Prélevés ces dernières semaines dans les forêts françaises, les chênes multiséculaires destinés à la charpente de Notre-Dame de Paris symbolisent le premier levier du texte signé le 19 avril par les professionnels du bois et le gouvernement : « Promouvoir l’usage du bois pour une longue durée », a proclamé la ministre de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, lors de la présentation de l’avenant au contrat stratégique de filière qu’elle avait déjà signé le 16 novembre 2018.
Alerte sur les exportations
Les deux autres leviers en découlent : « Mobilisation renforcée pour assurer la souveraineté industrielle de la France, et coopération intra et inter-filières qui englobe en premier lieu les matériaux de construction », énumère la ministre. Sur ce dernier point, Agnès Pannier-Runacher annonce la réunion prochaine des professionnels des deux univers.
Julien Denormandie, son collègue de l’Agriculture et de la Forêt renchérit : « Il faut mettre fin au dialogue de sourds où l’on entend les constructeurs dire « j’ai besoin de ceci », et les producteurs répondre « je propose cela » ». Les chiffres récents des douanes françaises donnent à ses propos une valeur d’avertissement : les exportations françaises de feuillus ont doublé, entre janvier 2020 et janvier 2021.
Pérenniser le renouvellement
Certes, Julien Denormandie se réjouit de l’engagement de Bertrand Servois, président de l’Union de la coopération forestière française, à promouvoir des contrats de longue durée. Mais selon le ministre, « on peut faire mieux et plus, dans ce domaine ». Il voit dans les effets d’opportunité « une menace pour la stabilité de l’aval », et annonce une réunion imminente et spécifique à l’exportation des grumes de feuillus.
La dynamique suscitée par l’appel à manifestation d’intérêts sur le renouvellement de la forêt s’essoufflerait-elle déjà ? « Je n’en trouve pas encore la traduction dans les dépôts de projets. Transformons l’essai ! ». Le mot d’ordre de Julien Denormandie se justifie d’autant plus que les 150 millions d’euros du plan de relance consacrés à 45 000 hectares de plantations ne devraient constituer qu’un amorçage : « Il faudra mettre en œuvre un fonds d’investissement pérenne, pour tenir un rythme annuel de 100 000 hectares par an », prévient Michel Druilhe, président de France Bois Forêt.
Bouteille des JO à moitié pleine
Pour répondre à cette demande, le gouvernement dispose d’une clé évoquée par Luc Charmasson, président du comité stratégique de filière (CSF) : « Qu’une partie du produit des enchères sur les quotas carbone bénéficient à la forêt, conformément au droit européen qui autorise l’affectation de 50 % de ces recettes à la lutte contre le réchauffement climatique ».
Présente à l’amont, la crainte d’un essoufflement n’épargne pas l’aval de la filière, comme en témoigne Georges-Henri Florentin : « Il y aura finalement peu de bois dans le village médias des jeux olympiques », s’alarme le président de France Bois 2024. Il n’a pas manqué l’occasion de la signature de l’avenant pour insister auprès de Julien Denormandie : « Suivez le dossier. On compte sur vous ! ».
Le test du cycle de vie
Mais sur son front aval, la filière exprime ses plus grandes craintes dans l’influence des lobbies minéraux sur la réglementation environnementale 2020, et plus précisément l’analyse du cycle de vie dynamique. Certes, Agnès Pannier-Runacher proteste de « la neutralité technologique de l’Etat », et sa consoeur du logement Emmanuelle Wargon tente de rassurer : « Sur l’analyse du cycle de vie, nous avons tenu bon ».
Mais les clauses de revoyure passent mal : « Le recul sur le calendrier et la perspective d’une « adaptation » des indicateurs ne doivent pas remettre en cause ce qui constitue la pierre angulaire de la réglementation », avertit Frédéric Carteret, président de France Bois Industries Entreprises.
Choc d’investissement productif
Les points de vigilance ne remettent pas en cause la vague d’espoir qui entraîne les professionnels : « Jamais je n’ai observé une telle mobilisation, dans ma longue carrière », témoigne Pascal Roger, président de la fédération des services Energie Environnement. La bonne articulation entre prélèvement du bois de chauffage et du bois d’œuvre alimente ce sentiment partagé par Christian Ribes, président des interprofessions régionales regroupées par Fibois France, animateur de la marque France Bois Bûche.
L’espoir de la filière se nourrit surtout des perspectives d’un « choc d’investissement productif », tracées par Luc Charmasson : le président du comité stratégique de filière évalue à 1,2 milliard d’euros par an le potentiel d’investissement, entre les scieries et leur marché, pour les cinq prochaines années. Les trois quarts bénéficieraient à la construction. « Accompagner ces projets constitue un moyen immédiat et rapide pour décarboner l’économie », affirme le porte-parole de la filière qui absorbe déjà 23 % du CO2 émis par la France.
Bataille de com
Au-delà du gouvernement, le rappel de l’enjeu écologique du débat vise le grand public. Sur ce front aussi, les points de vigilance se combinent avec l’espoir d’un tournant historique : les citoyens s’offusquent des coupes rases, mais les consommateurs plébiscitent le matériau issu de la sylviculture. Pour souffler sur cette dernière braise, le CSF annonce pour le 5 mai la publication d’un sondage sur les français et le bois. « Il confortera nos orientations », annonce Luc Charmasson.