« Invitées à regarder la cour d’école à hauteur d’enfant, les parties prenantes retrouvent l’essentiel ». Paysagiste au conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement du Val-de-Marne, Julie Amadéa-Pluriel accompagne la déminéralisation de 13 cours d’école programmées en 2022 dans le département.
Aventure collective
Lancée sur le thème de la lutte contre les îlots de chaleur, l’expérience ouvre l’horizon des acteurs du projet, quand le rafraîchissement se conjugue avec d’autres bienfaits : les enfants retrouvent le contact avec l’eau et le végétal, tandis que les services municipaux chargés de la voirie découvrent les vertus pédagogiques de la pluie, jusqu’alors gérée comme un déchet à évacuer dans des tuyaux.
« La ville s’oriente dans une nouvelle direction, et ceux qui participent à ce changement de cap partagent le sentiment d’une aventure collective sans précédent », poursuit la paysagiste-conseil du Val de Marne, invitée de la table ronde d’Arte Charpentier, le 24 mars sur le thème de « L’eau, un élément à repenser pour la ville de demain ».
Le sujet fâche de moins en moins
Son enthousiasme illustre l’élan confirmé par Elsa Sautter, responsable d’opérations à la Sadev 94, société d’aménagement du Val-de-Marne : « Il y a quelques années, seuls les riverains poussaient à l’infiltration. Aujourd’hui, tous les acteurs convergent dans ce sens ».
« Pris en amont, les obstacles techniques apparemment infranchissables finissent par s’aplanir », abonde Laure Fass, chargée du suivi du plan Paris Pluie à la ville de Paris. Au-dessus d’anciennes carrières réputées 100 % perméables dans le XIVème arrondissement soumis au risque de gonflement de l’argile, la Zac Saint-Vincent de Paul illustre son propos : seules les fortes pluies obéiront à un système de stockage et de restitution ; le promoteur gère les écoulements courants, tandis que pour les événements exceptionnels, la ville assume la responsabilité de l’inondabilité temporaire des espaces publics.
Les vertus du volontarisme
Sous la maîtrise d’œuvre d’Arte Charpentier et la maîtrise d’ouvrage déléguée à la Sadev 94, l’aménagement extérieur du quartier Victor Hugo de Bagneux (Hauts-de-Seine) confirme les vertus du volontarisme : « Rétrospectivement, nous ne pouvons que nous féliciter de l’avis défavorable opposé par le département des Hauts-de-Seine à l’avant-projet. « Soyez 100 % vertueux », a-t-il enjoint, « y compris pendant les cinq années de la période transitoire entre la livraison des deux gares » ».
Depuis l’inauguration de la première d’entre elles en janvier dernier, toutes les parties prenantes se félicitent des nouvelles surfaces plantées dans la Zac destinée à accueillir 4 000 habitants sur 19 hectares, dont 27 % de terres perméables.
Les bâtons de la police de l’eau
« Les opérations publiques peuvent offrir des références utiles, pour changer les habitudes des promoteurs », estime Patrick Bonament, président du bureau d’études Urbacité Aménagement, en charge de la gestion de projets et de l’assistance à maîtrise d’ouvrage.
Mais le maître d’œuvre technique mesure la puissance des freins : « Réticents à végétaliser les toitures, les promoteurs confondent parfois permis de construire et police de l’eau. Quand il se rendent compte que la seconde a le dernier mot sur la gestion pluviale, ils n’ont plus qu’à démonter les réseaux déjà installés, et à régler les surcoûts », témoigne Patrick Bonament, exemples vécus à l’appui.
Urbacité n’en sent pas moins l’empreinte d’une mutation profonde et rapide, jusque dans son carnet de commandes : « L’eau y comptait pour 15 % il y a moins de cinq ans, contre 50 % aujourd’hui », témoigne son président.
Pression règlementaire croissante
L’intensification de la pression réglementaire laisse présager une nouvelle accélération en Ile-de-France : entré en vigueur en mars, le nouveau schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du Bassin Seine-Normandie amène à moins de 30 ans les occurrences pluvieuses à maîtriser par des techniques douces.
Dans la capitale, les premières mesures proposées par les services, dans le cadre de la révision du plan local d’urbanisme bioclimatique, fixent à 10 mm la hauteur de pluie sous laquelle l’ensemble des propriétaires immobiliers devront gérer leurs écoulements à la parcelle. « En Seine-Saint-Denis, les agglomérations Plaine Commune et Est Ensemble nous ont précédées dans cette voie », rappelle Laure Fass.
Saisir la chance, derrière la contrainte
Déterminé à vivre la contrainte règlementaire comme une chance, Arte Charpentier a rédigé son Livr’eau pour partager cette vision et combler un vide : « Dans l’importante littérature consacrée aux eaux pluviales, nous trouvons des ouvrages soit trop simplifiés et inexploitables, soit trop complexes », analyse Nathalie Leroy, responsable du pôle paysage de l’agence. Pour sortir du dilemme, elle a fixé un cap à son équipe de sept paysagistes : « Marions un guide technique simple avec la poésie pluviale » !
Appliquées au bâti comme aux aménagements extérieurs, les notes, schémas techniques ou représentations artistiques du Livr’eau se fondent sur les arguments sociétaux, environnementaux et économiques rappelés dès les premières pages.
De l’urbain à l’humain
Les débats du 24 mars ont mis en lumière la suite de l’histoire : l’entretien des espaces d’infiltration entraîne de nouvelles répartitions des tâches. Les services d’espaces verts apprennent à gérer l’eau ; à Paris sur la base du volontariat, les riverains des cours d’école déminéralisées s’investissent pour le bien commun.
Au cimetière de Montreuil (Seine-Saint-Denis), les personnes chargées de l’accueil des familles des défunts partagent désormais leur temps de travail entre cette tâche et le jardinage des espaces désimperméabilisés, dont ils augmentent progressivement l’emprise. Les aspects humains et urbains de l’aventure se confondent, sous l’effet de la reconnexion entre ville et nature.