîchissement urbain. A Lyon, Toulouse et Nîmes, le colauréat du grand prix des victoires du paysage 2016 entrecroise les échelles des espaces et du temps, le travail du minéral et du végétal, la rigueur technique et la sensibilité poétique.

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Alain Marguerit
Au printemps 2019 à Nîmes, Alain Marguerit a expliqué son projet aux paysagistes conseil de l'Etat

A quelles conditions les arbres urbains peuvent-ils rendre les services climatiques de plus en plus attendus par les usagers ?

Il faut d’abord mettre fin à la tendance à séparer les concepteurs et les ingénieurs, et s’inscrire dans le temps long, qui n’obéit pas au rythme intense du projet. Le thème du rafraîchissement, auquel je réfléchis depuis 40 ans, fait partie du bien-être en ville. Comment créer une situation optimale pour y parvenir ? D’abord par une affirmation claire de l’objectif, formulée par le concepteur avec l’ingénieur et le maître d’ouvrage. Le résultat ne découle pas du hasard, mais de l’affirmation d’une volonté.

Comment avez-vous appliqué cette approche à Lyon, dans le réaménagement du boulevard Garibaldi ?

Tout découle d’une vision métropolitaine : celle d'un corridor écologique entre le parc de la Tête d’or, au nord, et celui de Gerland, au sud, à partir d’un couloir routier parallèle au Rhône. A plus grande échelle, la continuité s’étend à l’aval jusqu’à Oullins, sur la rive droite, et à l’amont jusqu’à Miribel Jonage, le plus grand parc naturel urbain d’Europe, sur le lit majeur du Rhône.

Sans remettre en cause la présence de l’automobile, il s’agit de la ramener à sa place dans le corridor écologique où circulent également les piétons, les transports en commun et les cycles. Au XXème siècle, les ingénieurs ont fermé cet îlot. Sa transformation passe par la reconversion d’ouvrages techniques autoroutiers.

Le partage de cette vision avec l’ensemble des acteurs concernés s’est-il bien déroulé ?

Sous la maîtrise d’ouvrage du Grand Lyon, la méthode d’échange interservices et d’ateliers de projets a d’emblée impliqué les vrais décisionnaires, tant du côté de la voirie et des infrastructures que du côté des espaces verts. Frédéric Ségur, pour le service Arbres et paysage de la métropole, et Daniel Boulens, chef des espaces verts de la ville, ont mené un travail extraordinaire, prolongé dans une convention de gestion entre les deux collectivités.

Cela a permis d’anticiper les nouvelles fonctions des anciens tunnels, transformés en réservoirs d’eau pluviale utilisés pour l’arrosage qui participe au rafraîchissement. Dans l’idéal, le concepteur devrait pouvoir bénéficier d’une mission de suivi de cinq ans, pour s’assurer de la bonne prise en main d’un tel système.

Comment choisir les végétaux qui optimisent la fonction de rafraîchissement ?

Les arbres de grand développement commandent les deux autres strates, celles des arbustes et des plantes couvre-sol qui contribuent à la bonne santé du sol. A la place de revêtements d’asphalte, le développement racinaire doit pouvoir s’opérer sur 12 m², sous le sol, à partir d’une surface de 2 m par 2 qui permet les échanges d’eau et d’air. Ces fonctions de protection vont de pair avec les usages récréatifs favorisés par les assises, banquettes ou lisses basses.

Les entreprises chargées de ces travaux ont-elles bien su adapter leur savoir-faire aux exigences du vivant ?

Des évolutions profondes restent nécessaires, aux points de rencontre du végétal et du minéral. Cela commence par l’interdiction des passages d’engins sur les fosses terre-pierre. La planification du chantier repose sur la rédaction précise des cahiers des clauses techniques particulières. En aval, nous attendons des entreprises des rapports clairs sur le respect des prescriptions, même quand cela complique la pose d’un lampadaire ou le passage d’un tuyau.

La surveillance doit en partie reposer sur l’entreprise d’espaces verts, qui ne peut se contenter d’attendre la fin du génie civil pour intervenir, même si la responsabilité incombe d’abord au maître d’œuvre. Verdir la ville, c’est un métier qui requiert une technicité. Mieux vaut la partager avec des pépiniéristes régionaux, qui comprennent les problématiques du sol, contrairement aux importateurs.

