Sur le marché français du coliving, l'événement devrait faire date. A la rentrée, l'investisseur La Française va racheter les murs de The Babel Community, une des premières résidences de ce genre à avoir vu le jour dans l'Hexagone. L'acquisition de cet immeuble de la rue de la République, à Marseille, qui mêle, sur 4 000 m², des appartements meublés privatifs ou en colocation, des espaces de loisirs réservés à la communauté mais aussi du coworking et un restaurant ouvert aux habitants du quartier, est aussi le symbole du regard neuf que portent les professionnels sur cette nouvelle forme d'habitat partagé née en Californie.
« Il y a deux ans et demi, lorsque nous nous sommes lancés sur le marché, les acteurs de l'immobilier étaient sur la réserve, il fallait leur expliquer le concept. Aujourd'hui, nous avons clairement franchi un cap et sommes entrés dans une phase de concrétisation. Cela se traduit par des engagements fermes de la part des investisseurs, qui considèrent maintenant le coliving comme une nouvelle classe d'actifs immobiliers », analyse François Roth, cofondateur de Colonies, opérateur spécialisé qui a réalisé, en février, une levée de fonds de 11 millions d'euros.
« Une trentaine de programmes d'ici à 2022 ». Malgré ces appétits financiers, les projets ne sortent de terre qu'au compte-goutte. « Leur vitesse de développement est aujourd'hui nettement inférieure au potentiel identifié », note François Terrier, directeur général partenariats et services de Bouygues Immobilier, chargé notamment du développement de la marque de coliving Koumkwat. Mathieu Guillebault, directeur associé au sein du conseil en immobilier d'entreprise CBRE, recense pour sa part une douzaine d'opérations en exploitation sur l'ensemble du territoire, dont seulement deux résidences de plus de 3 000 m². « Nous sommes au début de l'histoire, les projets sont en train d'éclore. Nous estimons qu'une trentaine de programmes seront créés en France aux alentours de 2021 ou de 2022 », anticipe-t-il.
Et pour cause. Un nombre croissant d'acteurs se positionnent sur ce créneau émergent. Les pure players tricolores, comme Colonies et Sharies, devront bientôt composer avec des leaders internationaux du secteur, à l'instar de l'américain Node et du berlinois Medici Living (lire ci-dessus) , qui prospectent activement le marché français. Les promoteurs traditionnels entrent également dans le jeu, comme Quartus et Vinci Immobilier qui lancent des marques dédiées, respectivement Livinghomes et Bikube.
Débouchés pour les résidences étudiantes. L'effervescence gagne aussi les acteurs du logement étudiant qui voient dans le coliving un nouveau levier de croissance. « Ce type de résidences représentera 30 à 35 % de notre activité dans les cinq ans », prédit Jean-Baptiste Mortier, Pdg de Kley, investisseur et opérateur spécialisé dans les résidences étudiantes. Tous ont l'intention de proposer des formules de location incluant, dans une même offre, un logement meublé, mais aussi l'eau, l'électricité, l'accès à Internet, l'abonnement à la salle de sport, le ménage, etc. Cela pour un budget similaire à celui d'une location traditionnelle dotée des mêmes services. « En fonction de leurs besoins, les clients pourront choisir entre une formule hôtelière ou résidentielle. Ils bénéficieront d'une flexibilité de durée, entre un jour et plusieurs mois », assure Dominique Esnault, directrice générale de Quartus Coliving.
La France pourrait compter 150 000 colivers d'ici à cinq ans.
L'ensemble des acteurs affichent des ambitions fortes. Ainsi, Kley vient d'annoncer l'ouverture, d'ici à 2025, en région parisienne et dans les grandes agglomérations françaises, de huit résidences à destination des « jeunes actifs et des actifs en transition ». En parallèle, le spécialiste a déjà déposé un premier permis de construire pour une résidence de ce type au sein de la technopole de Toulouse Labège. Le site, construit spécifiquement pour le coliving et acheté en Vefa à un promoteur immobilier national, aura une capacité de 280 lits. Il sera composé de quatre types de logements, du T1 de 22 m² au grand appartement à partager avec trois à cinq chambres de 16 à 17 m², chacune étant équipée d'une salle de bains et de toilettes privatives. Comme dans toute résidence de coliving, le bâtiment fera la part belle aux espaces collectifs (restaurant, bar, piscine, rooftop végétalisé, potager collectif, salle de cinéma… ), conçus pour favoriser la création de liens communautaires, intrinsèque à ce mode de vie. « Nous prévoyons entre 2,5 et 3 m² d'espaces communs par lit, contre 1,1 à 1,2 m² dans nos résidences étudiantes », précise Jean-Baptiste Mortier.
« 10 à 20 % plus cher ». La rationalisation des espaces constitue un enjeu pour les acteurs de ce nouveau marché. « Il faut trouver le meilleur agencement pour proposer une vraie bulle de quiétude à nos résidents, avec des espaces jour et nuit bien identifiés et un maximum de rangements, le tout dans 18 m² », détaille Emilie Schlageter, directrice de projet coliving chez Vinci Immobilier. « Construire une telle résidence représente un surcoût de 10 à 20 % par rapport à du logement traditionnel », indique Benoît Jobert, cofondateur d'Axis, gestionnaire de la marque The Babel Community. « C'est pourquoi nous réfléchissons à la construction modulaire d'unités d'habitation, une solution plus économique. » Deux ans après sa mise en service, l'immeuble The Babel Community à Marseille enregistre un taux d'occupation de 96 %. Le public semble s'approprier cette nouvelle manière d'habiter. La preuve ? Sharies, par exemple, affiche complet sur son espace de Nancy et reçoit quatre candidatures pour une offre de coliving.
Selon BNP Paribas Real Estate, qui vient de lancer Colivme, une plate-forme européenne de mise en relation d'opérateurs et de futurs habitants, la France pourrait compter 150 000 co-livers d'ici à cinq ans. Le développement pourrait néanmoins être entravé par la réglementation relative à l'urbanisme et celle liée à la sécurité incendie encore inadaptées.