Le génie incompris de la Bastille

Opéra de Paris -

Si son architecture a pu susciter la polémique, l'édifice est un instrument parfait offert à l'art lyrique.

 

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Le 13 juillet 1989, François Mitterrand et des chefs d’Etat du monde entier sous les velums de verre de la grande salle.

Avec une mère prénommée Walkyria, l'architecte uruguayo-canadien Carlos Ott était prédestiné à bâtir un opéra. Et lorsque cet inconnu de 37 ans remporte le concours international de l'opéra Bastille en novembre 1983, il semble aussi être voué à mener une bataille digne des plus grands drames lyriques pour sa construction : atermoiements des politiques, valse des experts et des administrateurs, critiques déchaînées de la presse… Sans oublier cette incroyable méprise originelle que rappelle Jack Lang, le ministre de la Culture d'alors : « Le jury avait cru deviner la main de Richard Meier à travers le dessin de Carlos Ott… »

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Terrain asymétrique. Pour installer le nouvel équipement, les candidats ne sont pas obligés de conserver l'immeuble de la Tour d'argent qui se dresse à la pointe de la parcelle, mais le lauréat désigné y tient. « Je voulais montrer qu'un bâtiment important pouvait prendre sa place sans pousser ses voisins », explique aujourd'hui l'architecte. Carlos Ott adapte finement son travail au terrain asymétrique qui lui a été confié. « La Bastille, c'est l'inverse de l'opéra Garnier autour duquel la ville quadrillée haussmannienne avait été bâtie. Plutôt qu'une immense façade sur la place, j'ai préféré faire un bâtiment qui suit la géométrie des rues qui le déterminent. Puis j'ai utilisé une grande arche en granit pour créer le désaxement de l'opéra vers la colonne de Juillet. »

L'architecte dévoile à l'extérieur la complexité et la diversité des fonctions de cette « ville dans la ville ». Il juxtapose le volume demi-cylindrique de la grande salle et de ses foyers sur lequel la silhouette des escaliers intérieurs se détache, la cage de scène abritée dans des cubes qui émergent en toiture, l'aile des ateliers de décors qui s'étire le long de la rue de Lyon. Jean Nouvel, membre du jury, est censé coacher le lauréat et il lui suggère d'employer une structure métallique. Mais Carlos Ott s'y oppose pour des raisons de sécurité et de budget. Ce sera du béton.

Bâtiment amputé de la salle modulable. Après les élections de 1986 arrive la cohabitation. Jacques Chirac est nommé Premier ministre. « En juillet, j'étais dans le sud de la France, sur un bateau avec mes enfants, lorsque je suis convoqué par Matignon, poursuit l'architecte. Je dois m'y rendre au plus vite pour apprendre l'arrêt du projet. En sortant, j'appelle l'Elysée depuis une cabine téléphonique. François Mitterrand me reçoit immédiatement et me dit : “ Le Président préside, le Premier ministre gouverne. ” Mais au moment de partir, il ajoute : “ N'oubliez pas que vous vous êtes engagé à livrer l'opéra pour le 14 juillet 1989 ”. » Carlos Ott n'en revient toujours pas. Stoppé le 17 juillet, le chantier reprend dès le 1 août. Le bâtiment est cependant amputé de la salle modulable qui avait été étudiée avec le compositeur et chef d'orchestre Pierre Boulez (1925- 2016). Mais l'édifice sera bel et bien inauguré le 13 juillet 1989. Le 17 mars 1990, il ouvre sa première saison avec « Les Troyens », de Berlioz.

« La demande de Mitterrand était de faire un opéra populaire, pas pompeux », précise Carlos Ott. L'espace dévolu aux foyers et aux lieux de rencontre se trouve donc réduit par rapport à un opéra classique. Pour la grande salle de 2 700 places, surmontée des courbes opalescentes de la verrière, l'architecte choisit du granit bleu, du bois laqué noir et du poirier. « Jack Lang me disait : “ Il faut du rouge, du doré, c'est la fête ! ” Il m'a accusé de vouloir faire un bâtiment funéraire. Nous avons demandé au Président de trancher et il m'a appuyé. » Formidable machine, la scène est ceinte d'espaces de dégagement sur deux niveaux avec des plateaux mobiles de dimensions identiques pour disposer les décors en attente et permettre l'alternance des œuvres.

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« Aujourd'hui, tous les chanteurs rêvent de se produire à l'opéra Bastille. » Jack Lang

« Aucun opéra au monde n'offre cette qualité pour la préparation des spectacles et l'acoustique y est excellente. Tous les chanteurs aujourd'hui le reconnaissent et rêvent de s'y produire », insiste à juste titre Jack Lang. Récemment, Carlos Ott a été rappelé pour jouer le rôle de conseiller lors du concours de la salle modulable, qui verra enfin le jour en 2023, dans une extension imaginée par l'agence danoise Henning Larsen.

 

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