Les quartiers neufs vous donnent-ils plus de latitude pour atteindre des objectifs de rafraîchissement urbain ?

Depuis une quinzaine d’années que nous travaillons sur le quartier de la Cartoucherie à Toulouse à travers deux alternances municipales, nous avons tenu l’orientation qui cadre cet objectif : utiliser l’eau gratuite du canal d’irrigation Saint-Martory pour tirer trois promenades orientées Est Ouest qui structureront le quartier. Sur 40 m de large, cet axe de végétaux et d’eau coupe celui de la ville, avec ses deux grandes avenues orientées nord sud.

La trame du quartier résulte de cette structure écologique et urbaine désormais perceptible aux abords de l’école régionale de santé : le théâtre de verdure fonctionne autant comme bassin urbain que comme bassin versant, dont l'eau s’infiltre en douceur dans la nappe de la Garonne en cœur d’îlot. Ce résultat repose sur le choix d’un taux de 30 % de surface en pleine terre, et sur l’orientation des bâtiments prescrite par l’architecte Jean-Marc Fayel, dans des îlots de l60 à 80 m de côté pour 100 à 150 logements, compatibles avec 7 ou 8 grands arbres susceptibles de s’élever à 25 m de haut.

Ces choix ont-ils recueilli l’adhésion des services municipaux ?

J’ai longtemps ressenti une méfiance. Aujourd’hui, le service des espaces verts évolue, face au sujet majeur que constitue l’installation du végétal dans sa grande dimension. Des scientifiques comme Francis Hallé nous aident : l’écoute dont ils bénéficient nous donne une légitimité nouvelle. La demande des électeurs concorde avec cette évolution.

Dans les centres urbains, les parkings sous dalles constituent-ils un obstacle infranchissable sur la voie du rafraîchissement urbain ?

A Nîmes où nous avons affronté cette difficulté, le maire nous a suivis, contre la direction régionale des affaires culturelles, mais avec l’appui de l’architecte des bâtiments de France… Le résultat découle d’un long dialogue avec les élus, les administrations et les services municipaux. Au stade du concours, un parti minéral et urbain présidait au réglage de la nappe de circulation et de l’accès  au parking. La sensibilité du maire a permis l’évolution vers un jardin plus que vers une place, avec un soin particulier aux arbres, alors qu’un rapport préconisait l’abattage d’une des deux rangées, plantée trop bas. La végétalisation des pieds les a sécurisés et favorisé leur maintien.

En position de force après le renouvellement de sa concession pour 25 ans, Vinci a refusé de changer l’étanchéité du parking : son huissier surveillait les opérations, à l’affût de constats de fuite, avec de l’eau colorée. Nous avons dû prendre le parti d’installer des pergolas, qui nécessitent beaucoup d’entretien : ce n’est pas ma tasse de thé, mais cela a permis de créer un lieu plus jardiné, avec une continuité d’ombre et de fraîcheur sur l’ensemble de l’emprise.

Cette recherche de fraîcheur se ressent et s’entend au sortir de la gare, avec le clapotis de l’eau sur l’axe qui mène aux arènes…

Un long débat a précédé le choix qui permet de marcher à l’ombre et au centre de l’axe, dans une masse végétale horizontale et verticale, tandis que les véhicules distribuent l’accès aux habitations en périphérie. La présence de l’eau renvoie à la naissance de Nîmes, liée à la source du jardin de la Fontaine, aux origines encore inexpliquées.

Pour rendre possible cette option inspirée par les systèmes d’irrigation des villes romaines, il fallait un ouvrage parfait, à l’épreuve des crues centennales, caché à la sortie de la gare dans un local de 150 m2 réalisé par l’excellent fontainier Jean-Max Llorca. Les feuilles de platane exigent une surveillance quotidienne. Associée à l'utilisation de technologies numériques, cette exigence technique illustre le renouveau de notre métier qui repose sur des intelligences croisées et partagées. Loin des dénonciations dogmatiques de la bétonisation, la transformation de l’espace public passe par ces interrelations et un peu d’humilité. Ecoutons Francis Hallé ou Edgar Morin, évitons de suraménager et de croire qu’il est possible d’avoir raison tout seul !

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