Selon l'avis présenté au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi de finances pour 2019 par Mme Stéphanie DO 1, la loi Elan devait faciliter la restructuration du tissu des organismes de logement social afin d'améliorer la productivité. Pour cela, deux axes ont été envisagés, la transmission du patrimoine entre organismes d'habitations à loyer modéré et la création de groupe, pour un seul objectif, la gestion d'un nombre minimal de logements pour une meilleure performance économique. L' dans sa rédaction issue de l'article 81 de la loi Elan a prévu deux formes de groupe. En premier lieu, le groupe peut être un ensemble d'organismes et de sociétés dans lequel l'un d'entre eux ou une autre société contrôle directement ou indirectement les autres, que ce contrôle soit exercé seul ou conjointement. En second lieu, le groupe peut être un ensemble constitué d'une société de coordination ( CCH) et des détenteurs de son capital. Sans surprise, l'application de ces dispositions s'est avérée plus complexe, d'un point de vue politique et juridique.
La question de la double appartenance
Si la loi Elan a prévu deux modalités pour constituer des groupes, elle n'a pas tranché la question de l'appartenance à deux groupes. Pendant les débats parlementaires 2, le gouvernement a exprimé sa volonté politique de laisser la possibilité pour une société d'appartenir à la fois à un groupe capitalistique et une société de coordination. Mais, le texte dans sa rédaction finale semble ne prévoir qu'un choix alternatif. Au regard des stratégies de développement d'un second réseau par CDC habitat (anciennement SNI), d'accompagnement d'Action logement et compte tenu des recherches de financement des sociétés d'habitation à loyer modéré, s'est naturellement posée la question de ce double rattachement. Économiquement et politiquement, ce double rattachement présente des avantages indéniables : le bénéfice d'un soutien financier d'un grand groupe et le maintien d'un lien avec la politique locale. En pratique, le cumul peut s'avérer complexe : cumul des identités visuelles, combinaison des comptes, harmonisation des directives données par la société de coordination et la société mère du groupe capitalistique, décompte des logements… L'articulation de deux stratégies émanant de deux centres de décision distincts et qui peuvent ne se recouper que partiellement peut entraîner des difficultés opérationnelles.
Si une double appartenance a pu être envisagée pour certaines sociétés, l'obligation de regroupement a surtout posé la question de l'indépendance des structures et du maintien de leur attachement à leur collectivité territoriale. Cette question s'est notamment révélée centrale pour les offices publics de l'habitat et les sociétés d'économie mixte (SEM), qui sont les organismes les plus représentés au sein des structures concernées par l'obligation de regroupement. En effet, sur les 339 organismes devant se regrouper, 185 sont des offices publics de l'habitat, 94 des SEM, 64 des sociétés anonymes d'HLM et 16 des coopératives HLM.
La restructuration du tissu des offices : entre stratégie de contournement et recherches de solutions politiques
Avant même l'adoption de la loi Elan, les dispositions relatives à la restructuration du tissu des offices publics de l'habitat n'ont pas produit les effets escomptés. Après l'adoption des lois du 27 janvier 2014 dite Maptam et du 24 mars 2014 dite Alur, les offices publics de l'habitat devaient être rattachés aux établissements publics de coopération intercommunale. En complément, la loi Elan a prévu l'obligation pour les offices rattachés à une même intercommunalité de fusionner avant le 1er janvier 2021. L'ensemble de ces dispositions auraient dû conduire à un mouvement de fusion.
Certes, certains offices ont fait le choix de fusionner, notamment pour bénéficier des dérogations offertes par la loi Elan en matière de nombre de logements. Ainsi, Dordogne Habitat (24) et Grand Périgueux Habitat (24) ont fusionné au 1er janvier 2020 pour créer Périgord Habitat, qui est dorénavant le seul office du département et gère environ 9 700 logements sociaux. Mais ces rapprochements sont rarement liés à une intercommunalité. L'office de Dinan, basé dans les Côtes d'Armor (22) a ainsi fusionné avec l'office Néotoa (anciennement Habitat 35) basé à Rennes en Ille-et-Vilaine (35). Ces premiers rapprochements sont le plus souvent la résultante d'un choix politique. Ils permettent la prise en compte de certaines spécificités des offices publics de l'habitat par rapport aux autres organismes de logements sociaux, comme la présence de fonctionnaires dans leurs effectifs ou la forte représentation des locataires au sein de leur conseil d'administration. La fusion de deux établissements publics apparaît par ailleurs plus simple, d'autant que les dispositions réglementaires facilitent le processus. Mais de manière étonnante, alors que les dispositions législatives auraient dû favoriser la fusion des offices dépendant d'un même établissement de coopération intercommunale, c'est souvent le niveau départemental qui a été retenu.
