Le pont de Térénez à la loupe

La première inspection détaillée de l'ouvrage breton met en œuvre des moyens humains et techniques à la hauteur de la tâche.

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Le pont de Térénez établit un lien avec la presqu’île de Crozon. Il se distingue par ses deux piles en forme de Y renversé et sa travée courbe.

Lors de sa livraison en 2011, le pont routier de Térénez, dans le Finistère, avait fait sensation. Selon ses concepteurs, l'ingénieur Michel Virlogeux et l'architecte Charles Lavigne, sa travée centrale en courbe, longue de 285 m, était la plus grande jamais réalisée en Europe à l'époque. L'ouvrage se distingue toujours aujourd'hui par sa géométrie, sa longueur totale de 515 m et ses 144 haubans, eux aussi incurvés. Côté structure, il se caractérise par ses deux pylônes creux en forme de Y renversé de 100 m de haut (60 m au-dessus du tablier, 40 m en dessous) et par ses deux points d'appui intermédiaires (pilettes) hauts de 40 m, qui permettent à la RD 791 d'enjamber la ria de l'Aulne. Emprunté quotidiennement par 6 500 véhicules, il relie la commune d'Argol, sur la presqu'île de Crozon, à Rosnoën, sur le continent.

Exposé à de rudes conditions atmosphériques qui conjuguent de forts taux d'hygrométrie à la salinité, ce pont doit faire l'objet d'une inspection détaillée périodique (IDP). « De surcroît, sa configuration atypique nécessite une attention particulière si nous voulons réussir à éviter l'apparition de pathologies », explique David Loth, responsable de l'unité ouvrages d'art au conseil départemental du Finistère. L'Instruction technique pour la surveillance et l'entretien des ouvrages d'art (Itseoa) recommande une visite et des examens visuels « au contact » tous les six à huit ans. Cette première et indispensable inspection rapprochée rendait impossible l'usage du drone. Le gestionnaire a donc missionné le bureau d'études Ginger CEBTP pour ausculter aussi bien les bétons que les haubans grâce à des méthodes originales.

Quatre semaines d'inspection. Le bureau d'études a choisi de recourir à deux techniques différentes et complémentaires : d'une part, des cordistes spécialisés dans les ouvrages d'art pour ausculter les faces extérieures des piles et les haubans (voir encadré ci-dessous).

Cordistes - Les acrobates en action

 

« Amorce d'éclat à la jonction du béton et de l'acier, premier hauban. Fissure ouverte de 0,01 mm à 40 cm de la boîte, oxydation de la peinture… » Positionné sur l'extrados, au pied de l'une des piles du pont de Térénez, Jean-Marie Bucaille, ingénieur pathologiste chez Ginger CEBTP, reporte méthodiquement sur un schéma papier les micro-désordres signalés par Matthieu Couturier, cordiste de la société Art Protect. Les observations réalisées à l'aide de règles peuvent être complétées par la prise de photographies, tandis que les échanges avec l'ingénieur au sol s'effectuent via des talkies-walkies. En janvier, les cordistes auront achevé l'inspection des 144 haubans par lot de deux à trois, en commençant par l'ancrage haut. Les opérations consistent à glisser sur toute la longueur des câbles jusqu'au sol, afin de vérifier l'état de la gaine en polyéthylène haute densité (PEHD).

« Outre les conditions météo, toute la difficulté réside dans l'installation des points d'ancrage », témoigne Matthieu Couturier. Ici, les pylônes creux permettent d'accéder au sommet par une échelle intérieure pour acheminer le matériel, soit 20 kg pour 400 m de cordes. Ces dernières sont fixées grâce aux trous des clés des banches.

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D'autre part, la passerelle négative du Cerema, baptisée Epsilon, pour inspecter l'intrados des trois travées centrales ainsi que les parties basses des piles et des pilettes (lire ci-dessous). L'ensemble du dispositif a été complété par une nacelle élévatrice araignée utilisée pour inspecter la culée et les deux travées de rives.

Nacelle négative - Ausculter l'intrados au plus près

 

Mise au point par le Cerema, la passerelle Epsilon s'installe sous le tablier des ouvrages d'art. « Sa mise en place s'effectue en deux heures », indique Florent Plassard, responsable de l'unité pathologie des structures et diagnostic au Cerema. Celle-ci se déroule en plusieurs phases : elle est d'abord suspendue via deux treuils reliés aux chariots motorisés parallèlement à l'ouvrage. Grâce à leurs câbles de 150 m de long, ces derniers descendent la nacelle au niveau bas de la pile, soit sur un bateau, où l'un des câbles est découplé. Une fois les chariots installés de part et d'autre du pont, le câble peut être raccroché afin de remonter la nacelle au plus près des zones à inspecter. Sa manutention ne requiert ensuite que trois personnes : une pour chaque chariot et un chef de manœuvre à bord de la passerelle.

Le passage des piles représente un autre moment périlleux. La nacelle est de nouveau descendue et ses occupants débarqués. Ensuite, l'un de ses câbles est décroché pour la positionner à la verticale. Suspendue d'un seul côté, elle franchit la pile par translation pour être raccrochée une fois la pile franchie. Les auscultations de la sous-face n'ont ainsi duré que trois jours.

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Les opérations d'inspection ont débuté le 14 octobre dernier et devaient durer trois semaines. « La première semaine, nous avons inspecté l'extrados du tablier, les équipements routiers tels que les garde-corps, les dispositifs de retenue, la chaussée, les trottoirs, les bordures, etc. , relate Jean-Marie Bucaille, ingénieur pathologiste de Ginger CEBTP. Nous avons également vérifié les ancrages des haubans, les abords du pont et l'intérieur des piles accessibles par une échelle à crinoline », énumère-t-il. La semaine suivante a été dédiée à l'installation et à l'utilisation de la passerelle négative. Les cordistes devaient intervenir en dernier pour inspecter les piles et les haubans. Or, les vents forts et la pluie les ont obligés à interrompre leur mission. Celle-ci se terminera donc en janvier.

Fissurations inférieures à 0,1 mm de large. Les premiers résultats s'avèrent positifs : « Le relevé des désordres ne recense que des fissurations d'environ 0,1 mm de large sur les parties en béton », témoigne Jean-Marie Bucaille. En outre, des défauts de peinture sur les éléments métalliques laissent apparaître des traces d'oxydation sur certaines des boîtes d'ancrage des haubans comme sur les parements protecteurs des entretoises métalliques de l'intrados. « Le diagnostic complet de l'état de l'ouvrage sera livré au gestionnaire une fois l'ensemble des inspections achevées. Il permettra au conseil départemental d'établir son plan de future maintenance », poursuit l'ingénieur pathologiste. Les minces dégâts constatés pour l'instant devraient permettre au pont de Térénez d'obtenir la classe 1, ce qui correspond à un bon état apparent selon le référentiel Image de la qualité des ouvrages d'art (IQOA) - au total, les ponts sont caractérisés par cinq classes : 1, 2, 2E, 3 et 3U. Avec cette note, seules des actions d'entretien courant seront nécessaires. L'auscultation aura représenté un budget global de 100 000 euros TTC pour le conseil départemental.

Maîtrise d'ouvrage : conseil départemental du Finistère.

Mission d'inspection : Ginger CEBTP (mandataire), Cerema (nacelle négative), Art Protect (cordistes).

Début des opérations : 14 octobre 2019.

Fin des opérations : janvier 2020.

Budget : 100 000 euros TTC.

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