Cette fois, plus de place au doute. Le 11 septembre, le gouvernement l'a affirmé : ses engagements vis-à-vis du canal Seine-Nord Europe (SNE) seront honorés. Ils sont même pleinement pris en compte dans la programmation financière en faveur des transports pour les dix prochaines années (lire p. 14). Certains acteurs s'en trouveront soulagés. Car même si l'Etat avait accepté il y a un an la proposition des collectivités locales de reprendre la main sur le projet, de façon à éviter qu'il soit mis de nouveau au placard, le dossier semblait encore patiner.
Il n'en est rien cependant, assurent les différents protagonistes. « La Société du canal Seine-Nord Europe (SCSNE) a été créée en 2017, et Xavier Bertrand préside le conseil de surveillance depuis un an. Nous avons beaucoup travaillé et passé plusieurs étapes », explique ainsi Jérôme Dezobry, pressenti pour devenir prochainement le président du directoire de la SCSNE, dont il est déjà membre. Mise en place de la nouvelle gouvernance, modification de l'allotissement, emménagement dans un nouveau siège, à Compiègne (Oise), recrutements en cours… Sans bruit, le projet a avancé.
Le chantier, prévu pour durer une dizaine d'années, a été repensé en quatre secteurs (voir carte ci-dessous). Le premier est « à part », selon Jérôme Dezobry, car déjà amorcé. Le marché de maîtrise d'œuvre a en effet été attribué dès avril 2017 à un groupement mené par Artelia Eau & Environnement. Les études d'avant-projet sont terminées et confirment la faisabilité technique et la viabilité économique du projet, explique Marc Giroussens, directeur général de la filiale d'Artelia. La phase projet commencera début 2019, le temps de récupérer les dernières données géotechniques et topographiques nécessaires. Il sera ensuite question de préparer les marchés de travaux. Pour ce secteur qui inclut une écluse, une enveloppe de 350 M€ est prévue. Les appels d'offres devraient être publiés au deuxième semestre 2019, pour un premier coup de pioche envisagé courant 2020.

Le canal Seine-Nord Europe en chiffres (© Société du Canal Seine Nord Europe)
Appel d'offres spécifique pour six écluses
Sur le reste du tracé, les marchés de maîtrise d'œuvre ont été lancés il y a quelques mois. Ils concernent les chantiers de terrassement, ouvrages d'art et rétablissement des communications (Toarc) de chacun des trois autres tronçons. Un appel d'offres spécifique porte sur les écluses, pour assurer une cohérence technique. Pour tous, le choix des entreprises retenues devrait être arrêté d'ici à la fin de l'année. Les travaux interviendront donc plus tard pour ces lots, probablement courant 2022.
Sur le deuxième secteur, 732 M€ seront engagés pour réaliser les chantiers de terrassement et d'ouvrages d'art, ainsi que 11 M€ pour concevoir un pont-canal au-dessus de l'autoroute A29. Le montant des travaux du secteur 3, plus modeste, est estimé à 362 M€. Dans cette partie sera notamment construit un bassin-réservoir d'eau, d'une capacité de 14 millions de m3. Pour la dernière portion du canal, il faudra compter sur environ 600 M€ de travaux, auxquels s'ajouteront 19 M€ pour la réalisation d'un deuxième pont-canal, au-dessus de l'A26. Par ailleurs, les travaux pour la construction et l'équipement de cinq écluses de haute chute et d'une écluse de jonction représentent 850 M€. Enfin, un troisième pont-canal, au-dessus de la Somme, fera l'objet d'un marché de conception-réalisation estimé à 248 M€.
Anticipation des mesures compensatoires
La SCSNE a pris un peu d'avance sur certains points, comme les mesures compensatoires. Des aménagements environnementaux sont déjà en cours. Pour ne citer qu'un exemple, un partenariat avec le lycée horticole de Ribécourt, dans l'Oise, a été signé en avril 2018. Le but : concevoir une zone humide sur une parcelle de 1 ha, dans l'enceinte de l'établissement et avec la contribution des élèves.
Cette anticipation contribue à rendre le canal déjà concret dans les territoires et dans l'esprit de la population. Avec pour ambition d'en faire un « projet du XXIe siècle, intégré et aidant au développement », fait valoir Jérôme Dezobry.
« Le chantier du canal est parti. Il est impossible de revenir en arrière », Franck Dhersin, vice-président de la région Hauts-de-France
« Le chantier du canal est parti. Il est impossible de revenir en arrière ». Franck Dhersin, vice-président de la région Hauts-de-France chargé des transports et infrastructures et membre du conseil de surveillance de la société de projet, est catégorique. Les menaces se sont éloignées, comme l'ultimatum posé par l'Europe, ce que confirment des sources à Bruxelles. Malgré le retard pris sur le calendrier, plus question de couper les subventions de l'Union - si tant est que ce risque eût été réel.
Car le canal constitue l'un des dossiers d'infrastructure les plus importants sur le continent, en tant que chaînon manquant du projet transfrontalier Seine-Escaut. L'Europe a déjà décidé d'accorder 979 M€ à ce large chantier, et le SNE en profite au fur et à mesure de son avancement. Pour le moment, elle finance 50 % des études et 40 % des travaux. Une participation qui pourrait augmenter si la proposition de modification du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe, qui cofinance des projets d'infrastructure, est adoptée par le Parlement et les Etats membres.
Recette complémentaire en attente
Cela devrait être le cas avant les prochaines élections européennes de mai 2019. Si le texte est voté, la participation de l'UE pourrait couvrir jusqu'à 50 % du montant des travaux. « Ce sont potentiellement 450 M€ supplémentaires pour le canal », précise Franck Dhersin, qui se félicite par ailleurs du climat de confiance retrouvé depuis un an. « La relation est au beau fixe, la collaboration excellente, et nous invitons des représentants de la Commission européenne à chaque conseil de surveillance. » Une transparence qui conforte le soutien au projet.
Grâce à ces crédits, notamment, « nous n'avons aucun problème pour payer les factures et nous ne sommes pas inquiets pour la suite », poursuit Franck Dhersin. Le financement est désormais à peu près clair. Sur un montant estimé à 4,5 Mds €, les collectivités locales apporteront 1 Md €, et couvriront les garanties d'un emprunt de plus de 700 M€ souscrit par l'Etat. Pour rembourser ledit emprunt, le gouvernement a promis une recette complémentaire, sans encore préciser son origine… Cette dernière ne sera pas, en tout cas, mise en place en 2019. Elle reste l'ultime point d'interrogation de ce dossier vieux de quarante ans.