Au niveau intercommunal, ces dispositions ont plutôt conduit les communes à rechercher des solutions alternatives afin de conserver leur propre outil. La loi prévoyant que les SEM pouvaient demeurer communales dès lors que la compétence en matière d'habitat n'était pas intégralement transférée à l'intercommunalité, on a assisté à plusieurs fusions d'office public de l'habitat et de société d'économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux (SEM). Cette tendance a été facilitée par les dispositions de la loi Elan qui prévoit une rémunération de la collectivité de rattachement sur la base des capitaux propres non réévalués respectifs. Elle sécurise ainsi ces montages, la vente du patrimoine d'un office et l'apport du boni de liquidation à l'acquéreur ayant pu donner lieu à contentieux 3. Les OPH Maisons-Alfort Habitat (2 700 logements), Sceaux Habitat (900 logements), de Malakoff (3 900 logements) et de Bourg-la-Reine (600 logements) ont ainsi transféré leurs logements à une SEM. Enfin, il était envisagé de transformer l'OPH d'Ivry-sur-Seine, qui gère 6 400 logements dans la ville d'Ivry en société coopérative. En région, l'OPH Chambéry Alpes Habitat a fusionné avec la Saiem (société anonyme immobilière d'économie mixte) de Chambéry (73) et a donné naissance à une nouvelle entité : la Sem Cristal Habitat.
Outre le maintien d'un contrôle par la collectivité, cette transformation permet à la nouvelle société d'appartenir à un groupe vertical et d'abaisser le seuil des logements devant être gérés par l'organisme. La loi Elan exempte de l'obligation de regroupement les seules SEM agréées dès lors qu'elles ont un chiffre d'affaires moyen sur trois ans supérieur à 40 millions. Or, selon les calculs réalisés sur les offices, à partir de 10 000 logements environ, un organisme de logement social dispose d'un tel chiffre d'affaires. En zone tendue et très tendue, la barre peut même descendre à environ 8 000 logements 4 . Toutefois, la constitution d'une SEM suppose un actionnaire privé.
Les difficultés d'appartenance des SEM à un groupe
Si la transformation des SEM en office permet à la collectivité de conserver le contrôle de leur outil, le statut de SEM a soulevé des questions quant à la compatibilité des dispositions du Code général des collectivités territoriales avec l'appartenance d'une SEM à un groupe vertical.
L' fait référence à l' pour définir le contrôle, or les dispositions de cet article apparaissaient difficilement compatibles avec celles du Code général des collectivités territoriales et notamment les articles L. 1521-1 et L. 1522-1. Cette difficulté a donné lieu à une question parlementaire, à laquelle il a été répondu en décembre 20195 . Après avoir indiqué qu'il n'était pas envisageable que l'actionnaire privé de la SEM puisse, en application du 1° du I de l', détenir la majorité des droits de vote dans les assemblées générales comme au conseil d'administration, il a été reconnu la possibilité qu'un contrôle soit exercé par actionnaire privé soit en possédant plus de 40 % des droits de vote de la SEM si aucune des collectivités actionnaires ne dispose individuellement d'une fraction des droits de vote supérieure à celle de l'actionnaire privé ; soit en concluant un pacte d'actionnaire. La réponse conclut : « l'appartenance à un groupe suppose le consentement indirect des collectivités ou de leurs groupements actionnaires, majoritaires au capital, dans le respect de l'. Cette appartenance est susceptible de s'interrompre selon les mêmes modalités ». Cette position juridique ne prend pas en compte les conséquences financières d'une éventuelle rupture d'un pacte d'actionnaire.
La solution la plus sécurisante serait la création d'une société de coordination. Mais la place des élus comme celle des locataires dans la société de coordination n'a été que partiellement réglée par la loi Elan.
Une place résiduelle pour les élus et les locataires dans les groupes ?
Afin de permettre la représentation des collectivités territoriales, la loi Elan a prévu une dérogation au Code de commerce. Elle permet au sein des sociétés de coordination un conseil d'administration ou le conseil de surveillance comprenant jusqu'à 22 membres. Ces organes doivent comprendre des représentants des établissements publics de coopération intercommunale et des collectivités sur le territoire desquels les associés ou actionnaires de la société de coordination possèdent des logements, mais également des représentants élus des locataires.
La première difficulté est liée à la représentation des collectivités au sein des instances délibérantes. En principe, ces administrateurs doivent être désignés dans les statuts par les actionnaires, mais quelle réponse apportée à une collectivité qui ferait la demande de devenir administrateur. Convient-il d'y faire droit dans la limite de 5, à l'instar de ce qui est prévu pour les collectivités de catégorie 2 dans les entreprises sociales pour l'habitat (ESH) ? La gestion du nombre de représentants des collectivités peut également donner lieu à discussion.
