«Le logement doit permettre aux habitants de faire leurs choix», Sophie Delhay, architecte

En obligeant à assigner 67 millions de Français à résidence, la crise du Covid-19 a eu pour effet secondaire de mettre en lumière les manques et les défauts de l’offre de logements. «Le Moniteur» a proposé aux acteurs de l’habitat de tirer les premières leçons du confinement. Lauréate du prix Habitat de l’Equerre d’argent 2019 pour une opération de 40 logements sociaux à Dijon (Côte-d'Or), l’architecte Sophie Delhay plaide pour une flexibilité des espaces qui laisse une grande liberté d’organisation.

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L'architecte Sophie Delhay a créé son agence en 2010.

L’après-confinement peut-il avoir des effets positifs sur la façon que nous avons de penser le logement ?

Cette période très pénible nous a privés de ce que notre habitat comporte de rapports d’interdépendance avec l’extérieur. Plus qu’un logement, notre habitat se vit aussi dans un ensemble de liens avec la ville, puisque nous devons sortir pour pratiquer certaines activités, tandis que d’autres sont réservées au dedans.

Alors qu’habituellement chacun est libre de composer, ces relations avaient disparu avec le confinement et tout a basculé dans le camp de l’intérieur. Notre habitat était devenu le lieu de tout, de l’école, du travail, des séances de sport... Nous devions aussi réussir à y faire alterner le temps collectifs de la vie du foyer et les moments plus solitaires, répondant à notre besoin de pouvoir nous isoler. Cette expérience extrême de notre habitat aura donc au moins eu ceci d’appréciable qu’elle a montré tout ce que pourrait être le logement.

Et que doit-il être justement ?

Un espace qui permette de faire des choix. Il est important qu’on puisse décider quels rapports on veut entretenir avec son voisinage, son quartier mais aussi avec ceux avec qui nous vivons. De plus la société a évolué. Tout le monde ne vit plus selon les mêmes horaires très réglés, donc nous devons pouvoir établir notre propre gymnastique interne selon les heures ou les jours.

Espaces prédestinés

Cependant la conception classique du logement sous-estime la capacité d’imagination des gens. Jusqu’ici, les espaces du logement sont restés très prédestinés. Tout se définit en termes de coin jour ou de coin nuit. Ce modèle composé de petites pièces fermées et affectées à des usages stricts est trop contraint. A l’inverse, on se rend compte que le loft n’est pas forcément la solution idéale, puisqu’il n’offre pas cette possibilité d’être seul quand on en a envie.

Pour offrir un maximum de possibilités à ses occupants, le logement doit-il d’abord être grand ?

Si on additionnait les surfaces dédiées à tous les usages, en effet, la surface serait vaste. Mais le logement doit surtout être flexible, permettre de combiner les espaces pour en former des grands aussi bien que des petits. Et pour cela, la possibilité de chaque pièce de se connecter ou de se déconnecter des autres est essentielle.

Cela fait partie des dispositifs sur lesquels je travaille, comme dans l’opération de logements sociaux réalisée à Dijon [récompensée par le prix de la catégorie Habitat de l’édition 2019 de l’Equerre d’argent, NDLR.] qui combine un ensemble de pièces de 13 m² séparées par des portes coulissantes. La possibilité est ainsi donnée de jouer sur les ouvertures et les fermetures pour avoir, à un moment, de petits lieux isolés où chacun à son espace ou, à autre, une grande pièce traversante qui permette de rassembler tout le monde.

On peut ainsi agir sur des éléments simples. La porte mais aussi la fenêtre, par exemple. Notre rapport à l’extérieur passe aussi par les vues et rester chez soi peut-être moins difficile si on jouit d’une large ouverture et d’un panorama lointain.

A Dijon, les fenêtres encadrées par des rangements sont épaisses. Elles forment des alcôves dans lesquelles on peut s’asseoir et offrent la possibilité de les habiter d’une manière assez incroyable. C’est aussi pour profiter de cette lisière entre le dedans et le dehors que, pendant le confinement, les gens ont tellement investi leur balcon. Encore fallait-il en avoir un.

Pour beaucoup, votre bâtiment de Dijon relève de l’expérimentation. Pensez-vous que l’expérience du confinement va permettre de développer davantage ce type de solutions ?

Dijon n’est plus expérimental, c’est juste du logement d’aujourd’hui. Maintenant l’après-confinement peut-il permettre de continuer à détricoter les modèles habituels ? D’un côté, je crains qu’après cette parenthèse de deux mois, nous repartions dans une course pour rattraper le temps perdu et que je continue à recevoir le même type de programmes, de ceux qui sont éprouvés et donc rassurants.

Pas de côté

Dans le même temps, je me dis qu’individuellement, nous aurons tous vécu le confinement, nos maîtres d’ouvrage y compris. Ils seront peut-être plus réceptifs et disposés à faire des pas de côté.

De votre côté, cela vous a-t-il donné des idées ?

J’ai par exemple imaginé que nous pourrions renverser le rapport intérieur/extérieur qui nous a tant manqué. Prenons le modèle du T3. Au lieu de proposer l’habituelle surface de 65 m² avec un espace extérieur de 9 m², on aurait une pièce de 9 m² et un plateau extérieur de 65 m² permettant une vaste relation avec la ville et le paysage.

Je vois cela comme un immeuble de cabanes, avec une viabilisation minimale, qui permette un début d’occupation. Ce serait un germe puisqu’en fonction des besoins, la terrasse de 65 m² pourrait être progressivement occupée, avec une part d’autoconstruction par exemple. Je ne sais pas comment pas cela peut être possible du point de vue foncier et réglementaire, mais si un décideur ou un promoteur était partant pour étudier la question, ça m’intéresserait !

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