Le secteur de la construction enchaîne les crises depuis deux ans. Comment vous portez-vous ?
Si nous regardons les résultats 2021 (2,38 M€ de chiffre d'affaires), nous constatons que, malgré les crises que nous avons pu connaître et que nous connaissons encore, nous traçons notre sillon. Nous avons multiplié par cinq nos volumes vendus en produisant, conformément à nos objectifs, un peu plus de 10 000 t en 2021.
Nous envisageons de faire cette année entre 4,5 et 6,5 M€ de chiffre d'affaires, et de recruter pour passer de 40 à une cinquantaine de collaborateurs. Malgré le contexte actuel, nous maintenons notre calendrier industriel. Nous finalisons ainsi la construction à Bournezeau (Vendée) de H2, la seconde unité de production Hoffmann qui aura une capacité, cinq fois supérieure à la première, de 250 000 t. Les premiers essais auront lieu au second semestre pour une mise en service dans la foulée, conformément au calendrier que nous avons présenté à nos actionnaires.
Votre ciment sera-t-il encore plus bas carbone ?
Ce terme de bas carbone est utilisé par tout le monde sans qu'on sache réellement ce qu'il recouvre. Hoffmann est producteur des ciments décarbonés les plus performants du marché : sous la barre des 200 kg de CO2 par tonne, et surtout 0 % clinker. Notre ciment H-UKR vient d'être certifié sous ATEx de cas « A » par le CSTB après quatre années de tests, ce qui le fait donc tomber dans la technique courante. Il s'agit d'un point majeur pour nous, pour les assurances et les bureaux de contrôle. On va pouvoir utiliser le H-UKR pour tout type d'ouvrage : poutres, planchers, voiles, poteaux, et d'autres applicatifs très prochainement.
Comment décarbonez-vous votre ciment ?
Nous utilisons un système d'activation breveté qui nous permet de nous passer totalement de clinker.
Depuis 2016, nous avons obtenu 11 brevets (américains, européens et chinois) pour du ciment 0 % clinker. Nos ciments H-UKR et H-IONA emploient des laitiers de hauts-fourneaux moulus en substitution. Nous allons sortir très prochainement, vraisemblablement après l'été, une troisième technologie à base d'argile flashée : nous captons les boues d'argile issues de carrières de granulats. Nous avons d'ailleurs signé un contrat avec Bouygues Construction pour la livraison de 50 000 t de ciment à base d'argile nommé H-EVA, 0 % clinker mais aussi 0 % laitier. David Hoffmann [directeur général et scientifique de l'entreprise, NDLR] et son équipe de R & D travaillent sur d'autre coproduits à valoriser comme les cendres volantes issues de la biomasse, qui seront disponibles à profusion dans les années à venir.
Nous souhaitons demain nous appuyer sur un multisourcing.
Les granulats recyclés en font également partie ?
Nous avons lancé il y a peu la construction de notre propre centrale à béton à Bournezeau pour développer toutes les formulations béton pour nos clients centraliers, ce qui représente un investissement de 1,5 million d'euros.
Ce site de R & D va nous permettre de tester de nouveaux granulats, comme les granulats fossilisés de la start-up Néolithe ou des granulats issus de la déconstruction.
Sauvegarder nos ressources, c'est ça l'avenir. La seconde grande étape pour Hoffmann Green Cement Technologies consistera à utiliser nos ciments décarbonés avec des granulats issus de la déconstruction pour produire les bétons les plus vertueux possible. Nous nous refusons à dire « neutre en carbone », car cette formulation n'est pas tout à fait exacte. En effet, tout ce qui nous entoure a un bilan carbone.
Celui de notre ciment est en tout cas transparent, visible dans sa fiche FDES : il inclut la production du ciment (électricité, transport en amont des matières premières et des coproduits) et le bilan carbone des matières premières et des coproduits. Le calcul est effectué par un cabinet indépendant qui le fait auditer par l'un des 20 vérificateurs Inies.
Justement comment vous situez-vous dans la RE 2020 ? Est-ce qu'un bâtiment en béton Hoffmann peut être compétitif par rapport à une construction bois ?
Est-ce qu'on raisonne en bilan carbone ou en bilan économique ? Aujourd'hui, le bois coûte 20 à 30 % plus cher qu'un béton traditionnel ou Hoffmann. Et ce prix a renchéri depuis deux ans. A paramètres constants, si vous prenez un immeuble A en béton Portland et un immeuble B en béton Hoffmann, ce dernier coûtera 3,5 % plus cher tous corps d'état confondus. Si vous ramenez cela au m² (surfaces horizontales et verticales), le béton Hoffmann vous coûtera entre 35 et 50 € de plus au m². En revanche, les solutions Hoffmann permettent d'ores et déjà d'atteindre les seuils de la RE 2020 fixés pour 2025. Nous avons environ cinq ans d'avance technologique sur l'industrie cimentière traditionnelle.
« Le terme de bas carbone est utilisé par tout le monde sans qu'on sache réellement ce qu'il recouvre. »
Un ciment décarboné demande aussi un appareil de production décarboné. Comment fonctionne votre usine ?
C'est une usine 4.0 dont le processus de production fonctionne à froid : pas de cuisson du clinker donc pas de four, pas de cheminée et pas de fumée. Nous ne consommons pas d'énergie mais en produisons. Grâce à des trackers solaires, panneaux qui suivent la course du soleil - nous en aurons 12 à la fin de l'année -, nous générons l'électricité verte de notre process. C'est d'ailleurs pour cela que nous ne sommes pas soumis aux fortes hausses actuelles du prix de l'énergie.
$
Est-ce que des technologies comme les vôtres ne devront pas à terme être laissées au libre usage de tous pour permettre un saut en avant ?
C'est ce que nous avons en quelque sorte commencé à faire. Il y a quelques mois, nous avons procédé à une augmentation de capital de 22,5 M€ (ce qui fait un montant total de levées de fonds de plus de 100 M€) qui nous a permis de commencer à nous déployer à l'international.
Notre souhait est de signer des contrats de licence avec de grands acteurs qui construiront des unités de production Hoffmann dans leur pays - unités jumelles de H2 - pour produire sous licence nos ciments décarbonés. Nous avons la volonté, à horizon 2026, d'implanter quatre unités à l'international avec quatre partenaires différents.
Nous espérons d'ailleurs annoncer dans l'année la signature d'un premier contrat. Nous ouvrons donc indirectement notre propriété intellectuelle à ceux qui travailleront sous licence avec des technologies qui sont d'ailleurs pour la plupart brevetées. Ce n'est que comme cela qu'on arrivera à les déployer rapidement.
Quelles autres évolutions attendent le secteur ?
Le monde de la construction ne pourra pas continuer à faire dans les trente prochaines années ce qu'il a fait les trente dernières. Il doit faire sa révolution. Demain, la mixité des matériaux sera inévitable, avec le bon matériau au bon endroit. Cette construction intelligente contribuera à la baisse des émissions de CO2. A titre personnel, je pense que la construction hors site est l'avenir du bâtiment pour supprimer tout un tas de contraintes sur les chantiers et pour gagner du temps. Tout l'enjeu sera de travailler de façon collaborative et collective pour accompagner l'innovation de rupture.
Nous avons les compétences et nous avons les fonds (notamment à travers les programmes PIA 4, France 2030…), maintenant il faut tout agréger. Ça ne sera pas simple, mais c'est indispensable.