Avant d’être nommé architecte en chef des monuments historiques (ACMH) en charge du Louvre, aviez-vous connaissance du projet qui se profilait ?
Je savais la situation dans laquelle se trouve le musée car ses difficultés sont connues depuis longtemps. Ses espaces d’accueil sont sous-dimensionnés pour absorber l’immense flux de son public. La pyramide ainsi que les espaces crées sous la cour Napoléon par Ieoh Ming Pei [et inaugurés en 1989, NDLR.] étaient un projet fantastique, mais il avait été prévu pour une fréquentation de quatre millions de visiteurs par an. Elle est montée jusqu’à 11 millions avant la pandémie de Covid-19 et aujourd’hui, avec une jauge qui été réduite, elle s’établit à neuf millions.
Quand je me suis porté candidat à la succession de mon confrère Michel Goutal, j’ai été auditionné sur ma connaissance du lieu et la vision que j’en avais, sur son adaptation aux usages contemporains ainsi qu’à mon approche liée aux questions patrimoniales. L’enjeu était d’apporter des réponses pour parvenir à améliorer les flux dans les années à venir.
Alors si à ce moment-là, aucun calendrier n’était encore évoqué, j’étais conscient que si j’obtenais ce poste, il y aurait beaucoup de travail… J’ai finalement été nommé en juillet dernier et j’ai pris mes fonctions début décembre. Evidemment, j’ai été tenu au courant en temps et en heure des futures annonces et du lancement d’un concours d’architecture pour créer un nouvel accès pour le musée.
Le Louvre, pour un ACMH, n’est-ce pas le Graal ?
J’ai déjà eu la chance d’avoir la responsabilité de projets extraordinaires : au musée Carnavalet et à l’Arc de Triomphe, à Paris, mais aussi au château de Chambord, aux bains de Strasbourg, au Palais Lumière à Evian. Il y a encore le Grand Palais, dont le chantier va arriver à son terme. Là, les nouveaux espaces d’accueil doivent ouvrir le 5 juin prochain. Quant à la partie Palais de la Découverte, elle est prévue pour être achevée l’an prochain.
Le Louvre représente un condensé de culture et d'architecture, mais aussi d'enjeux politiques
— François Chatillon, ACMH
Mais le Louvre, pour la cinquantaine de personnes de l’agence, que je dirige avec mon fils et associé, Simon Chatillon, comme pour moi, est un lieu mythique, extraordinaire. Il est intimidant aussi, tant il représente un condensé de culture et d'architecture, mais aussi d'enjeux politiques. Je vois le Louvre comme notre arme «d'instruction massive» : un véritable bastion du savoir et de la transmission, portés par la culture, l’histoire de l’art et l’histoire en général.
Vous participez à la rédaction du cahier des charges du concours qui sera lancé pour la conception de ce nouvel accès au musée. Pouvez-vous préciser les contours du futur projet ?
L’objectif est donc de fluidifier la circulation des visiteurs qui aujourd’hui convergent tous vers les espaces côté pyramide mais aussi d’apporter une solution à la situation critique de la Joconde. La salle dans laquelle cette dernière est exposée vit dans un état de cohue permanente, intenable à long terme.
L’idée consistera donc à réinvestir le périmètre du quadrilatère Sully qui se dresse, à l’est du monument, autour de la cour Carrée. Cette partie du palais est restée dans son jus depuis les 1950 à 1970. Certains éléments présentent même un état antérieur. Précisément, il faudra aménager le sous-sol de cette cour Carrée.
Une partie en est déjà occupée par le Louvre médiéval, où l’on peut déjà aller voir les fondations du château de Philippe-Auguste. Et autour, ces sous-sols ne sont aujourd’hui pas vides : on y trouve des galeries techniques et d’autres types d’équipements qui ont été construits, par bouts, au fil du temps. Mais il est possible de créer de 9 à 10 000 m² de nouveaux espaces pour le public et d'y installer un nouvel accueil qui sera connecté à l’espace de la pyramide. A terme, il sera ainsi possible traverser le Louvre de part en part, par ses dessous.
Ce réaménagement est donc aussi destiné à accueillir la nouvelle salle dédiée à la Joconde. Pour cela, les participants au concours auront à imaginer l’espace qui renouvellera totalement l’expérience et la rencontre avec ce chef-d’œuvre. Un tel sujet de réflexion sur la déambulation autour du tableau, sa mise en scène, la lumière devrait faire fantasmer plus d’un compétiteur… L’occasion leur sera donnée de permettre à des gens qui viennent de parfois très loin de nouer un rapport très fort à ce chef-d’œuvre. Je pense qu'une des volontés de Laurence des Cars, qui préside le Louvre, est d’établir autour de la Joconde une vraie initiation à l'histoire de l'art.
Une volonté de Laurence des Cars, la présidente du musée, est d’établir autour de la Joconde une vraie initiation à l'histoire de l'art
— Francois Chatillon
Au-delà de l’accueil et de la salle de la Joconde, les architectes, paysagistes et urbanistes qui candidateront à ce concours devront donc repenser une toute nouvelle séquence d’arrivée pour que les visiteurs vivent une expérience plus enrichissante, plus harmonieuse. Le parcours qui sera proposé devra non seulement être plus aisé mais aussi favoriser à la fois la contemplation et la détente. Ce futur chantier n’est pas seulement pas question de mètres carrés supplémentaires mais, pour le Louvre, de mériter son statut de plus grand musée du monde.
La colonnade de Perrault comme la cour Carrée sont considérés comme d’absolus chefs-d’œuvre de l’architecture classique. Le site est très sensible…
L’ambition du projet est haute, et nous espérons que les plus grands architectes s’y intéresseront. Mais il ne s’agit en aucun cas de réaliser un geste architectural susceptible de porter atteinte ou de rivaliser avec la colonnade. Les propositions attendues devront être d’un haut niveau d’excellence. La situation requiert une réponse fine et sensible, à l’échelle de la ville comme du monument. La proposition architecturale devra s’inscrire en harmonie avec l’histoire architecturale façonnée au fil des siècles, dans une approche alliant modernité et continuité.
Le calendrier et le budget de ces travaux sont-ils arrêtés ?
Les investissements nécessaires seront annoncés en temps voulu. Pour le moment, des études sont encore à mener notamment sur la conduite de ce chantier alors que le musée restera ouvert au public.
Le souhait est de lancer le concours d'architecture en 2025, pour en désigner le lauréat au printemps 2026. C’est extrêmement serré. Nous allons nous y tenir avec les équipes du Louvre, Laurence des Cars en tête mais aussi Arnaud Amelot, l’architecte du patrimoine responsable de la section des travaux de l’établissement, ainsi qu’avec l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la Culture (Oppic).
Le Président Emmanuel Macron a évoqué une date d’achèvement en 2031. Mais en réalité, le Louvre ne sera jamais terminé. Ce musée est une machine en mouvement perpétuel où se côtoient les 2 000 personnes qui le font vivre et les neuf millions qui le visitent. Et c’est en cela qu’il est passionnant.