Or, la plupart des sociétés de coordination (SAC) dont la création a été annoncée regroupent des organismes dépendant de différentes collectivités. Habitat Aménagement et Coopération des Territoires est constitué de 19 SEM immobilières adhérentes à la fédération des EPL appartenant à 19 départements différents. « Val de France - L'Habitat des Territoires » réunit deux offices publics de l'habitat dépendant également de deux départements distincts : Val de Berry basé dans le Cher et Montluçon habitat situé dans l'Allier (03). L'absence de concurrence apparaît comme une condition de réussite du projet. Mais cette appartenance à des collectivités différentes pose la question de la représentation des collectivités. De manière pragmatique, plus le nombre de membre sera réduit, plus ces discussions devraient être aisées.
S'agissant de la représentation des locataires, les textes législatifs et réglementaires sont très succincts sur les modalités de leur représentation des locataires. Les statuts types annexés au décret du 29 août 20196 prévoient : « Jusqu'à la première élection […], ces administrateurs sont élus par un collège composé de l'ensemble des représentants des locataires siégeant aux conseils d'administration ou conseils de surveillance des membres mentionnés aux articles L. 411-2, L. 481-1 et L. 365-2 du même code. Chacun de ces représentants dispose d'un nombre de voix égal à celui obtenu par la liste à laquelle il appartenait lors de la dernière élection prévue par l'article L. 422-2-1 du même code, divisé par le nombre de représentants élus ». Au premier niveau du processus désignation, le calcul s'effectue donc au niveau de chaque organisme membre de la SAC en prenant en compte le nombre de voix obtenu par l'association et en le divisant par le nombre de représentant. Le second niveau du processus est plus complexe : le texte prévoit que les représentants des locataires élisent librement leurs 3 représentants. La rédaction retenue ne permet pas une désignation sur la base d'un cumul par liste obtenue aux élections des représentants des locataires de chaque organisme. Or, le processus électoral, de même que le mode de scrutin ne sont pas précisés par le texte. Il pourrait être envisagé un protocole électoral, mais quid si un accord avec l'ensemble des associations des locataires n'est pas obtenu ? S'agissant de la temporalité, l' prévoit que les premiers administrateurs sont désignés dans les statuts pour les sociétés constituées sans offre au public. Les premiers représentants des locataires devraient être désignés dans les statuts, aucune dérogation n'étant prévue. Cette lecture suppose que l'élection intervienne avant la signature des statuts, mais complexifie le processus de création de la SAC.
Le manque de prise en compte des élus et des locataires s'observe également dans le cadre des fusions. Les dispositions relatives à la désignation des représentants des locataires après la fusion de sociétés d'HLM sont moins précises que celles prévues par les offices. Tout comme en matière de société de coordination, le mode de désignation n'a pas été défini. Quant aux élus, le nombre réduit d'administrateurs représentant les élus locaux au sein des conseils d'administration ou des conseils de surveillance des ESH peut soulever des débats après fusion. CDC Habitat Social a ainsi fait le choix d'une sur-représentation des élus locaux au sein de son conseil de surveillance, pour maintenir un lien avec les politiques locaux.
Faute d'avoir clarifié les relations futures et la place de l'ensemble des intervenants dans la politique de l'habitat, les regroupements soulèvent des inquiétudes. Dans une lettre adressée en juillet 2019 aux adhérents de la Fédération nationale des Offices publics de l'habitat, son président Marcel Rogement alerte sur le risque que fait peser sur les élus et la politique locale de l'habitat la création d'une société d'économie mixte absorbant un OPH et où la Caisse des dépôts et Consignation devient actionnaire à 40 %. Selon lui, « L'idée est bien d'une seule tête de pont depuis Paris, au détriment des élus locaux. Le risque est celui de la remontée des fonds propres au détriment des territoires où est générée la valeur ». La crainte d'une recentralisation de la politique de l'habitat pourrait constituer un frein au processus de concentration des organismes, concentration qui serait susceptible d'ailleurs de faire l'objet d'un contrôle par l'autorité de la concurrence, en l'absence de dispositions claires excluant le secteur HLM.
1n° 1255 - Tome IV - Cohésion des territoires - Logement 5
2 Voir l'amendement du gouvernement n° 792 (Sénat) : « concernant l'appartenance simultanée à un groupe et à une SAC, le gouvernement est favorable à ce qu'une filiale d'un groupe puisse également appartenir à une SAC puisqu'il n'y a aucune incompatibilité entre les deux modèles (…) »
3 Pour une présentation de montage qui a donné lieu à contestation, voir (24-02 38-04 C+), inédit.
4 Voir l'amendement n° 115 présenté au Sénat par Mme Estrosi Sassone (déclaré irrecevable au titre de l'article 45)
5 Question n° 18060 de M. Éric Ciotti - Réponse publiée au JO le 3 décembre 2019, p. 10531.
6 relatif aux sociétés de coordination mentionnées à l'