Rythmée par des échéances de six ans, la bataille permanente pour le renouvellement du label Grand site de France ne souffre pas de temps mort. Sur le territoire de Cap d’Erquy – Cap Fréhel, elle prend forme dans quatre « maisons » imaginées avec le concours du paysagiste Alain Freytet et du scénographe La prod est dans le pré, pour diffuser la connaissance du patrimoine naturel et culturel.
Quatre maisons de site
Symbole d’une adhésion locale à grande échelle, ces quatre équipements ponctueront les 5170 hectares du grand site de France, sous l’impulsion du syndicat mixte qui réunit les quatre communes et les deux intercommunalités du territoire, ainsi que le département des Côtes d’Armor.
Les maisons de site renvoient à l'ambition fondatrice des collectivités : « Avant même de s’engager dans la labellisation à partir de 2012, l’ancien syndicat des deux caps avait placé l’éducation à l’environnement en tête de ses priorités », rappelle Marie-Laure Cayatte, directrice de la structure qui cherche à concilier l'accueil du public et la préservation des deux sites classés.
Conte paysager
Le chamboulement de l’agenda imposé par la crise sanitaire dessine un nouvel objectif : « La fête de la labellisation, reportée à 2021, pourrait coïncider avec l’inauguration de la première des quatre maisons de site, à l’issue de la réhabilitation de l’ancienne école des filles des Sœurs de Plévenon où siège déjà le syndicat mixte », envisage Marie-Laure Cayatte.
La maîtrise foncière communale facilite le démarrage rapide de l’aménagement. Alain Freytet en dessine le jardin en forme de conte : un labyrinthe végétal reproduit une page de carnet scolaire, pour évoquer la tranche de vie d’une écolière.
Ailleurs, l’interprétation du patrimoine prendra d’autres formes : les oiseaux inspireront la maison des Marais ; sous maîtrise d’ouvrage de la compagnie Armor Navigation, la Salle de la Criée d’Erquy racontera la vie des pêcheurs ; selon la disponibilité des financements attendus de la mission Stéphane Bern, le conservatoire du littoral pourrait engager dès 2021 l’aménagement du phare du Cap Fréhel.
Aménager par soustraction
Le service national des Phares et balises a donné son accord pour le transfert de la propriété au conservatoire du littoral, après l’aboutissement des études de diagnostic conduites par le cabinet rennais Amiot, architecte en chef des monuments historiques.

Les plans dessinés à la main par Alain Freytet ont servi de support à un chantier participatif.
Cette quatrième maison de site consolidera l’acquis de l’aménagement de la pointe du cap Fréhel, sur les 15 hectares détenus par le Conservatoire du Littoral, pour un budget d’1,1 million d’euros TTC. Alain Freytet, maître d’œuvre du projet, souligne le paradoxe de l’inauguration du 5 juillet 2019 : « Ici, pas de ruban à couper devant un ouvrage neuf. Les travaux ont surtout consisté à supprimer les aménagements qui perturbaient la mise en scène de la relation du phare et de la mer ».
Droit à la non lecture
Place à l’émotion ! Au nom du « droit à la non lecture », le paysagiste concepteur a résisté à la tentation de l’érudition écrite, au profit d’une initiation par la promenade. L’étroitesse des sentiers bordés de ganivelles oblige à tenir les sens en éveil, pour lire le paysage.
Le long des falaises de grès rose, entre le grand large et les landes de bruyère, la pierre parle : partenaire de la maîtrise d’œuvre, le scénographe Franck Watel (Doublevébé) a teinté le béton pour qu’il se confonde avec les blocs roses extraits de la carrière voisine du Routin.

Le grès rose du cap imprègne la terrasse de l'ancien restaurant transformé en belvédère.
Sur la terrasse de l’ancien restaurant démoli dans la première phase de l’opération, il a incrusté des éléments du bestiaire marin emprunté au sculpteur des boiseries de la salle d’honneur du phare. « Le visiteur peut caresser le dauphin et toucher le goéland qu’il aperçoit sur le rocher de la Fauconnière », évoque le paysagiste et conteur Alain Freytet.
Plaisir partagé
L’invitation au rêve prolonge l’ambiance du chantier : « Habitués à travailler avec les monuments historiques, les maçons ne se sont pas limités à un rôle d’exécution. Alors que les projets urbains imposent des plans figés, les longues discussions autour de mes dessins réalisés à la main ont facilité l’expression de leur créativité, dans un plaisir visible et partagé », témoigne le paysagiste.
La démolition du restaurant et l’aménagement des cheminements ont précédé la phase la plus délicate pour les habitués des expéditions en voiture jusqu’à l’extrémité du cap : l’éloignement des parkings. « La réussite des deux premiers actes a donné confiance à la commune de Plévenon, qui a porté le troisième en co-maîtrise d’ouvrage avec nous », se réjouit Stéphane Riallin, chargé de mission au conservatoire du Littoral.
Trait d’union patrimonial
Le calendrier a facilité la compréhension du message : au départ de la route du Rhum en novembre 2018 alors que les engins de chantier empêchaient déjà l’accès à l’ancien parking, soixante personnes déployées par le Conservatoire du littoral ont protégé les zones mises en défens ; elles ont limité l’accès au cap, sous une jauge de 20 000 personnes. « Nous avons anticipé l’accueil des prochaines éditions », commente Stéphane Riallin.
Outre l’aménagement de la maison du grand site, le conservatoire prépare la restauration de la tour Vauban. Cette étape fermera une boucle patrimoniale et paysagère : au Cap Fréhel, le plus ancien phare terrestre de France, bâti en 1702, côtoie l’un des plus récents, reconstruit après la seconde guerre mondiale. Le trait d’union en gestation inclura l’aménagement de sa cour d’honneur et la restauration du jardin du gardien.